Un sommet pour questionner la gouvernance mondiale. Depuis le vendredi 26 octobre, le Sofitel de Rabat accueillait la onzième édition de la World Policy Conference (WPC). Décideurs politiques, chefs d’entreprise, diplomates… ce sont plus de 300 acteurs et experts qui se sont réunis durant trois jours, et se sont succédé durant différentes sessions plénières et ateliers avec l’ambition d’apporter un regard éclairé sur la situation mondiale à l’aune des principaux points chauds attendus durant les prochaines années. Parmi eux, les défis économiques, la révolution numérique, les phénomènes migratoires, tout en questionnant les enjeux stratégiques autour des États-Unis, de la Chine, de la Russie ou encore de l’Afrique.
« La gouvernance mondiale veut dire qu’un monde de plus en plus interdépendant ne peut rester raisonnablement ouvert que si des efforts de coordinations sont faits pour travailler ensemble et de manière positive », a ainsi déclaré, devant la presse, Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales (Ifri), organisateur de ces journées en partenariat avec l’OCP Policy Center.
Plusieurs fronts géopolitiques
Dans son discours d’inauguration, ce polytechnicien évoque « une métamorphose historique et sans précédent » concernant la situation mondiale. L’homme rodé aux relations internationales par son expérience du terrain, brosse une situation géopolitique délicate, marquée par plusieurs points chauds et « cruciaux ».
« L’exacerbation des identités nationales nous renvoie deux siècles en arrière », dépeint-il d’entrée. Une façon de cibler, avant toute chose, l’émergence préoccupante des populismes et du renfermement vers soi dans un contexte où la « mondialisation inquiète ».
Il évoque la nécessité de la construction d’un nouvel ordre au Moyen-Orient, appelle à évaluer les conséquences qui poussent l’Iran et la Russie à « l’hyperpuissance montante » et à comprendre les « raisons de l’expansion de la Chine en Afrique de la Chine ». L’Union européenne, elle, devra « envisager tous les enjeux géopolitiques par eux-mêmes » pour éviter « un échec qui serait un drame pour les pays membres, mais aussi pour l’ensemble de la planète ».
Les guerres de religion ? Un fait encore d’actualité « avec l’islamisme qui continue d’étendre ses ravages en terre musulmane et ailleurs », dit-il, tout en expliquant que cette question ne se limite pas seulement à l’islam, mais aussi aux autres religions, invoquant la séparation des églises orthodoxes russes et ukrainiennes.
Vers un Nouveau Monde bipolaire ?
« S’il me fallait caractériser le phénomène géopolitique dominant des trente prochaines années, je dirais sans hésiter : la rivalité entre la Chine et les EtatsUnis », résume Thierry de Montbrial. Une question qui reviendra souvent lors de la première journée de discussion, notamment lors de la première session plénière dédiée aux « Défis économiques majeurs des cinq prochaines années ».
Pour Qiao Yide, vice-président et secrétaire général de la Shanghai Development Research Foundation (SDRF), la Chine n’est « pas encore prête à mettre au défi les États-Unis dans cette question de leadership lors des cinq prochaines années ». L’ancien ministre des Finances de la République de Corée, Il SaKong, observe « un retrait des États-Unis » dans ce rôle de leadership. Il estime que « la situation de l’économie mondiale est prise dans une forme de nacelle» et que « les pays de bonne volonté au niveau du G20 pourraient peut-être se substituer à ce rôle manquant ».
Bien plus critique, Marcus Noland s’inquiète d’une « sortie d’une politique planétaire qui conduit à une crise financière ». Cet ancien économiste principal au Conseil des conseillers économiques du bureau exécutif du président des États-Unis redoute les volontés belliqueuses de Donald Trump. Face à la Chine notamment : « Aux États-Unis, l’utilisation du statut de sécurité nationale est inquiétante surtout qu’il est essentiellement dirigé contre la Chine. Aujourd’hui, 12 % des avoirs américains sont sous protection, avec la menace d’accroitre les avoirs chinois. »
Couacs et perspectives
La crainte d’un retour à un monde bipolaire et dominé par la rivalité des puissances américaines et chinoises pose la question des pays émergents. Kemal Dervis, ancien ministre des Affaires étrangères turques s’interroge sur leurs rôles, notamment à l’aune de « l’opportunité offerte par les nouvelles technologies ». « La révolution numérique entraine un développement plus soutenu de l’économie mondiale. Mais qui en bénéficiera ? », s’interroge-t-il. Avant d’ajouter : « Il y a de nouvelles tendances pour que la distribution des revenus devienne plus inégalitaire. »
Le continent africain a été, lui, à l’honneur lors du premier discours. Un atelier de travail sur ses perspectives d’avenir y sera dédié par la suite. Le Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly a souligné les « progrès remarquables » du continent, estimant « qu’il peut devenir un pilier de la croissance ». Mais cela se fera en « consolidant la stabilité politique et l’intégration internationale », alors « qu’une personne sur quatre sera africaine en 2050 ».
