Ils sont près de 400 personnes ce 22 novembre à se presser dans la salle de conférence de l’hôtel Sofitel de Rabat. Ministres, ambassadeurs, représentants de think tank ou journalistes, ils vont venus de 35 pays pour participer à la troisième édition de l’Africa Security Forum.
A l’origine de cet évènement deux think tanks, le Forum international des technologies (FITS), dirigé par l’ancien chef d’entreprise et responsable du renseignement français Alain Juillet, et le centre de recherche Atlantis fondé par le Marocain Driss Benomar. Ancien responsable de la coopération internationale au ministère de l’Intérieur, il a quitté la fonction publique au début des années 2000 pour fonder Al Omra Group International. Derrière ce nom, un cabinet de conseil spécialisé dans « l’ingénierie de défense » et « l’intelligence stratégique ».
Il fonde ensuite le centre Atlantis qui, avec la collaboration du FITS, initiera en 2016 l’Africa Security Forum. « Le monde devient de plus en plus petit tandis que ses problèmes deviennent de plus en plus importants. Il est donc nécessaire de collaborer et de communiquer hors des canaux officiels entre États, » pose Driss Benomar pour résumer l’idée du forum.
L’évènement fait également office de vitrine pour les activités du centre de recherche Atlantis alors que les écrans situés autour de la salle de conférence font défiler des présentations montrant les activités d’Al Omra Group. C’est en outre un robot estampillé du nom de l’entreprise fondée par Driss Benomar qui invite les participants à rejoindre la salle de conférence lors de l’ouverture du forum.
Boutayeb et Jazouli en guest stars
Cette année, ce sont les thématiques de la migration, du développement africain et de la cyber sécurité qui ont occupés les débats de l’audience. Des thématiques sur lesquelles se sont exprimées le ministre délégué à l’Intérieur Nourredine Boutayeb et le ministre délégué chargé de la Coopération africaine Mohcine Jazouli qui ont inauguré l’évènement en guest stars.
Lors de son intervention, Nourredine Boutayeb a listé les réalisations du Maroc dans le domaine de la migration et de la lutte contre le terrorisme. Sont notamment évoquées l’initiative marocaine ayant permis la régularisation de près de 50.000 migrants entre 2014 et 2017, ainsi que la politique ayant conduit au démantèlement de 185 cellules terroristes et à l’arrestation de 3.000 personnes depuis 2002. Dans son discours, le ministre salue également le travail effectué par les services de sécurité du Royaume qui ont pu déjouer plusieurs projets terroristes grâce à « leur maitrise de l’espace cybernétique ».
Après avoir listé les principaux enjeux sécuritaires auxquels fait face le Maroc, nommément le terrorisme, la criminalité transnationale, les attaques cybernétiques et la migration irrégulière, le ministre conclut son intervention sur un appel pour le renforcement de la coopération internationale. À ce titre, il rappelle que le Maroc a signé près de 40 accords de coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.
De son côté, Mohcine Jazouli insiste sur la nécessité de s’attaquer aux « causes des menaces sécuritaires ». À ce titre, le ministre chargé de la Coopération africaine a mis en avant les politiques marocaines comme l’Initiative nationale de développement humain, la réforme du Code du travail ainsi que la nouvelle moudawana. Devant une audience composée de participants venus de 20 pays africains, Mohcine Jazouli a déclaré que le Royaume souhaitait « partager son expérience » pour « combattre l’origine des menaces sécuritaires ».
Place aux débats
Après les discours, place aux débats placés sous la règle de la Chaltham House Rule. Une règle en vertu de laquelle les idées exprimées par les panellistes peuvent être retranscrites sans toutefois révéler leurs noms ni l’organisation à laquelle ils sont rattachés, et raison pour laquelle les citations qui suivent sont anonymisées.
Lors du premier panel consacré à la thématique de la « migration et du développement africain », un intervenant estime que le phénomène de la migration clandestine africaine pourrait prendre de l’ampleur si les acteurs économiques internationaux ne se mettent pas au diapason des changements économiques auxquels le continent doit se préparer avec la mutation démographique. Car selon les projections, un quart de la population mondiale sera africaine à l’horizon 2050. Dans cette optique, cet intervenant suggère la création de « nouveaux modèles » pour le développement des pays africains privilégiant des technologies comme le paiement mobile. Cet expert a également appelé les pays africains à se rassembler pour identifier les défis à venir dans le domaine de l’éducation. Pour cet interlocuteur, le développement de l’Afrique passe également par un soutien financier des fonds de placement privés qui doivent « apprendre à s’adapter au contexte africain ».
