A Bruxelles, les activités d’une fondation proche du Maroc suscitent des interrogations

Dans un article publié le 23 novembre, le site d'information euobserver affirme que la fondation EuroMedA, fondée par Gilles Pargneaux eurodéputé proche du Maroc, agit en tant que lobbyiste pour le compte du royaume dans le cadre de l'examen de l'accord agricole Maroc-Union européenne. Ce dont l'élu européen se défend. 

Par

Gilles Pargneaux, eurodéputé et fondateur de la fondation EuroMedA lors du forum Crans Montana à Dakhla en 2017. Crédit: Friends of Crans Montana/ Facebook

Une publication qui pourrait bien faire des remous du côté de Bruxelles. Dans un article publié le 23 novembre, le site d’information euobserver aborde le sujet de EuroMedA, fondation créée en juillet dernier par l’eurodéputé français et coprésident du Groupe d’amitié parlementaire Maroc-Union européenne, Gilles Pargneaux. Dans cet article le média spécialisé dans les affaires européennes suggère que cette organisation, qui affirme vouloir renforcer « les échanges, les dialogues, les réflexions » dans le cadre de la « réalisation d’une véritable aire commune européenne, méditerranéenne et africaine », défend les intérêts marocains auprès du parlement européen en tant que lobby.

Des fondateurs proches du Maroc

Contacté par euobserver, Gilles Pargneaux affirme que la création de EuroMedA émane d’une « proposition personnelle et n’a rien à voir avec le Maroc », tout en précisant que la fondation n’est pas liée à ses activités en tant qu’eurodéputé. Si sur son site, EuroMedA indique que sa vocation est « de renforcer et promouvoir un espace euro-africain cohérent, à prospérité partagée et stable, avec la Méditerranée en son cœur », il est tout de même spécifié que le Maroc est la « clé de voûte de la construction de l’espace européen, méditerranéen et africain ».

En plus de Gilles Pargneaux, la fondation liste deux autres fondateurs sur son site. L’un d’eux est Mohamed Cheikh Biadillah, ancien ministre, président de la Chambre des conseillers et actuel coprésident du Groupe d’amitié parlementaire Maroc-Union européenne. Et, il y est qualifié en tant que le vice-président de EuroMedA.

Désigné comme secrétaire général de la fondation, Alain Berger, actuel directeur exécutif stratégique du bureau bruxellois du cabinet de conseil en communication et en affaires publiques Hill+Knowlton, est également mentionné en tant que fondateur de EuroMedA. A noter que c’est dans les locaux bruxellois du cabinet que l’organisation est abritée.

Les locaux de la fondation EuromedA sont situés à 150 mètres du Parlement européen.

Interrogé à ce sujet par euobeserver, Alain Berger affirme que son entreprise « sous-loue des espaces bureaux » dans ces locaux situés à 150 mètres du siège bruxellois du Parlement européen. En 2016, Hill+Knowlton était enregistré en tant que cabinet de conseil travaillant pour le compte de la représentation du Maroc auprès de l’Union européenne avec des services facturés entre 200.000 et 299.999 euros.

Une fondation à l’accent marocain

13 personnes siègent actuellement au conseil d’administration de EuroMedA. Parmi elles : cinq noms marocains. On y retrouve notamment l’ancien ministre des Affaires étrangères et actuel président de la CGEM, Salaheddine Mezouar, l’ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères et actuelle secrétaire d’Etat à l’Agriculture, Mbarka Bouaida, ou encore l’ancien ministre de l’Education, Abdellah Saaf.

Dans la liste de ces administrateurs, une eurodéputée roumaine est également présente, tout comme un élu européen de nationalité polonaise, ou encore la vice-présidente du Groupe d’amitié parlementaire France-Maroc, ainsi que Patricia Lalonde, rapporteuse de la Commission du commerce international du Parlement européen.

Plus récemment, l’eurodéputée s’est entretenue avec l’un des trois fondateurs de la fondation EuroMedA en la personne de Mohamed Cheikh Biadillah venu visiter Bruxelles en tant que coprésident du Groupe d’amitié Maroc-Union européenne en compagnie de cinq autres élus marocains.

