Financiers, politiques et hauts fonctionnaires se sont réunis à l’occasion du second colloque international sur « La reconsidération du modèle de développement national » qui s’est déroulé le 20 octobre à Skhirat à l’initiative du ministère des Finances et de l’Association des membres de l’inspection générale des finances (Amif). Les organisateurs ont fait le pari de réunir un large panel d’acteurs – tous les partis politiques étaient représentés, souvent par leurs secrétaires généraux – autour de la question du modèle de développement. Pour rappel, le roi Mohammed VI appelle à sa révision depuis octobre 2017.
En présence d’autant de courants différents, l’atmosphère n’a pas été dénuée de frictions. A commencer par le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, qui sur un ton ironique lance : « Quand je parcours les programmes de tous les gouvernements, je suis ahuri. C’est ce que j’appelle le registre de la dette publique : ‘On fera ceci, on fera cela’ ». Et au ministre d’Etat Mustapha Ramid, en sa qualité de représentant du chef du gouvernement au colloque, de répliquer : « Le gouvernement n’a pas l’intention de revoir les équilibres macroéconomiques, ce qui pourrait causer la perte de la souveraineté de la décision financière ». Message mal saisi selon Jouahri qui explique qu’ « il ne visait pas le gouvernement actuel ! ».
Convergences des partis politiques
Mais en dépit de leur appartenance politique, respectivement à la majorité et à l’opposition, les chefs du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et du Parti de l’Istiqlal (PI) ont convergé sur plusieurs points. Les deux partis s’accordent sur le fait que depuis la tenue du discours royal au Parlement en octobre 2017, soit il y a maintenant un an, les attentes liées au modèle de développement national n’ont pas été atteintes.
Autre point d’entente : le souci de l’appropriation des citoyens de ce modèle afin de le faire sortir de son seul contexte politique. « Le sujet doit faire l’objet d’un débat national », lance Nizar Baraka, le président du CESE. Ce dernier a également évoqué la nécessité d’un « consensus sur les grands choix avec la fixation d’un cap et d’une vision politique intégrée » dans le but d’ouvrir un cadre de compétition entre les partis politiques – une perspective en référence aux Législatives 2021. Nizar Baraka appelle également les acteurs, aussi bien politiques qu’économiques, à s’investir davantage au lieu de critiquer ou encore de « dénigrer« . Une démarche qui, selon le président du CESE, permettrait d’assurer un rapport de confiance avec les citoyens : « Les Marocains traversent une crise de confiance grave », considère-t-il.
À l’instar du PI, le secrétaire général du parti du Livre s’est penché sur le diagnostic de la réalité économico-sociale. Nabil Benabdallah affirme qu’en dépit des progrès économiques et politiques réalisés, le modèle de développement marocain a besoin d’être enrichi : « Visons-nous le développement ou la croissance ? », s’interroge-t-il à ce sujet. Dans ce sens, l’ancien ministre de l’Habitat a évoqué les problématiques liées aux disparités sociales. Aussi a-t-il souligné la nécessité de prendre en considération les changements liés à la transformation digitale. Puis, le secrétaire progressiste a épinglé la « faiblesse dans le discours politique qui n’est plus porteur d’espoir ».
Samir Belfkih, représentant de Hakim Benchamach pour le PAM, soulève également cette question de « confiance ». Ce dernier a ainsi mis en exergue l’importance de l’ « engagement sociétal », car les « Marocains doivent se sentir concernés », estime-t-il.
Du côté du PJD, représenté par son président du Conseil national, Driss El Azami, on s’est suffi à rappeler l’importance accordée par la Constitution de 2011 aux principes de la démocratie et de la concurrence loyale en vue de favoriser les chances des jeunes pour accéder à l’emploi.
Liste de recommandations
Etat de droit, démocratie, pluralisme, bonne gouvernance, société solidaire, liberté, égalité des chances, dignité et justice sociale… Autant d’éléments cités dans la Constitution et que les ambitions du nouveau modèle de développement devraient, cette fois, permettre de réaliser.
Plus concrètement, pour pallier les entraves à la mise en oeuvre de ce modèle de développement et en vue d’en faire profiter à un large public ses résultats, des recommandations ont été listées par l’ensemble des intervenants. A savoir : la nécessité d’accélérer la mise en place des dispositions constitutionnelles relatives à la régionalisation avancée et au processus de déconcentration administrative ; le renouvellement de l’offre politique ; le rétablissement de la confiance des citoyens dans les institutions et envers les élus, dans le but d’un meilleur portage du nouveau modèle de développement ou encore la promotion de la gestion axée sur les résultats et de la culture de l’évaluation des politiques publiques.
Quant à la dimension économique, les propositions concernent en particulier : l’amélioration de l’efficacité de l’investissement public, du climat des affaires et de l’appui à l’investissement privé ; le renforcement de la compétitivité de l’économie nationale et la consolidation du processus de l’industrialisation ; la reconsidération des incitations fiscales et l’amélioration de leur efficacité ; enfin l’exploration des opportunités offertes par la transition digitale.
Également présent lors du débat, le président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Salaheddine Mezouar, a exprimé sa conviction qu’il n’est pas envisageable d’aspirer au modèle de développement souhaité « sans un secteur privé fort, engagé et responsable » et qui délègue à l’Etat la responsabilité des « filets sociaux ».
Concernant le volet social, les recommandations évoquent notamment la nécessité de placer le capital humain au centre du processus de développement, tout en garantissant un équilibre entre la création et la répartition des richesses. Cette liste suggère également de porter importance à un investissement dans l’économie de la connaissance et la promotion de l’école publique ; une amélioration de l’accès à des services de santé de qualité et un élargissement de la couverture médicale ; la promotion de l’économie sociale et solidaire et de l’auto-emploi ; l’élargissement de la classe moyenne et le soutien de son pouvoir d’achat ; le renforcement de la diversité culturelle et linguistique ; et, enfin, l’intégration de la dimension écologique et de la dimension du genre dans la conception des politiques publiques.
Cette liste devrait faire partie du corpus de la commission royale chargée de synthétiser l’ensemble des contributions. Cette dernière, dont la création a été annoncée par Mohammed VI le 12 octobre, a pour but de collecter, agencer et structurer les contributions et d’en élaborer les conclusions, et ce dans le cadre d’une vision à portée stratégique, globale et intégrée.
Cette commission aura trois mois pour soumettre au roi « le projet du nouveau modèle de développement, en spécifiant les objectifs fixés, les leviers de changement proposés et les mécanismes de mise en œuvre retenus », poursuit le document.
Rien sur la composition de ladite commission n’est encore connu. Des sources concordantes rapportent néanmoins à TelQuel que ses membres seront nommés par le Palais.
Par Ahmed Mesk
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