Rachid Achachi: “Accueillir la misère du monde, et notamment celle de l’Afrique, va à l’encontre des intérêts des citoyens marocains”

Rachid Achachi est économiste et chroniqueur Crédit: RACHID TNIOUNI/TELQUEL

Smyet bak ?

Abdellah.

Smyet mok ?

Maria.

Nimirou d’la carte ?

G46168 (rire), je n’ai rien à cacher.

Suite à l’attentat d’Imlil, vous vous êtes prononcé pour le rétablissement de la peine de mort effective. C’est fort de café !

Non, pas du tout. Je pars de l’idée que la vie se mérite et que ce n’est pas un droit inaliénable. C’est un droit qui se travaille. L’humanité, ça s’entretient, et un individu qui franchit la ligne rouge et qui ôte la vie à un autre individu, de fait, perd son humanité et son droit à la vie. Le droit à la vie est sacré oui, mais peut se perdre en ôtant la vie à quelqu’un d’autre.

C’est une application stricto sensu de la Charia…

Oui. Mais je n’ai aucun complexe par rapport à cela. La Charia prise intelligemment et avec subtilité, en gardant la polysémie du texte coranique, permet une intelligence dans les rapports à la vie et à la mort. C’est ce qui manque grandement à la modernité.

Vous n’établissez aucun lien de causalité entre la faillite de l’éducation nationale et cette tendance à la radicalisation des esprits menant au passage à l’acte. Quelles en sont donc les causes, selon vous ?

Je condamne la lecture monocausale qui entend réduire le terrorisme à une question d’éducation et de pauvreté, renvoyant l’horreur aux pauvres. C’est une lecture qui implique une pluralité de causes et de variables. Et parmi ces variables sur lesquelles j’apporte un éclairage, il y a ce qu’on appelle l’anomie, c’est-à-dire, la perte de repères qui résulte du choc de la modernité dans le monde arabo-musulman, et qui crée un terrain fertile à l’accueil d’idéologies mortifères comme le wahhabisme.

Votre propos emprunte le vocabulaire du siècle des Lumières, mais semble dissimuler un fond très réactionnaire. Pouvez-vous nous dire une bonne fois pour toutes si vous prônez une idéologie d’extrême droite?

“Pour moi, c’est le Moyen-âge chrétien qui représente les Lumières. Cela peut choquer, mais je l’assume”

Rachid Achachi

Non. Je ne crois pas au clivage gauche/droite, que je trouve inopérant. Le vrai clivage au niveau national est un clivage de classes, c’est-à-dire, prolétaires/capitalistes, et souverainistes/mondialistes au niveau international. Quant aux étiquettes, elles m’importent peu. Et puis, par rapport au vocabulaire du siècle des Lumières, pour moi, ceux qu’on présente comme les symboles des Lumières, Diderot, Voltaire… représentent plutôt les ténèbres. Pour moi, c’est le Moyen-âge chrétien qui représente les Lumières. Cela peut choquer, mais je l’assume. Effectivement, j’emprunte le vocabulaire de la modernité pour mieux attaquer la modernité, donc, quelque part, je suis une sentinelle ou un saboteur (rires).

La politique de régularisation des migrants subsahariens trouve-t-elle au moins grâce à vos yeux?

Je pense que dans le monde contemporain, à chaque fois qu’on évoque un phénomène, il faut toujours y ajouter le mot marchand: la migration marchande, la mondialisation marchande… Au Maroc, nous avons un taux de chômage de 10% officiellement, beaucoup plus au niveau des jeunes. Dans cette configuration, accueillir la misère du monde, et notamment celle de l’Afrique, va à l’encontre des intérêts des citoyens marocains. Je ne suis pas contre le fait d’accueillir des gens en détresse, mais le faire dans une logique de planification dont la finalité est de casser des salaires, je dis non. Et d’ailleurs, il n’est pas étonnant que les premiers à s’être emparés de la question migratoire ont été la CGEM et les médias, c’est-à-dire ceux qui accompagnent les intérêts économiques des classes supérieures, tandis que personne n’a demandé son avis au peuple. Il est, du reste, évident que le peuple de base est fort mécontent de cette politique-là, qui n’en est qu’à ses débuts.

N’est-ce pas une pensée de droite?

Oui, si on veut s’inscrire malgré tout dans ce clivage, mais c’est une pensée souverainiste. Je pars du principe que j’ai un devoir moral plus important vis-à-vis du Marocain pauvre que vis-à-vis d’un étranger dans la même condition. Pour des raisons d’efficacité évidente, on peut plus facilement résoudre des questions à une échelle nationale, qui est une échelle incarnée, plutôt qu’à l’échelle mondiale ou continentale. Donc, ce qu’on peut souhaiter pour les migrants africains, c’est de lutter contre les oligarchies locales qui les privent de leurs richesses, plutôt que de risquer leurs vies en quittant leur pays.