L’article de euobserver indique aussi que « Pargneaux, à travers sa fondation, a invité à deux reprises le groupe OCP, à travers son Think-Tank OCP Policy Center, pour mener des discussions au Parlement européen sur l’importance de maintenir les relations de l’UE avec le Maroc ».

Des membres impliqués

Au cours des derniers mois, plusieurs membres de la fondation ont été impliqués dans des discussions et dans l’élaboration de la nouvelle mouture de l’accord agricole Maroc-Union européenne. En octobre, c’est en tant que rapporteuse que Patricia Lalonde a pris part à la visite d’une délégation d’eurodéputés dans les provinces du sud du royaume.

Plus récemment, Gilles Pargneaux ainsi que deux administratrices de EuroMedA, les eurodéputées Frédérique Ries et Ramona Manescu, ont présenté au sein de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen une résolution visant à amender un article de l’accord agricole mettant en place une traçabilité sur les produits en provenance du Sahara. En vertu de l’amendement proposé, et adopté par la commission, cette traçabilité des produits venant du Sud marocain a été supprimée.

Alors que les accords agricoles, dont la prochaine mouture inclut explicitement le Sahara, seront soumis au mois de janvier au Parlement européen, Gilles Pargneaux est interrogé par euobserver sur le statut du Sahara. A ce sujet, le site d’information affirme que pour l’eurodéputé, le Sahara « est un no man’s land n’appartenant à personne ».

La faute au Polisario?

Connu pour sa proximité avec les élus marocains et ses passages réguliers dans le sud du pays, Gilles Pargneaux a-t-il vraiment tenu de tels propos ? Contacté par TelQuel, l’eurodéputé accuse euobserver d’avoir déformé son discours : « En tant que député européen, j’ai un respect total pour le droit international. Actuellement, le droit international est clair : le Sahara occidental est un territoire non autonome, géré dans le cadre de la quatrième commission de l’ONU. C’est bien pour cette raison que la MINURSO existe et qu’elle se trouve à Laâyoune. La dernière résolution de l’ONU (2.440) a d’ailleurs étendu le mandat de la MINURSO pour six mois, avec pour objectif de mettre toutes les parties, y compris l’Algérie et la Mauritanie, autour de la table pour régler la situation juridique toujours indéterminée de ce territoire ». Gilles Pargneaux estime par ailleurs que la proposition d’autonomie du Sahara proposée par le Maroc est la seule option réaliste pour sortir de ce conflit.

Pour l’eurodéputé, euobserver est un portail « géré par des Scandinaves proches du Polisario ». Il impute même la publication de cet article aux récents développements concernant l’accord agricole. « La semaine dernière, nous avons obtenu un vote très positif (concernant la traçabilité, ndlr) en faveur de l’accord agricole dans la commission des affaires étrangères au Parlement européen, et le Polisario perd beaucoup de terrain, c’est pour cela qu’il tente d’attaquer notre position à travers ce média », assure le coprésident du Groupe d’amitié parlementaire Maroc-UE.

Alors que euobserver fait état d’une proximité entre l’élu européen et le groupe marocain OCP, Gilles Pargneaux indique que le géant du phosphate « pourrait dans le futur financer des projets de la fondation dans les énergies renouvelables ou pour des écoles en Afrique, où le groupe est très présent ».

Mais, qu’en est-il alors des relations entre le cabinet bruxellois Hill+Knowlton et la fondation EuroMedA ? « Il faut noter que le Maroc n’a plus de contrat avec le cabinet, et qu’Alain Berger, le directeur exécutif stratégique du cabinet, nous a offert de domicilier notre fondation dans ses locaux le temps d’avoir des financements et de trouver un autre local », justifie Gilles Pargneaux.

La prochaine mouture de l’accord agricole sera soumise au vote des eurodéputés en janvier. Pour rappel, après avoir été adopté par la commission de l’agriculture et du développement rural, le 13 novembre, le texte l’a ensuite été par celle des affaires étrangères, le 21 novembre.