Selon Middle East Eye, les échanges commerciaux entre le Maroc et Israël s’élèveraient à 149 millions de dollars entre 2014 et 2017. En s’appuyant sur les archives israéliennes, publiées par le Bureau central des statistiques d’Israël (CBS), le site d’information explique que « les affaires ‘’secrètes’ israélo-marocaines sont de plus en plus visibles, alors que […] le Maroc appelle de plus en plus à la ‘’normalisation économique’’ ».
C’est ainsi que rien qu’en 2017, les deux pays ont eu des échanges commerciaux à hauteur de 37 millions de dollars. Sur les vingt-deux partenaires commerciaux africains d’Israël, le Maroc se situe parmi « les quatre premiers pays desquels Israël » importe. Au niveau des exportations, le Maroc est le neuvième partenaire africain de l’État du Proche-Orient.
Netafim Morocco, un exemple révélateur
Fait le plus marquant : Middle East Eye relève que le Maroc est la cible du premier investissement déclaré d’Israël dans le monde arabe. Le média évoque ainsi le géant israélien de la technologie agricole, Netafim, qui a « crée une filiale de 2,9 millions de dollars au Maroc, créant ainsi 17 emplois ». En avril 2017, ce leader mondial des solutions de gestion de l’eau dans l’agriculture s’était implanté au Maroc, en ouvrant un bureau de représentation basé à Casablanca et dirigé par Marouane Benmouama.
Régulièrement confronté au manque d’eau, l’état israélien avait très tôt fait le pari de la technologie pour pallier cette préoccupation. En 1965, Simcha Blass, un ingénieur israélien en gestion de l’eau, conçoit un tube à base de goutteurs qui approvisionnent lentement et de manière équilibrée le sol en eau menant à la création de l’usine Netafim. Un procédé qu’il a rapidement mis en pratique, dans le kibboutz (une exploitation agricole collective dans l’État d’Israël, ndlr) d’Hatzerim, dans le désert du Néguev. En février 2018, la société est rachetée à hauteur de 80% par Mexichem, un groupe mexicain de produits pétrochimiques, pour un montant de 1,5 milliard de dollars.
Netafim emploie ainsi 4.300 personnes dans le monde et fournit ses services et ses équipements à des clients situés dans plus de 110 pays, d’après son site internet. Un problème d’irrigation qui trouve aussi sa place dans le royaume. L’article explique que Netafim Morocco est le fruit d’un « investissement Greenfield », autrement dit lorsqu’une société transnationale investit des capitaux dans un pays en voie de développement en partant de zéro.
Diplomatie des « bons offices »
« L’ouverture de la nouvelle filiale (au Maroc, ndlr) fait partie de la croissance du marché et de notre volonté d’améliorer la qualité de notre service et de notre assistance à nos clients et partenaires au Maroc», a déclaré, à la Chambre de commerce franco-israélienne, Shavit Dahan, directeur de Netafim pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest.
« Bien que les autorités marocaines minimisent tout lien, les échanges commerciaux dans l’agriculture, l’armée et la technologie existent depuis des décennies, de même que les liens culturels et de peuple à peuple », explique à Middle East Eye, Bruce Maddy-Weitzman, expert en relations israélo-marocaines à l’université de Tel-Aviv. Des relations qui existent, mais dont le secret a, depuis plusieurs décennies, caractérisé ces échanges. « Cependant, les relations économiques sont souvent difficiles à prouver, car les accords de commerce et d’investissement sont soit maintenus sous silence, soit acheminés par des intermédiaires », poursuit le chercheur.
Lorsqu’on parle de relations tenues secrètes, on ne peut s’empêcher de penser à Hassan II, et à sa diplomatie des « bons offices » avec Israël, voire de son père qui s’est vu hissé, à titre posthume, au rang de « juste parmi les nations », une distinction accordée par l’État d’Israël à « ceux qui ont courageusement sauvé des juifs promis aux camps d’extermination nazis », avance l’article. C’est ainsi que pour Maddy-Weitzman, « la vaste population israélienne de juifs marocains constitue un lien naturel entre les deux pays », bien qu’il ne reste aujourd’hui qu’environ 2.000 personnes de la communauté juive au Maroc.
En 1992, l’historien Abdelkhaleq Berramdan publiait Le Sahara occidental, enjeu maghrébin. Il y expliquait alors qu’Hassan II misait sur le lobby juif auprès des différentes institutions américaines pour faire valoir la volonté marocaine de souveraineté sur son territoire du sud. « C’est ainsi que les responsables de la communauté israélite marocaine furent convoqués en septembre 1975 par le souverain qui leur demanda de se rendre en Amérique du Nord pour exposer la thèse marocaine auprès de leurs coreligionnaires ».
« Le Maroc valorise ses relations juives internationales », explique à Middle East Eye, Claire Spencer, chercheuse au programme MENA de Chatham House. « Il doit être le seul État arabe à avoir un ambassadeur itinérant pour les affaires juives, Serge Berdugo, et mentionne spécifiquement son héritage’’hébreu’’ dans la Constitution révisée de 2011″ poursuit la chercheuse.
De la discrétion à l’effacement
Toutefois, les relations entre les deux pays ont « été une source de discorde croissante au Maroc, ces dernières années », poursuit Middle East Eye. L’article mentionne alors le projet de loi, de « cinq partis politiques criminalisant la normalisation avec Israël », après l’attaque, en 2014, de la bande de Gaza par le Tsahal ayant entraîné 2.200 morts. La coalition informelle était alors composée de l’USFP, de l’Istiqlal, du PPS, du PJD et du PAM. Les manifestations de soutien à la communauté palestinienne sont également mentionnées par le site web, dont celle qui a réuni « environ 10.000 Marocains à Casablanca, fin mai, suite à l’ouverture de l’ambassade américaine à Jérusalem. »
Netafim Morocco a également cristallisé une manifestation « à petite échelle », d’après Middle East Eye. En octobre 2017, quatre membres du BDS (le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanction contre l’occupation israélienne en Palestine, ndlr) ont « été arrêtés après avoir manifesté pacifiquement contre la présence de l’entreprise à la foire agricole de Rabat ». Une opération rééditée, en octobre dernier, à l’occasion de la fête des dattes à Erfoud, contraignant Netafim Morocco à se retirer de l’événement.
« Jusqu’à l’incident de Jérusalem, les relations commerciales entre Israël et le Maroc étaient une question de discrétion », explique Claire Spencer. Avant d’ajouter : « Désormais, elles font face à une interdiction absolue ».