Lancé en 1988, la Farine nationale de blé tendre (FNBT) est un programme gouvernemental destiné aux familles marocaines les plus démunies. Grâce à cette subvention, les communes les plus pauvres du royaume bénéficient d’une farine subventionnée, dont le prix est en moyenne 50% moins cher que dans le circuit libre. Or, d’après une enquête en deux parties, publiée dans les éditions du 12 et 13 novembre des Inspirations Eco, « le système actuel induit un certain nombre de détournements de cette subvention au profit de minotiers et de commerçants ».
Pour le quotidien, « le système actuel de distribution de la FNBT est marqué par l’absence de transparence dans le choix des minotiers chargés de la production de farine ». Ainsi, 134 minoteries bénéficient des quotas fixés pour l’écrasement du blé tendre destiné à la production de cette farine. Pourtant, comme le rappelle Les Eco, « ces quotas sont octroyés sans appel d’offres public ». De plus, les minotiers choisissent eux-mêmes les commerçants agréés chargés de distribuer la farine subventionnée auprès des populations ciblées. D’après l’enquête du journal, « certains de ces acteurs créent un circuit parallèle pour la revente de la farine », privant des familles démunies de cette denrée de base.
Fausses factures
La fraude se manifeste de plusieurs manières. La plus récurrente se présente sous la forme d’un « système bien huilé entre propriétaires de petits moulins et commerçants, qui permet de produire de fausses factures de livraison-réception des quotas », explique le quotidien. Un ex-commerçant agréé contacté par nos confrères expose les détails de ce détournement : « Dans un premier temps, certains moulins ne fabriquent pas toute la quantité de farine subventionnée qui lui a été fixée. Une grande partie de la farine ne parvient pas aux commerçants. Le commerçant vend son quota qu’il doit distribuer aux habitants ciblés contre la somme de 4.000 dirhams. Il ne fait que signer un accusé de réception de la marchandise ». Par la suite, ce blé est vendu à des prix plus élevés aux boulangeries « populaires » des villes.
« Un circuit de fraude à grande échelle »
Interrogé par Les Eco, le ministre des Affaires générales et de la gouvernance, Lahcen Daoudi, reconnaît « une complicité entre les deux parties, moulins et commerçants », affirmant qu’elle doit être « revue ». Ces liaisons dangereuses ont été révélées par la Cour des comptes dans trois de ses rapports, en 2008, en 2013 puis en 2014.
Dans leur premier rapport, les magistrats ont constaté que sur 15 commerçants visés par leur enquête, « seuls quatre avaient bien reçu leur quota ». La Cour des comptes conclut ainsi à « l’existence à grande échelle, d’un circuit de fraude caractérisée où opèrent de concert plusieurs intervenants (minoteries, commerçants, quotataires…) et qui est animé essentiellement par les minoteries en vue de bénéficier de façon illégale de la prime de compensation ». Plus loin, le rapport ajoute que « la farine en question est souvent vendue par ces commerçants à un prix dépassant de plus de 30% le prix de vente officiel fixé à 200 DH le quintal ».
Lahcen Daoudi avoue « ne pas pouvoir tout contrôler », mais assure « mettre chaque année un nombre de minotiers et de commerçants sur une liste noire afin que leur quota ne soit pas reconduit ». Le président de la Fédération nationale des minotiers (FNM) accuse de son côté la subvention qui selon lui « ne fait que polluer le secteur », avant d’appeler à sa révision « de fond en comble ». Mieux, il estime que les cas de fraudes révélés par le journal « sont isolés et ne concernent pas les minotiers », tout en disant « ignorer l’existence des rapports de la Cour des comptes ».