Au milieu de ces débats, on note néanmoins quelques ratés. Du côté libanais, l’un a été particulièrement remarqué, comme le relève le quotidien L’Orient Le Jour. Invité d’honneur de la WPC, le président Michel Aoun devait être représenté par son ministre de la Justice. Mais une série de « couacs » a fait que le discours présidentiel a été lu par… un employé marocain de l’ambassade du Liban. Le programme prévoyait aussi la lecture d’un discours du roi Mohammed VI en inauguration. Annulée sans autre forme d’explications.
Une vitrine pour le Maroc
Pourtant, le Royaume et ses efforts ont particulièrement été distingués lors de ces trois jours de conférence. Stabilité, économie, politique et gestion de la question migratoire… nombreux sont les sujets sur lesquels les différents intervenants ont salué le Maroc. Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, a appelé « à pérenniser la présence de Renault au Maroc ». Satisfait du rendement des sites de la Somaca et de Tanger, c’est selon lui le fruit « d’une bonne coopération entre un groupe industriel, qui assure les investissements et l’emploi, et un pays, dans un sens où ce dernier assure la compétitivité. »
Le 28 octobre, lors d’une session consacrée à l’avenir de l’Europe, le ministre des Affaires étrangères espagnol, Josep Borell, s’est réjoui de la politique de coopération entre les deux pays. « L’Espagne et le Maroc ont montré une capacité de coopération très forte pour gérer les migrations. C’est quelque chose que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Méditerranée », a-t-il estimé. Dans un avenir proche, il espère un renforcement « d’une politique de coopération qui aidera le Maroc et l’Espagne ».
La veille, l’ancien ministre français de Nicolas Sarkozy Jean-François Copé a abondé dans le même sens, en estimant que le Maroc « œuvre incroyablement dans la gestion des flux migratoires ». Interpellé, par Assia Bensalah Alaoui, ambassadrice itinérante de Mohammed VI, sur l’omniprésence et l’instrumentalisation de cette question par les politiques européennes, le député français en a profité pour parler de l’importance des partenariats entre l’UE et le Maroc. Même son de cloche pour Bogdan Klich, chef de l’opposition au Sénat polonais : « Les réalisations conjointes entre l’Europe et le Maroc forment une longue liste dont beaucoup subsistent. Mais en matière d’État de droit, de constitution, vous avez des succès et l’Europe y a aussi aidé. Il est nécessaire de collaborer. »
Un think tank pour questionner les perspectives d’avenir
En clôture de la journée de samedi, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a tenu à rappeler que le « Le Maroc ne court pas derrière les headlines il est dans la mesure, jamais dans le suivisme ». Il ajoute que « dans ce monde en effervescence, le Maroc s’applique à cerner les dynamiques des changements, de les anticiper et de s’y adapter, notamment dans les domaines tels que le climat, la migration ou la lutte contre le terrorisme ». Nasser Bourita a ainsi tenu à rappeler le rôle majeur joué par le WPC, se réjouissant de la présence de cet « espace de réflexion durable » au Maroc.
QU'est ce que l'IFRI et la #Worldpolicyconference ? Un centre de recherche et réflexion français considéré par le classement le plus sérieux, celui du professeur McGann de l'université de Pennsylvanie comme le think tank le plus influent après le mythique Brookings Institution.
— Sophie Fay (@SophiFay) October 26, 2018
« Les gouvernements doivent gérer les équilibres, avoir un sens de la mesure », revient Thierry de Montbrial. Ambitieuse, la World Policy Conference ? « Dans la vie, il faut réussir à imaginer que l’on peut changer le monde », explique le président de l’Ifri. Pour le géopolitologue, il est surtout question de « maintenir un monde résolument ouvert, c’est la question du présent ». Un présent, entre « un passé composé de remontée de barbarisme et le futur qui fait penser à la science-fiction », qui doit tendre « à cesser dès maintenant les déviations qui sont en train de miner la planète ».
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