Donald Trump est, une fois de plus, sous le feu des projecteurs. Au lendemain du résultat des « midterms », le 116e Congrès des États-Unis est, à l’image du pays, divisé : les démocrates détiennent désormais la majorité à la Chambre des représentants, les républicains maintiennent la leur au Sénat. Tandis qu’une partie de l’opinion publique s’insurge contre le discours anti-migratoire de plus en plus vigoureux du président et n’hésite pas à le critiquer dans sa gestion de la relation avec l’Arabie saoudite dans l’affaire Khashoggi, sa base électorale se consolide.
Dans ce contexte mouvementé, Donald Trump ne perd pas pied. Bien au contraire, il en profite pour renforcer sa figure d’ « homme fort », tant à l’international en sanctionnant de nouveau l’Iran, qu’à l’intérieur de ses frontières en exigeant la démission du ministre de la Justice. Quand certains voient dans son attitude une stratégie politique brouillonne, d’autres considèrent que l’ancien homme d’affaires agit en toute connaissance de cause.
Pour Jeff Hawkins, ancien diplomate américain, et jusqu’à récemment ambassadeur des États-Unis en Centrafrique, ainsi que chercheur associé à l’IRIS et enseignant à Sciences Po Paris, le 45e président des États-Unis est un « fin tacticien politique » qui sait où il va.
TelQuel : Suite aux « midterms », les démocrates ont obtenu la majorité à la Chambre des représentants, mais le Sénat reste contrôlé par les républicains. Ce résultat contrasté risque-t-il de mettre en porte à faux Donald Trump pour la suite de sa présidence ?
Jeff Hawkins : Non, je ne crois pas. Même si le contexte politique a changé après les “midterms,” Trump est loin d’être dans la tourmente. Certes, une Chambre de représentants contrôlée par les démocrates pourrait lui donner quelques fils à retordre, notamment en ce qui concerne le vote des budgets et d’éventuelles enquêtes parlementaires dans lesquelles lui et ses collaborateurs pourraient être ciblés. Mais dans sa conférence de presse au lendemain du scrutin, le président s’est vanté de la victoire de son parti au Sénat, pas totalement sans raison. Il a parlé d’un “incroyable succès”, et il en a revendiqué sa responsabilité. Je ne pense pas que ce soit du bluff.
Le maintien des républicains au Sénat traduit-il donc un renforcement du « trumpisme » ?
Je dirais plutôt que le président sent sa position politique, au moins au sein de son propre parti, maintenue, sinon renforcée. Il a fait campagne pour une dizaine de candidats au Sénat, et ils ont gagné. Sa base ne l’a pas abandonné. Et tout le monde sait qu’en général le parti du président perd systématiquement des sièges aux « midterms ». Le fait qu’un jour après les résultats de vote Trump a licencié son ministre de la Justice, Jeff Sessions, et donc mis en péril l’investigation de Robert Mueller, suggère qu’il se sent assez fort pour prendre des décisions controversées.
Vous parlez d’ « éventuelles enquêtes parlementaires » visant Donald Trump, sur quels dossiers par exemple ?
Rien n’est annoncé pour l’instant, et en général les démocrates n’ont pas encore parlé de procédure de destitution. Mais, il y a toute une série de sujets que les démocrates dans les divers comités de la Chambre vont certainement reprendre. L’investigation sur la Russie et une potentielle collaboration entre les Russes et la campagne de Trump sera, encore une fois, à l’ordre du jour. On va certainement fouiller dans les finances du président et notamment demander ses fiches d’impôts (qu’il n’a pas rendues publiques contrairement à la coutume). Il y a pas mal de membres de son gouvernement qui ont des problèmes éthiques, voire légaux, le secrétaire de l’Intérieur, par exemple. Là encore les comités peuvent légitimement demander des comptes.
Le résultat de ces élections législatives pourrait-il avoir un impact sur la politique que mène Donald Trump à l’international ?
Encore une fois, je doute que ce contexte empêche outre mesure le président dans la conduite de sa politique étrangère ou nationale. A part le vote de budgets, certainement important, la Chambre des représentants n’aura qu’un impact limité sur ses démarches internationales. Quant à la disparition de Jamal Khashoggi, même si cette affaire est très suivie par les médias américains, et notamment au Washington Post où Khashoggi a été collaborateur, elle a, je pense, assez peu de portée dans l’électorat. L’administration Trump était certainement gênée par les accusations contre un de ses meilleurs alliés au Moyen-Orient, mais elle n’a nullement changé d’approche vis-à-vis de l’Arabie saoudite. De la même manière, la controverse sur la politique migratoire de Trump ne l’empêche pas de suivre son chemin. Au contraire, cette controverse a tendance à mobiliser sa base.
« Gênée » sur l’Arabie saoudite, c’est-à-dire ?
Trump avait tendance à vouloir innocenter, ou au moins ignorer, les méfaits potentiels de MBS. Mais face à un tel tollé dans les médias, et jusque dans les rangs de son propre camp, il n’a cette fois pas pu permettre d’agir de la sorte. Trump a donc dû envoyer son secrétaire d’État à Riyad pour demander des explications et faire quelques gestes. Et, il a quand même été clair quant à ses relations avec l’Arabie saoudite : il ne voulait à aucun prix mettre des contrats juteux où la coopération saoudienne avec les États-Unis contre l’Iran en danger.
Face à l’ampleur internationale que prend l’affaire Khashoggi et à l’indignation qu’elle suscite, une telle prise de position n’est-elle pas un peu « simpliste » ?
Il faut reconnaître que, dans le domaine international, le président Trump cherche souvent des réponses simples et unilatérales à des problèmes internationaux compliqués, et de préférence des réponses qui pourraient plaire à ses soutiens. En ces termes, il a été assez cohérent dans sa politique étrangère. Il était, par exemple, pour une redéfinition des relations commerciales avec la Chine, il voulait se retirer des accords sur le climat, il voulait déchirer l’accord nucléaire avec l’Iran. Dans bon nombre de ces cas, il était possible de faire ses démarches sans un soutien particulier du Congrès ou de ses partenaires. Il pouvait agir seul. Le nouveau contexte domestique ne change rien, ou pas grand-chose, pour lui.
Iran sanctionné, forces armées renforcées à la frontière mexicaine, démission forcée du ministre de la Justice… Donald Trump cherche-t-il à « montrer ses muscles » pour asseoir sa figure de leadership, tant à l’intérieur de ses terres que sur la scène internationale ?
Chaque président doit prendre en compte les implications domestiques de sa politique étrangère. Mais Trump semble systématiquement choisir ses actions à l’étranger en fonction de l’impact que cela pourrait avoir sur sa base. Irriter ses alliés, changer du jour au lendemain sa position, menacer de faire des choses qu’il ne ferait jamais, cela ne le gêne pas. Et, ça marche. Une approche belliqueuse vis-à-vis de l’Iran en dépit des objections des Européens, le déploiement des troupes à la frontière mexicaines, totalement inutile et onéreux d’ailleurs, cela ne lui nuit pas politiquement. Au contraire, ses actions ont tendance à renforcer sa position d’iconoclaste et nationaliste que ses supporteurs apprécient tant. Donald Trump est un fin tacticien politique.
Même si sa politique migratoire a suscité une énorme polémique aux États-Unis, et surtout la séparation des familles clandestines, sa base applaudit son approche. Il pouvait très bien se vanter d’une économie américaine qui se porte très bien en ce moment. Il a choisi de mettre l’emphase pendant la campagne sur l’immigration. Parce que c’est du “red meat” pour les hommes blancs qui votent habituellement pour lui.