A Marrakech, l'automne politique d'Angela Merkel

Angela Merkel a fait une apparition remarquée le 10 décembre à Marrakech à l’occasion de l’adoption du Pacte de l’ONU sur les migrations. Si elle a tenu un discours fédérateur en faveur du multilatéralisme, la chancelière allemande est néanmoins au crépuscule de sa vie politique... en Allemagne du moins.

Par

Yassine Toumi/TelQuel

L’image contraste avec l’idée que l’on se fait d’Angela Merkel. Connue pour ses allures austères qui accompagnent généralement sa célèbre « Merkel-Raute » (sa posture des mains en losange grâce à laquelle on la reconnait partout dans le monde), la chancelière allemande est au contraire apparue en toute décontraction le 9 décembre aux environs de la place Jamaâ El Fna, à Marrakech, allant même jusqu’à semer son protocole pour s’installer en terrasse du Café de France.

Quelques heures plus tard, lors d’un dîner en son honneur organisé par le Chef du gouvernement Saad Eddine El Othmani, la chancelière allemande est apparue encore plus détendue qu’à l’accoutumée. L’objectif était de « discuter des relations bilatérales entre les deux pays et de la manière de les développer à plusieurs niveaux ». Selon nos informations, l’hôte marocain secrétaire général du PJD avait pris soin de prévoir du vin pour sa convive.

Faut-il voir dans cette aisance affichée, le début d’un automne politique pour celle qui s’apprête à quitter la scène politique allemande en 2021, après une quinzaine d’années passées à la résidence de la chancellerie allemande, le Bundeskanzleramt ? Tout porte à le croire. Car avec l’adoption du Pacte mondial pour « des migrations sûres et ordonnées » à Marrakech, Angela Merkel a amorcé l’un de ses derniers grands chantiers de sa vie politique.

« L’heure est venue »

À Marrakech pour l’adoption du Pacte mondial, Angela Merkel était la seule haute représentante d’un pays du G7 à faire le déplacement. Un texte « qui vaut la peine de se battre pour lui », a affirmé la chancelière allemande, le 10 décembre, dans un discours remarqué sur la défense du multilatéralisme. « Il est évident que ces objectifs ne pourront être atteints que grâce à la coopération multilatérale », a insisté, d’emblée, Angela Merkel. Avant d’ajouter : « Nous pouvons dire que l’heure est venue, soixante-dix ans après l’adoption de la Déclaration des droits de l’Homme, de nous pencher enfin sur la question des migrations ».

Seule haute représentante d’une puissance mondiale présente à Marrakech, la chancelière allemande, Angela Merkel, a rappelé que “l’atteinte des objectifs de développement durable, à l’horizon 2030, et la mise en œuvre du pacte sont indissociables”.Crédit: TOUMI/TELQUEL

« Chaque État est souverain de ses propres intérêts et cela est clairement exprimé dans le pacte », poursuivait-elle à l’intention des pays qui ont ouvertement affiché leur opposition au texte, quand d’autres ont connu de vifs débats au sein de leurs appareils étatiques. « Il indique également que tous les pays, en tant qu’État souverain, pourront déterminer leur politique migratoire », renchérissait Angela Merkel.

Si elle a aussi rappelé dans son discours le passé de l’Allemagne marqué par le nazisme, la chancelière a également insisté sur les opportunités locales que peuvent représenter de tels flux. En matière d’emploi notamment : « Étant donné la croissance démographique en Allemagne, nous aurons besoin de davantage de main-d’œuvre que le reste du monde ». Confrontée, à l’image de nombreux pays de l’Union européenne (UE), au vieillissement de sa population, la chancelière indiquait voir ainsi la libre-circulation des personnes d’un bon œil.

Autant de déclarations qui prouvent l’attachement de la chancelière allemande à cette question et qui ont valu à la chancelière un standing ovation des quelque 160 délégations présentes dans la ville ocre. Mais ce positionnement lui a également été reproché, par l’opposition allemande, mais aussi jusqu’au sein de son propre parti dont certains membres étaient opposés à l’adoption du Pacte.

Contre vents et marées

À la fin du mois de novembre, le texte de Marrakech a en effet enflammé le débat politique en Allemagne. En cause ? Les mesures coercitives que pouvait amener le document. Si la chancelière l’a défendu dès ses débuts, l’AfD (Alternative für Deutschland, parti d’extrême droite) s’est montrée très critique vis-à-vis du texte, y voyant une « incitation supplémentaire à l’immigration en Allemagne». « Le Pacte de Marrakech dissimule les dangers potentiels pour la sécurité nationale de la criminalité immigrée », proclamait encore l’extrême droite allemande, qui a pris l’habitude de prendre Angela Merkel pour cible. «Merkel muss weg» (Merkel doit partir, NDLR), entendait-on systématiquement dans les meetings et les défilés de l’AfD, visant la chancelière et sa politique migratoire. « La chancelière vend le peuple », écrivait un éditorialiste du Spiegel en citant un courrier de lecteur.