Vous dites que la société marocaine souffre de schizophrénie, ou ce que vous appelez la pseudo-schizophrénie marocaine. Pas très original comme diagnostic…

J’emprunte un vocabulaire que beaucoup de gens peuvent comprendre, mais le terme scientifique qui permet de décrire notre réalité est l’archéo-modernité. Ce terme a été inventé par un sociologue russe du nom d’Alexandre Douguine, qui part de l’idée que dans un pays comme le Maroc par exemple, la modernité n’est pas tant notre destinée, elle l’est devenue par l’action conjuguée du colon et, ensuite, de l’élite. Or, ce choc de la modernité n’est pas parvenu à liquider le logos marocain qui lui préexistait. Ayant été détrôné par la modernité, le logos marocain s’est réfugié dans l’inconscient collectif. Ainsi sommes-nous désormais pris en otage par cette antinomie paradigmatique qui empêche l’antériorité marocaine de redevenir normative. Au final, nous produisons des citoyens chimériques qui ne sont ni intégralement modernes, ni intégralement traditionnels.

Vous recourez systématiquement à un vocabulaire amphigourique, voire ampoulé, êtres-vous sûr d’être compris?

“C’est vrai que mes interventions médiatiques peuvent paraître un peu élitistes, mais l’idée n’est pas de faire l’archéo-modernité expliquée à ma grand-mère !”

Rachid Achachi

J’ai au moins deux niveaux de discours. Le premier est conditionné par le cadre d’expression radiophonique qui s’inscrit dans une logique polémique limitée dans le temps. Si j’ai quatre minutes pour parler, je dois dire le maximum en quatre minutes, en espérant que les auditeurs approfondissent ensuite leurs pensées. Ensuite, il y a les conférences que je donne et qui durent une heure ou une heure et demie. Là, j’ai tout le loisir de détailler. C’est vrai que mes interventions médiatiques peuvent paraître un peu élitistes, mais l’idée n’est pas de faire l’archéo-modernité expliquée à ma grand-mère ! L’objectif est d’aider les gens à s’élever au niveau conceptuel plutôt que de les niveler par le bas. La demande existe. Les gens veulent comprendre.

Vous êtes à la fois adepte de Karl Marx et défenseur d’un retour au Coran comme moyen de repenser les questions relatives à la vie dans la cité. Ces deux positions ne sont-elles pas antinomiques?

“Nous pouvons proposer une autre lecture du dépassement du capitalisme, basée sur notre tradition”

Rachid Achachi

A priori oui, mais on pourrait dépasser la contradiction en partant de l’idée que Karl Marx s’inspire de Hegel dont il inverse les perspectives en lui donnant une lecture matérialiste. Karl Marx distingue différentes sphères culturelles, dont certaines sont caractérisées par une temporalité ouverte, qui donneront certes l’épopée bourgeoise mère du capitalisme, mais également la radicalité qui aboutira au communisme. Dans mon cas, je distingue deux Marx, celui de la critique la plus radicale du capitalisme, que je retiens car il est universel, et le Marx qui parle de la destinée du capitalisme et de son dépassement et qui est propre au monde occidental. Nous pouvons donc proposer une autre lecture du dépassement du capitalisme, basée sur notre tradition.

LE PV

Chroniqueur volontiers sulfureux, clivant à souhait et récemment promoteur d’une réactivation de la peine de mort, Rachid Achachi fascine en même temps qu’il dérange. Celui qui se présente comme un traditionaliste antilibéral, “capitalise” sur le terrain marxiste pour mener une lutte sans merci contre la modernité. Sa pierre angulaire est le dépassement du capitalisme en se basant sur le logos collectif marocain : la tradition. Armé d’une bonne rhétorique et d’un important bagage conceptuel, il sillonne les espaces de débat, tantôt radiophonique, tantôt académique, pour décortiquer le concept d’“archéo-modernité” et bousculer les zones de confort intellectuelles. “Je suis une sentinelle ou un saboteur”, dit-il, pas peu fier.

ANTÉCÉDENTS

1984: Voit le jour à un endroit qu’il refuse de dévoiler

2009: Obtient un master en macro-économie à Rabat

2014: Obtient son doctorat en économie à Kénitra

Dès 2012: Publie des articles où il critique les fondements néo-libéraux de la politique économique marocaine

2015: Introduit le concept d’archéo-modernité dans la sphère intellectuelle marocaine

2016: Rejoint la matinale de Luxe Radio

2016: Enseigne l’économie à l’ISGA de Rabat

2018: Enseigne la géopolitique à Elbilia Sup