La SAMIR, sujet de discorde entre la CGEM et son économiste en chef

Alors que le sort de l’unique raffinerie du Maroc, entre liquidation et reprise, est toujours inconnu, une sortie de l’économiste en chef de la CGEM sur Aziz Akhannouch fait réagir jusque chez Afriquia.

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De gauche à droite : Mohamed Benmoussa, Aziz Akhannouch et Salaheddine Mezouar. Crédit: YouTube / Tniouni / Toumi / TelQuel

La CGEM n’a pas apprécié la sortie de son économiste en chef, Mohamed Benmoussa, dans une interview publiée le 28 octobre sur LeDesk.ma avec une enquête intitulée Affaire SAMIR: les dessous d’un complot d’Etat. La société Afriquia non plus.

Dans cette longue interview, Mohamed Benmoussa, cette « figure de proue du Front national pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole (initiative lancée en juillet 2018) explique pourquoi la SAMIR, unique raffinerie de pétrole du pays doit et peut être sauvée ».

Mohamed Benmoussa, qui est aussi « l’un des rédacteurs d’un rapport remis aux autorités dans ce sens », a été interrogé sur le rôle de Aziz Akhannouch, président du RNI et propriétaire du distributeur de produits pétroliers Afriquia, dans ce dossier « au vu de ses positions en affaires et en politique ». « Le scandale des hydrocarbures a-t-il une relation avec la déliquescence de La SAMIR ? Agit-il par opportunisme alors que le sort de la raffinerie est déjà scellé ? » interroge l’auteur de l’interview;

« Logique d’un cartel »

Dans sa réponse, l’économiste du patronat marocain liste trois « anomalies » : « Primo, il n’est pas permis dans une vraie démocratie de confondre l’exercice du pouvoir politique avec la pratique des affaires, surtout lorsqu’on dispose d’une position dominante dans un secteur économique et qu’on exerce un effet systémique sur l’ensemble des acteurs de ce secteur, voire sur l’économie du pays en général. Le groupe Akwa contrôle 40 % d’un marché où les opérateurs fonctionnent selon la logique d’un cartel. Secundo, les institutions de régulation politique et de contrôle fonctionnent mal dans notre pays, ou ne fonctionnent pas du tout. Une libéralisation des prix des hydrocarbures mal pensée par nos politiques a permis d’offrir sur un plateau d’argent 17 milliards de dirhams aux distributeurs pétroliers en l’espace de 24 mois ! ». Une référence aux marges supplémentaires engrangées par les pétroliers depuis la libéralisation du secteur fin 2015, révélées et chiffrées par TelQuel.

Mohamed Benmoussa va plus loin. « Tertio, force est de constater que la personne de Aziz Akhannouch est devenue un boulet au fonctionnement apaisé de nos institutions politiques et de notre économie : les 6 mois de blocage du gouvernement Benkirane, le dossier des hydrocarbures, l’affaire La SAMIR, le scandale de l’assurance agricole avec Saham, les choix contestables de ministres, le sujet de prédilection des réseaux sociaux et des médias… Il y a manifestement un climat général de défiance, mais qui s’oppose, reconnaissons-le franchement, à la confiance qu’il a su conquérir auprès du Souverain puisqu’il est ministre depuis 12 années. Nous sommes là, aux limites de notre modèle politique », fustige-t-il.

De la «diffamation» selon Aujourd’hui le Maroc

Les réactions à l’interview de Benmoussa n’ont pas tardé. Dans un communiqué diffusé le 29 octobre, la CGEM apporte des « précisions » sur la sortie de son économiste. « La Confédération générale des entreprises du Maroc a appris avec étonnement, dimanche 28 octobre 2018, que M. Mohammed Benmoussa s’est exprimé par voie de presse sur des questions ayant trait à l’économie nationale en se prévalant de sa qualité d’Économiste en Chef de la CGEM », explique le patronat. «La CGEM tient à préciser que M. Benmoussa n’a pas été mandaté pour s’exprimer au nom de la confédération ni au nom du groupe parlementaire de la CGEM à la Chambre des conseillers. Les propos tenus par M. Benmoussa n’engagent que lui et ne sauraient exprimer une quelconque opinion de la confédération», conclut le patronat dans son communiqué.

Le même jour, le quotidien Aujourd’hui le Maroc (ALM), qui compte le groupe Akwa d’Aziz Akhannouchn parmi ses actionnaires publie un article en forme de réponse sur son site internet.  Selon le quotidien, il y a « diffamation et désinformation » ainsi qu’une « manipulation organisée » de la part d’un « prétendu expert ».

« Ainsi, dans un mélange de genres flagrant, mêlant fake news (comme les 17 milliards DH, chiffre imaginaire et démenti par les pouvoirs publics), aux faux arguments chiffrés, celui qui se prétend expert dans le secteur a, en réalité, mal enveloppé une attaque en règle contre Afriquia pour des raisons qui ne tarderont pas à être connues. Mais en attendant, la société Afriquia, contactée par Aujourd’hui Le Maroc, n’a pas tardé à réagir à cet amas d’inepties », écrit le quotidien. Ce dernier donne ensuite la parole au DG d’Afriquia, Said El Baghdadi : « Nous ne comprenons pas le sens de ces attaques ni les vraies motivations de telles déclarations faites par un personnage qui se prétend expert en la question d’autant plus que le nom est complètement inconnu du secteur pétrolier ».

Le « plus grand dépeçage économique » ?

Le Desk réplique à son tour. Dans un article titré « Akhannouch piqué au vif, la CGEM obtempère au doigt et à l’œil », le média écrit que « le ministre-pétrolier n’a pas goûté l’interview » en question. « Que reproche au fond l’article d’ALM à notre interview de Mohammed Benmoussa au point de titrer sur une « diffamation » et de décréter que le personnage public est un sombre inconnu ? Rien en réalité qui puisse servir au débat tant les arguments étaient périphériques au sujet », écrit le site d’information.

« Pourquoi alors monter au créneau en défense d’Akhannouch d’autant que son propre journal a même mis en doute le fait que Benmoussa est ‘chief economist’ de la CGEM ? L’indépendance de la CGEM du pouvoir politique est à ce titre de nouveau posée sur la table, alors même que le patronat est censé lui-même inscrire l’avenir de la SAMIR à son agenda», conclut Le Desk.

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