Jusqu’au sein de sa propre famille politique, la CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, libéral conservateur), la question du Pacte et de la politique migratoire allemande plus généralement a suscité des remous. Jens Spahn, actuel ministre allemand de la Santé, avait fait campagne pour que la décision de l’Allemagne soit réglée après un vote au Bundestag. Motif ? « L’impression que nous avons quelque chose à cacher avec ce pacte ». Néanmoins, rapidement, la CDU a dans son ensemble réaffirmé son soutien à la position de la chancelière. « Le gouvernement fédéral soutient ce pacte », a déclaré, le 19 novembre à Berlin, le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert.

En filigrane de ces discussions au sein du parti, il était également question de la succession de Merkel à la tête de la CDU. Si Jens Spahn, qui défend une fermeté sur l’immigration, était l’un des trois candidats à la succession, il était également celui qui avait le moins de chance de l’emporter. Les deux autres pressentis au poste étaient Friedrich Merz, millionnaire décomplexé et Annegret Kramp-Karrenbauer (surnommé « AKK »), sur la même ligne modérée que Merkel. Non sans quelques positions fermes sur certains sujets, l’opposition au mariage pour les couples de même sexe entre autres. C’est finalement AKK, au terme d’un vote serré des 1.001 délégués du parti, qui a été désignée, le 7 décembre, avec 517 voix contre 421 pour Merz pour succéder à Angela Merkel. La fin d’un règne long de plus de dix-huit années, pour la chancelière qui est à la tête du parti depuis avril 2000.

Clap de fin

La chancelière a vu sa crédibilité mise à mal lors des derniers mois. Déjà contestée dans ses rangs et dans l’opinion publique, deux scrutins régionaux d’octobre dernier ont cristallisé les revers d’Angela Merkel. Sa coalition avec le parti social-démocrate allemand (SPD), décidé en mars, a rapidement pris du plomb dans l’aile au point d’apparaître au bord de l’implosion après les derniers échecs électoraux.

« La CDU n’a pas su convaincre suffisamment les électeurs », a estimé la chancelière après le revers d’octobre. « L’élection d’hier doit être une césure. Il doit y avoir une chance pour la CDU, la CSU et le SPD d’identifier les éléments de paix dans le pays et de vivre ensemble, » poursuivait-elle.

Les prémices du déclin de Merkel sur la scène politique allemande remontent à quelques années en amont, provoquées justement par la question migratoire. L’opinion publique n’a que peu goûté sa décision politique d’ouvrir les frontières à plus d’un million de demandeurs d’asile entre 2015 et 2016. Le 29 octobre, la mine grave, elle annonce officiellement avoir tiré les conclusions de cette défaite. « Je crois que nous avons besoin de tourner la page. Ce mandat est mon dernier en tant que chancelière. Je ne solliciterai aucune fonction politique après la fin de mon mandat en 2021 ». La tête de la CDU, et de sa mandatée chancelière, constituaient le socle de son autorité. Or, ce quatrième mandat, pour lequel elle a été réélue d’une courte tête en septembre 2017, sera assurément son dernier.

« Angela Merkel avait raison »

Merkel peut néanmoins se targuer d’avoir reçu un soutien pour le moins inattendu. Le 14 décembre, le patronat allemand se félicitait de l’intégration très rapide des migrants sur le marché du travail allemand en invoquant des chiffres « très enthousiasmants » pour la plus grande économie européenne. « Sur les plus d’un million qui sont arrivés en particulier depuis 2015, 400.000 d’entre eux suivent une formation par alternance ou ont décroché un emploi », a détaillé Ingo Kramer, le dirigeant de la Fédération des patrons allemands BDA. « Je suis moi-même surpris que cela aille si vite,  » commentait-il.  Conclusion du patronat ? « Finalement, Angela Merkel avait raison avec sa phrase ‘wir schaffen das’ (on va y arriver). Beaucoup de réfugiés sont devenus un soutien pour l’économie allemande ».

C’est au nom de ce vivre-ensemble que la chancelière voulait marquer sa présence à Marrakech. Si d’après elle, les objectifs de développement durable à l’horizon 2030 et l’adoption de ce pacte de Marrakech sont « indissociables », Merkel s’est surtout distinguée par cette volonté fédératrice. « Ce partenariat qui noue l’Europe et l’Afrique revêt de la plus haute importance à l’heure de mettre en œuvre les objectifs énoncés dans ce pacte, » proclamait-elle à Marrakech, fidèle à sa ligne.