Des billes chamarrées, une paille et un petit socle en bois de forme arrondie recouvert d’un tissu noir. Aux yeux d’un enfant, il n’en faut guère plus pour lever le voile sur les phénomènes célestes. Face à un auditoire hétéroclite et agglutiné au-devant de l’installation rudimentaire, Yassine, chemise rose dragée et posture droite, enchaîne les cas pratiques. Le jeune garçon de 14 ans improvise un cours sur la gravité et la formation des trous noirs. «Quand une étoile a brûlé toute son énergie, elle va se refermer sur son centre et, dit-il en accompagnant son exposé de gestes calculés, elle va rétrécir jusqu’à atteindre la taille d’un kawkaw (cacahuète) et exploser. C’est comme ça que se forme un trou noir». La voix est sûre et le regard balaye l’auditoire. «Mais attention, ça ne se fait pas en deux minutes. Il faut des millions d’années», s’exclame-t-il.
Les questions fusent et le jeune garçon prend le temps de répondre à chacune d’entre elles, assisté par Samy, Faris et Imane, ses camarades du Mûrier, une école privée d’Ifrane. Comme d’autres enfants venant de différents établissements du Royaume, ils prennent part à la 7e édition du Festival d’astronomie de la ville.
Organisé par l’université Al Akhawayn, l’évènement vise à promouvoir les sciences, en particulier l’astronomie, auprès du grand public. Sur la place principale ensoleillée de ce petit coin aux airs de Suisse, niché au cœur du Moyen-Atlas, ateliers, conférences, expositions et nuits d’observations se succèderont pendant cinq jours. De quoi faire la part belle à l’étude des astres dans une relative tranquillité, loin des klaxons et du foisonnement de la médina.
Mystères et curiosité
«On encourage nos élèves à participer à ce genre d’activité pour forger leurs personnalités», explique Rajae Saidi, enseignante et directrice du Mûrier. Dès la création de l’établissement en 2016, un club d’astronomie a été mis en place dans la grille des activités pédagogiques. Une vingtaine d’élèves de 12 à 14 ans y participent tout au long de l’année. «Je les vois changer, développer de nouvelles compétences, explique la directrice. Je ne fais que chapeauter les activités, ce sont eux qui m’apprennent des choses. C’est enthousiasmant de les voir s’investir et travailler en groupe ainsi».
Pendant ce temps, Yassine, lui, ne se démonte pas devant les questions qui fusent. Celui qui se dit fasciné par le Big Bang, se rêve en astronome de la NASA. «Ce qui me plaît dans l’astronomie, ce sont tous les mystères. Le fait qu’il y ait encore beaucoup de choses inconnues», nous confie-t-il.
Sous le stand d’à côté et devant une maquette du système solaire, le professeur Hasnaa Chennaoui Aoudjehane fait part de ses découvertes. Invitée d’honneur du festival, cette experte en météorites et cratères d’impact montre à une foule d’enfants, une partie de ses trouvailles : des fragments de météorites trouvés près du village d’Agoudal. «On dirait une pierre ordinaire, mais elle est beaucoup plus lourde que ce que j’imaginais», s’étonne Anissa, 9 ans. Les fragments passent de mains en mains sous des regards ébahis. «La curiosité scientifique n’est pas forcément quelque chose d’inné. On peut la développer en l’éveillant chez l’enfant», nous explique Hasnaa Chennaoui Aoudjehane.
Retirée dans le jardin bordant les installations du festival, la scientifique voit dans l’organisation d’un tel évènement un véritable moyen d’aiguiser l’appétit des plus jeunes. Une bonne chose pour le Maroc : «Plus tôt on plante cette petite graine qui va germer et grandir avec le temps, plus on aura de raisons d’espérer avoir de futurs scientifiques. C’est quelque chose qui serait extrêmement bénéfique à notre pays».
La robotique comme avenir
«On a commencé très petit», sourit Hassane Darhmaoui. Costume de rigueur, les cheveux poivre et sel, ce professeur à l’Université Al Akhawayn est à l’origine du festival qu’il a fondé en 2012. L’idée est venue lors d’une conférence sur l’utilisation des télescopes robotiques connectés qui permettent d’observer le ciel à n’importe quel moment de la journée, et de n’importe où dans le monde, à travers son ordinateur. «Des scientifiques allaient venir et je me suis dit ‘autant organiser des activités pour le grand public’. Il y avait également un volet sur la formation des enseignants à l’astronomie par le Galileo Teacher Training Program (GTTP). Et tout cela s’est avéré une réussite».
Le festival est organisé par le club d’astronomie d’Al Akhawayn. «Notre groupe d’astronomie a été créé après le premier festival, explique Safae, la vingtaine pas encore entamée. Durant l’année, nous réalisons des activités comme de la sensibilisation à la pollution lumineuse et, bien évidemment, des soirées d’observations».
