Depuis plus de deux décennies, le Japon fait preuve de persévérance dans sa relation avec l’Afrique. Mieux, le pays du Soleil levant cherche à ménager ses partenaires. En témoigne la récente visite officielle, au Maroc, du ministre japonais des Affaires étrangères venu réaffirmer la non-reconnaissance de la RASD par son pays.
Car si de nombreuses puissances ont des vues ou jettent leur dévolu sur le continent africain, le Japon, lui, fait figure de partenaire particulier. Ses entreprises s’établissent progressivement en Afrique, le pays a investi le domaine sécuritaire et met en place un programme d’aide publique au développement pour soutenir la croissance du continent. S’il n’est pas forcément le nom auquel on pense en premier, le Japon reste un partenaire de premier plan pour de nombreux pays africains. Le sommet TICAD, pour Conférence international de Tokyo sur le développement de l’Afrique, constitue la figure de proue cette coopération, lancée depuis 1993.
550 millions de dollars pour la paix
Tenue à l’initiative du gouvernement nippon, le TICAD est organisée conjointement organisée avec plusieurs agences des Nations unies, la Banque mondiale et l’Union africaine. Cette année, elle se tiendra, pour la troisième fois, à Yokohama, du 28 au 30 août 2019. La précédente, en 2016, s’est tenu pour la première fois en Afrique, à Nairobi, preuve de l’enjeu autour de ce sommet, devenu l’un des plus important concernant l’avenir du continent.
Le Japon, par cette manifestation, entend déployer son modèle de coopération. L’aide publique mise à part, le gouvernement nippon soutient l’implantation de ses entreprises avec un modèle qui se veut respectueux des valeurs traditionnelles locales et de l’environnement. « Il faut savoir qu’au Maroc, déjà soixante-quatre entreprises japonaises sont implantées », nous explique Kasumi Kobayashi, maire adjoint de la ville de Yokohama.
L’élu était intervenu à plusieurs reprises pour parler du modèle japonais de développement urbain, lors du sommet Africités de Marrakech organisée du 20 au 24 novembre. « Au Japon, nous pensons que le continent africaine et notre pays doivent s’aider et viser à un développement mutuel. Cette philosophie existait chez nous bien avant l’adoption de la déclaration de Tokyo sur le développement de l’Afrique, lors du premier TICAD », poursuit-il.
Depuis 2013, et le TICAD V également à Yokohama, les relations nippo-africains ont connu un tournant. Le Japon a consacré 550 millions de dollars pour la paix et la stabilité en Afrique. Six d’entre-eux étaient attribués à la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) et 540 allouées aux victime de ce conflit au Sahara. Lors du dernier TICAD VI, il apparaissait que l’Afrique représentait 28% de l’aide financière non-remboursable du Japon, 15% de la coopération technique et 4% des prêts confessionnels consentis par le Japon.
« Beaucoup à apprendre de l’Afrique »
Les échanges commerciaux entre le Japon et l’Afrique s’élevaient, en 2015, à 24 milliards de dollars. Une somme qui reste très loin du rival régional chinois dont le partenariat était de 179 milliards. Si la nouvelle route de la soie chinoise passe désormais par le continent noir, le Japon reste loin de vouloir déployer une stratégie aussi soutenue d’investissement que celui de l’Empire milieu. Au contraire, elle privilégie davantage la coopération.
« Nous avons beaucoup à apprendre de l’Afrique », concède, à TelQuel, Kasumi Kobayashi. Dans l’esprit du député-maire adjoint, un exemple vient en tête : la question de l’emploi des femmes. « À Yokohama, nous avons la première femme-maire du Japon et elle est particulièrement sensible à ce sujet. Nous avons pu observer que dans beaucoup de pays africains, beaucoup de femmes travaillent dans le secteur privé et public. Nous sommes particulièrement attentifs à cette évolution pour faire avancer la place des femmes dans la société japonaise », indique-t-il, tout en mentionnant que plusieurs femmes entrepreneurs africaines ont fait le déplacement, en 2016, pour faire part de leur expérience.
« La ville de Yokohama poursuivra ses efforts afin d’approfondir la coopération avec les pays africains au niveau des villes, tout en partageant activement son expérience en développement urbain et ses solutions innovantes aux enjeux d’urbanisme », a quant à elle fait savoir Fumiko Hayashi, mairesse de Yokohama au moment où sa ville fut choisie pour accueillir le TICAD VI. Yokohama. Considérée comme « la ville japonaise la plus proche de l’Afrique », la ville accueillera cet été son troisième sommet TICAD après 2008 et 2013. Un septième sommet qui s’articulera autour d’axes majeurs de développement comme le renforcement d’échanges entre citoyens, le soutien à l’entreprenariat ou l’aide à la coopération technique.
« Dans le cadre de la question d’approvisionnement en eau, lors de l’année 2017, nous avons accueilli 546 stagiaires venant de quarante-sept pays africains, et avons envoyé soixante-six employés municipaux dans treize pays du continent », détaille Kasumi Kobayashi. L’élu cite l’amélioration des activités d’adduction d’eau au Malawi en 2014 ou encore les projets, intégralement financée par le bureau municipal des eaux de la ville, et initiés par la Yokohama Water Co.,Ltd pour réduire l’eau non comptabilisé au Nigéria et au Rwanda.
Transition verte et multiculturalisme
Avec ses plus de 3,7 millions d’habitants, la ville de Yokohama est la deuxième ville du Japon derrière l’agglomération de Tokyo. Alors qu’elle a, pendant des décennies, souffert de problèmes environnementaux nuisant à son attractivité, la métropole est devenue en vingt-cinq ans, un exemple mondial de Smart city. Autour d’une politique urbaine, dont le port de commerce Minato Mirai 21 constitue la clé de voûte, Yokohama a entamé une métamorphose verte appuyée par une politique environnementale et d’innovation sociale. « Notre tissu économique est aujourd’hui composé de 98% de PME et nous souhaitons apporter au continent africain notre expérience d’intégration de ces entreprises », ajoute le maire adjoint de Yokohama.
En ce sens, la gestion des déchets en Afrique figure comme l’un des points clés traités lors du prochain sommet TICAD. La Plateforme africaine des villes propres (ACCP) en est l’un des exemples. Créée en 2017 avec l’appui du ministère japonais de l’environnement et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), une trentaine de pays africains s’étaient concertées pour la première réunion annuelle, à Rabat, fin juin dernier. Indispensable dans la réalisation Objectifs de développement durable à l’horizon 2030, la gestion des déchets en Afrique sera débattue lors du prochain sommet à travers l’exemple de Yokohama.
« TICAD IV et TICAD V ont rapproché Yokohama de l’Afrique », souligne Kobayashi. L’élu voit dans ce partenariat un moyen d’oeuvrer au multiculturalisme. « En 2008, chaque école de Yokohama a choisi un pays africain et durant une année, les élèves ont approfondi leur connaissance sur le pays en question, détaille-t-il. Avant de conclure : C’est une campagne qui existe toujours, depuis dix ans donc, sauf qu’elle a été agrandie à l’ensemble des citoyens de Yokohama. Aucune municipalité japonaise ne mène une campagne similaire ».