FIFM 2018 : cinéma, carrière, engagement... Les confidences de la cinéaste française Agnès Varda

En marge de la 17e édition du Festival international du film de Marrackech, la cinéaste Agnès Varda se livre. Récompensée par le prix de l’Étoile d’Or, cette icône du 7e art français nous parle de son cinéma engagé, de la "révolution des petites caméras" et de dignité humaine.

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Agnès Varda. © Yassine Toumi

Un demi-siècle après son premier voyage à Marrakech « en tant que touriste », la cinéaste, documentariste et plasticienne française, Agnès Varda est de retour dans la ville ocre. Et, cette fois-ci, cette grande dame du cinéma français ne repart pas les mains vides : le festival international du film de Marrakech (FIFM) lui a rendu hommage, le 2 décembre, pour l’ensemble de son œuvre en lui décernant le prix de l’Étoile d’Or. C’est émue et aux côtés de Martin Scorsese, que Agnès Varda s’est vue être récompensée par ce prestigieux titre remis en mains propres par ses enfants.

Engagée, humble et décalée

Un prix amplement mérité. L’oeuvre de la cinéaste française, âgée de 90 ans, est tout aussi monumentale qu’engagée. Dans les années 1940, installée à Paris, la jeune Agnès Varda commence par faire de la photographie avant que le cinéma ne s’impose à elle « comme une nécessité », affirme-t-elle. C’est alors en 1995 que la cinéaste en herbe signe son premier long-métrage : La pointe courte – dont le montage a été réalisé par Alain Resnais. Cette chronique sociale filmée dans un petit village français de pêcheurs et réalisée avec de petits moyens, pose les bases des trublions du cinéma français de la Nouvelle vague – mouvement de la fin des années 1950 qui rassemble des cinéastes de l’époque pratiquant une nouvelle façon de produire, de tourner et de fabriquer des films.

Sept années plus tard, l’artiste réalise Cléo de 5 à 7. Une fiction faisant part de l’angoisse d’une chanteuse parisienne en vogue en attente de résultats d’un examen médical. Un film qui fait date. Ce long-métrage vient en effet confirmer le talent de l’une des rares cinéastes qui est parvenue à s’imposer dans un milieu essentiellement masculin. Et, ce qui épate surtout chez Agnès Varda, c’est son rapport élastique au monde : la cinéaste filme tout aussi bien la Riviera Méditerranéenne (Du côté de la côte, 1958), que l’histoire d’amour entre Louis Aragon et Elsa Triolet (Elsa la rose, 1966).

Également engagée, elle se positionne contre la guerre au Vietnam avec le documentaire collectif impulsé par Chris Marker (Loin du Vietnam, 1967), se solidarise avec les Black Panthers dans un documentaire éponyme, ou encore met l’engagement féministe en valeur dans L’une chante, l’autre pas (1977). Le travail et la vie de don ancien compagnon Jacques Demy, sont également mis à l’honneur dans l’oeuvre de la cinéaste avec Jacquot de Nantes (1991) ou Les demoiselles ont eu 25 ans (1993).

Agnès Varda part aussi à la rencontre des autres, « ceux qu’on a tendance à oublier ». A l’image de son reportage Les Glaneurs et la glaneuse (2000), ou plus récemment du documentaire Visages,Villages (2017), réalisé avec le photographe et street artiste JR. Infatigable, en plus d’explorer les arts visuels ainsi que les nouveaux modes d’expression, Varda prépare actuellement son prochain documentaire. « Une sorte de conférence, pas très ennuyeuse j’espère, pour parler de mon travail, mes voyages, des personnes que j’ai rencontrées durant mon parcours », résume-t-elle.

Aujourd’hui, qu’elle soit historiquement associée à la bande française de la Nouvelle vague (Éric Rohmer, Jean Luc Godard ou François Truffaut…), ou à celle de la rive gauche (Chris Marker, Alain Resnais…), Agnès Varda a indéniablement marqué son temps, mais garde les pieds sur terre et la tête bien froide. Rencontrée en marge de la 17e édition du FIFM, cette figure du 7e art français nous raconte son cinéma, son regard sur le monde et son rapport à la vieillesse.