C’est dans l’enceinte du campus à l’américaine – dont les bâtiments font penser à des chalets suisses avec leurs toits raides en briques – qu’une quarantaine d’étudiants travaille sur l’organisation du festival tout au long de l’année. En marge de l’évènement, un cycle de conférences est organisé autour de thématiques liées à la robotique au service de l’homme et de la conquête spatiale. «Cette année, pour le festival, on a voulu mettre l’accent sur la conquête spatiale et la robotique. C’est un thème qui plaît aux étudiants, mais dont les enjeux pour la recherche sont également essentiels», poursuit la jeune Safae.
Un constat que partage Anass. T-shirt frappé du logo d’Astronomines, le club d’astronomie de l’École des Mines de Rabat dont il fait partie, le jeune homme est incollable sur le sujet. Venus en bus depuis Rabat, lui et ses quatre camarades animent un atelier qui se distingue par la présence d’un casque de Réalité virtuelle offrant une tournée dans les étoiles.
«La technologie spatiale me plaît beaucoup», explique l’étudiant de quatrième année. De là à se voir travailler dans ce secteur à la sortie de ces études ? «C’est compliqué», nous confie-t-il, avant d’ajouter: «Le problème reste qu’au Maroc, nous n’avons rien ou presque dans le domaine de la technologie spatiale».
S’il envisage de poursuivre ses études à l’étranger, «au Canada ou en France», Anass fait également part de ses doutes sur le secteur de l’ingénierie technique. «Je trouve qu’on manque d’esprit d’innovation. Tu te heurtes à des barrières, même si tu es plein de bonne volonté et que tu veux réaliser des choses innovantes. Beaucoup d’ingénieurs sont en poste pour faire de l’argent, mais l’esprit de recherche manque vraiment».
La tête dans les étoiles
«J’exhorte les jeunes à trouver de nouvelles technologies poussées vers l’avenir, et pourquoi pas, des Marocains, vu qu’il y a des réussites à la NASA, à l’Agence européenne ou en Russie». Astronome amateur, Nasser Squalli expose à l’entrée de la salle de conférences. La mine de petit père, le chapeau écru bien vissé sur la tête, l’homme n’échappe pas à l’attention des visiteurs, son travail non plus. Et pour cause : sur une table drapée d’un tissu pourpre, c’est tout un pan d’histoire astronomique qui se dévoile aux yeux des visiteurs. Des dizaines de maquettes représentant des instruments allant du cadran solaire jusqu’à la reproduction de vaisseaux spatiaux et de satellites. Le tout est réalisé en bois de récupération.
La veille, lors de la cérémonie d’inauguration, son travail a été primé par le jury du festival. Selon lui, la conquête spatiale pourrait être bénéfique à la protection de notre environnement: «Actuellement, on utilise encore le mode de propulsion des années soixante-dix avec l’hydrogène et l’oxygène dans des propulseurs lourds et néfastes pour l’environnement. Je garde l’espoir qu’un jour nos jeunes, qui ont un potentiel très important, amènent une évolution dans ce domaine».
À l’extérieur, la fraîcheur qui a gagné le centre d’Ifrane rappelle que l’on se trouve à plus de 1.600 mètres d’altitude. Autour de la place, on s’affaire en terrasse, au son du chaabi improvisé par un groupe, le tout sous une lune quasiment pleine. Une aubaine pour les cinq télescopes disposés quelques mètres plus loin.
Les curieux sont réunis autour de l’attraction phare du festival. «On est tellement devenus terriens que l’on préfère regarder sous nos pieds, plutôt que vers le ciel. Le ciel reste nos origines, la source», explique Mohammed Younès, féru d’astronomie et membre de l’Association d’astronomie amateur de Marrakech.
Autour de lui et de son télescope, jeunes et moins jeunes font la queue pour voir de plus près les étoiles. Et le trentenaire sait y faire pour captiver l’attention. Sac au dos, il s’attelle à montrer une reproduction numérique des constellations avant de les pointer directement dans le ciel à l’aide d’un laser longue portée qui diffuse un fin faisceau vert. «Quand tu t’adresses à des enfants, il faut utiliser leur imagination au maximum. Les fasciner. Pour les adultes, il suffit d’utiliser des ressorts logiques et faire une représentation qui touche leur vécu», explique ce passionné des astres qui travaille dans le design graphique.
Il s’éprend d’astronomie à vingt ans, lors d’une soirée d’observation qui lui a rappelé une nuit étoilée de son enfance. Il essaie de transmettre sa passion en dispensant une petite leçon contemplative. Jusque tard dans la nuit, le ton posé et calme de Mohammed Younès aide un peu plus à percer le mystère des astres. Sous le ciel d’Ifrane, la petite graine plantée commence déjà à germer.
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