Deuxième et dernière étape d’un programme de formation des formateurs en droit international humanitaire organisé par la Croix Rouge, un séminaire de deux semaines s’est déroulé à Rabat à partir du 14 janvier. Après deux séminaires préparatoires à Beyrouth et à Tunis, les meilleurs participants ont été sélectionnés pour se rendre dans la capitale marocaine pour parachever la formation. Plus de 50 personnes de la région MENA – parlementaires, diplomates, membres de la Croix-Rouge internationale, militaires, professeurs ou magistrats – étaient ainsi réunis pour devenir à leur tour formateur. Mais à quoi bon se former au droit humanitaire ?
« Cela fait 150 ans que ce droit existe et malheureusement on peut dire qu’il y a eu très peu de conflits où il a été totalement respecté. Si un pays ratifie les Conventions de Genève, cela n’est pas forcément contraignant. Non seulement il faut adapter le droit national au droit international, mais celui-ci doit ensuite être mis en œuvre. Pour que cela puisse être fait, il faut alors une volonté politique et un système judiciaire qui fonctionne. Or, tout cela nécessite que des gens soient formés et qu’ils soient conscients de la nécessité de faire ce travail » nous explique Wolde-Gabriel Saugeron, adjoint au Chef de délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Rabat.
Le manque constaté par les responsables de la Croix Rouge est avant tout un manque législatif. « Le Moyen Orient n’est pas vraiment développé en matière de législation censée combattre les crimes de guerre. Nous avons aujourd’hui deux lois de premier plan au Moyen Orient : la première adoptée en 2017 aux Emirats Arabes Unis et la deuxième adoptée en 2018 au Bahreïn. Avant, nous avions celles du Soudan et de la Jordanie. Ceux-ci sont les quatre pays qui possèdent déjà une législation nationale. Tous les pays arabes ont ratifié les Conventions de Genève, mais ils ne les ont pas intégrées dans leur droit domestique. L’un des objectifs du programme est d’enseigner comment légiférer ces lois et comment intégrer les protocoles internationaux dans les législations nationales, » nous confie Omar Mekki, l’un des formateurs.
Les parlementaires présents aux séminaires, en provenance notamment du Soudan et du Maroc, témoignent de cette volonté politique d’intégration du droit international humanitaire dans les normes nationales. « Il faut sensibiliser les parlementaires pour qu’ils se sentent prêts à porter ces messages. Nous essayons de cibler des gens qui ont à la fois un intérêt et une volonté personnelle mais qui sont aussi à des postes de responsabilité où ils peuvent faire une différence, » poursuit M. Saugeron, s’alarmant aussi du fait que « le droit international humanitaire n’est pas un priorité pour beaucoup de pays et il faut constamment plaidoyer pour qu’il soit pris en compte ».
Lorsque les parlementaires d’un pays ne sont pas présents, ce sont d’autres futurs formateurs qui auront la tâche de leur porter le message. Chantal Touma, conseillère juridique de la délégation de la Croix-Rouge à Damas, nous raconte : « quand je serai de retour en Syrie, je pourrai donner des cours et tenir des formations à propos du droit international humanitaire et de sa mise en pratique. Nous travaillons par exemple avec le ministère de l’Education, le ministère de la Défense et le ministère du Développement qui se veut d’améliorer l’environnement dans lequel vivent les gens qui ont été touchés par la guerre ».
Une deuxième préoccupation concerne l’état de chaque système judiciaire, car « pour appliquer un droit il ne suffit pas de le connaitre, il faut également un système qui permette de le respecter pour que les violations puissent être punies, » dit M. Saugeron. C’est pourquoi parmi les apprentis formateurs certains seront habilités à former des juges dans leur pays d’origine. « Nous organisons également des cours pour les juges. Si la Cour nationale syrienne devra traiter des cas liés au droit international humanitaire, les juges seront déjà familiarisés à ce dernier, » poursuit Mme Touma.
Auprès des plus jeunes, ce sont les professeurs d’universités présents au séminaire qui seront appelés à former leurs étudiants. « Dans les universités, le droit international humanitaire ne va pas être le choix de prédilection d’un étudiant. Au Maroc, par exemple, même si un étudiant va vers le droit international, il va aller plutôt vers les droits de l’Homme, quelque chose qui parle plus à la réalité marocaine aujourd’hui, » explique M Saugeron. « Je suis enseignant à la faculté de droit à l’université de Koufa, en Irak. Au vu des nombreux événements de guerre qui ont touché le pays, on a vraiment besoin de propager les principes du droit international humanitaire auprès des Irakiens, y compris les étudiants. Nous avons fondé un cursus spécifique sur le droit international humanitaire à la faculté. Nous incitons les étudiants à écrire des mémoires, à suivre des conférences, et nous avons établi des coopérations scientifiques entre les bureaux régionaux de la Croix-Rouge, le Ministère de l’Education et les universités. On est des ambassadeurs des messages de la Croix-Rouge dans nos pays » raconte ce professeur irakien.
« Nous enseignons comment communiquer de manière efficiente la loi à de différents acteurs. C’est une responsabilité collective : les académiciens vont enseigner la loi aux étudiants qui deviendront des soldats demain, les juges vont condamner les soldats quand ils commettent des crimes internationaux, les diplomates vont ratifier les traités qui seront ainsi obligatoires, etc, » résume Omar Mekki.
Sur le front, les militaires ne pouvaient pas manquer à l’appel. Le chef de la direction du droit international humanitaire au sein de l’armée libanaise a notamment participé à la formation. « Le Moyen Orient et le monde arabe souffrent de différents types de conflits armés, qu’ils soient internes ou internationaux, et la réalité est que les victimes ce sont les civils, les blessés, les malades, les prisonniers de guerre, le détenus, etc. Les premiers concernés sont les combattants, mais au final les combattants ne sauraient rien à propos des lois de la guerre si les civils ne les leur communiquaient pas, » conclut le formateur.