Son cinéma : documenter l’humanité 

« Je fais un cinéma qui ne rapporte pas d’argent, mais je l’assume. Je propose une vision assez intimiste de mon environnement, je montre des gens qui me touchent et qui participent à la construction de mes œuvres. Dans mon premier long-métrage, « La pointe courte »,  j’ai filmé les tracas du quotidien des pêcheurs de Sète. Dans « Cléo de 5 à 7 », j’ai exploré notre rapport au temps, le temps objectif, celui des pendules, mais aussi celui qui ne bouge pas. Avec « Le Bonheur », j’ai tenté de faire exalter la couleur, la beauté et le désir d’un simple menuisier. J’ai filmé l’enfance difficile de Jacques Demy et son désir précoce de faire du cinéma dans « Jacquot de Nantes », et j’en passe… »

« Finalement, je me rends compte que l’ensemble de mon travail est lié à l’Autre et mon dernier documentaire, « Visages,Villages », que j’ai réalisé avec JR, résume très bien cet état d’esprit. Nous sommes allés à la rencontre des gens vrais et simples, qu’on a tendance à oublier. Je trouve qu’il y en a marre des flots d’images factices et superficielles, nous avons besoin de nous réconcilier avec nous même et avec les autres. Le facteur, le serveur, le fermier… méritent aussi d’être représentés. Et je me battrai, tant que ma santé me le permet, pour perpétuer et documenter cette noble idée de l’humanité. »

La révolution des petites caméras : filmer sans brusquer  

« Avant, j’ai travaillé avec de grandes équipes, nos tournages étaient imposants. Puis j’ai découvert, au début du siècle, les petites caméras, c’était une révolution pour moi. Parfois j’ai presque pu tourner seule, ça m’a appris à être au plus proche des personnes que je filme, sans qu’il y ait trop de barrières, trop d’artifices. Je me rappelle que pour « Les glaneurs et la glaneuse », j’ai essayé d’être la moins brutale possible. Je suis allée voir voir, d’abord seule, ces personnes qui ramassent ce que nous jetons. Je les ai écoutés, je leur ai parlé et ensuite j’ouvrais la possibilité de venir avec d’autres techniciens. C’est important de ne pas brusquer les gens, de les approcher avec délicatesse sinon ça ne marche pas. Et le fait qu’il existe désormais de petites caméras discrètes, c’est une aubaine pour moi ».

La dignité : donner la parole aux « sans-voix »

« Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, que ce soit en France, au Maroc ou ailleurs, est révélateur d’un malaise. Les gens ordinaires souhaitent simplement avoir du travail, vivre dignement et, si possible, avec un peu de bonheur. Vous allez me dire que je parle de choses évidentes, mais de nos jours on se rend compte que ces principes se perdent. Et ce sont les personnes les plus démunies qui en sont victimes. C’est donc tout à fait normal qu’ils ne soient pas contents et qu’ils réagissent de manière plus ou moins virulente ou violente. Ces personnes, je les comprends, je tente de leur donner la parole, c’est pour cette raison que mes films sonnent comme une résonance face à la tyrannie de nos sociétés modernes. C’est réconfortant pour moi, car ça me rapproche de ma condition d’être humain. »

La vieillesse : ne pas flancher face à la fatalité de la vie

« Je trouve cela fascinant, qu’à mon âge, je puisse interagir avec des artistes qui ne sont pas de ma génération. Par exemple, JR a 55 ans de moins que moi, mais on travaille ensemble de bon cœur, on a réussi à trouver des points de rapprochements qui nous permettent d’aller au-delà des statistiques de l’âge. C’est réconfortant pour moi. Je défends la vieillesse active et je ne cesse de dire : ‘Ne poussez pas mamie dans les orties’ ! Il y a beaucoup d’hommes et de femmes âgés qui ont encore des choses à faire et à dire. Il y a ceux qui acceptent d’être mis de côté avec l’âge, mais ce n’est pas mon cas. Je travaille depuis des décennies et je continuerai à le faire tant que ma santé me le permet. »