25 % de la population mondiale sera africaine à l’horizon 2050
Un autre panelliste insiste quant à lui sur la nécessité pour le continent africain de « se défaire de la malédiction des ressources naturelles ». Selon ce panelliste, les pays africains, dont le PIB combiné sera au même niveau que celui de l’Europe en 2050, doivent se repositionner dans la chaine de transformation à travers l’appropriation des technologies. Un repositionnement qui passe par le renforcement de l’éducation, mais également par une promotion de la démocratie sur le continent qui permettra de rendre les investissements plus « viables ».
Un troisième intervenant a préféré s’attarder sur les points positifs de la migration. Évoquant le cas du Zimbabwe, ce panelliste a affirmé que l’Afrique de l’Est avait mis en place une politique de dialogue avec les Zimbabwéens à l’étranger. Celle-ci a permis de mettre en place des incitations pour encourager cette population à investir dans son pays d’origine tandis que des structures de dialogue ont été mises en place pour permettre au pays de bénéficier de leur expertise et de compétences.
La cybersécurité, une thématique « capitale »
Après une courte pause déjeuner, c’est autour des thématiques de cybersécurité, des cyberattaques et de l’e-réputation que les participants se sont retrouvés. Des sujets ayant une « importance capitale » pour Thierry Delville, vice-président du FIDS et ancien délégué ministériel aux Industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces au ministère de l’Intérieur français.
« Toutes les problématiques sont influencées par le numérique. Cela crée des risques par rapport auxquelles il faut être sensibilisé. Dans l’espace cyber, le risque zéro n’existe pas et il faut donc élever le niveau de connaissance générale de façon à rendre les attaques moins atteignables, » explique l’expert pour qui « le manque de confiance dans le numérique risque d’affaiblir plusieurs pans des économies nationales ».
Pour Thierry Delville, les PME doivent également être sensibilisées à ces problématiques. « Les PME doivent être préservées, car elles permettent de générer de l’emploi. Mais si elles attendent que les États fassent quelque chose, elles vont encore devoir attendre longtemps. Il faut que les acteurs économiques se prennent en charge […]. De plus en plus souvent, ce sont des attaques informatiques qui font tomber les entreprises. Ce fut notamment le cas suite à l’attaque « Wanna cry » (un logiciel malveillant cryptant les données d’un ordinateur, ndlr) qui a empêché certaines entreprises d’accéder à certaines données stratégiques, » explique-t-il.
Des risques auxquels sont exposés des entreprises basées au Maroc, comme l’affirme un panelliste lors de la deuxième discussion de la journée. Victime d’un vol de base de données, un call-center basé au Maroc a dû relocaliser ses activités en Espagne entrainant la perte de dizaines d’emplois. Pour cet intervenant, il est nécessaire pour des pays comme le Maroc de mettre un place un « arsenal législatif dans ce domaine » sachant que 80 % des attaques au niveau mondial visent les entreprises.
Sur Internet un contenu faisant l’apologie du terrorisme peut devenir viral en une heure.
Le cyberespace et les réseaux sociaux constitueraient également un danger dans ce sens qu’ils permettent la diffusion de messages faisant l’apologie du crime ou de propagande. Pour l’un des panelistes, les États doivent renforcer leur coopération avec les diffuseurs de contenu comme Facebook, même si les temps de traitement des requêtes émanant des États peuvent prendre du temps étant donné les divergences de législations en vigueur dans chaque pays. Selon cet expert, un contenu faisant l’apologie du terrorisme doit être supprimé pendant la « golden hour », ces soixante minutes pendant lesquels ces contenus doivent être supprimés avant de devenir viraux.
Ambitions
À termes, l’Africa Security Forum ambitionne de devenir la référence dans le domaine de la sécurité en Afrique. À l’issue de l’évènement, le fondateur d’Atlantis, annonce la création de l’Africa Security Network en vue de créer un réseau de think tanks spécialisés dans les questions de sécurité et compte maintenir l’organisation de tables rondes consacrées à des thématiques comme la sécurité informatique et la cybernétique qui viendront alimenter le contenu de l’Africa Security Forum.
« Quand vous avez 100 chercheurs qui pensent à un problème ce n’est pas comme trois fonctionnaires devant réfléchir dans l’urgence »
Alors que les travaux d’Atlantis sont actuellement envoyés aux centres de recherches, Driss Benomar ambitionne de porter conseil aux États. « Pour l’instant au Maroc, il n’y a pas de véritables relations entre les think tanks et les institutions. Mais ça va arriver, les pays développés travaillent de manière quotidienne avec les think tanks. Les grands think tanks sont adossés à des grands ministères. Quand vous avez 100 chercheurs qui pensent à un problème ce n’est pas comme trois fonctionnaires devant réfléchir dans l’urgence, » déclare-t-il. Une expertise qui pourrait être renforcée d’ici la prochaine édition de l’Africa Security Forum prévue à Rabat pour le mois d’octobre 2019.