Khadija Biadi est enseignante du primaire à l’école Abou El Hassan El Kabissi à Salé. Le 17 septembre, elle a été décorée du Ouissam Almoukafaa Al Watania de troisième classe (Officier). Quand le roi Mohammed VI lui a demandé si les élèves s’intéressaient à la langue amazighe, elle a répondu: «Ils sont réceptifs et font des efforts même si cette langue n’est pas leur langue d’origine».
Elle confie à TelQuel Arabi que le roi l’a ensuite interrogé sur sa région d’origine, histoire de savoir laquelle des trois variantes de la langue amazighe elle parlait (tamazight, tarifit ou tachelhit). «Je suis du Moyen-Atlas et j’ai rejoint les rangs des enseignants en 1992», a répondu l’institutrice. «Que Dieu te vienne en aide», lui a alors dit le souverain à l’issue de leur échange.
A TelQuel Arabi, elle avoue avoir eu envie de dire au roi un mot en amazigh, puisque la mère du souverain était amazighe. « J’ai eu un bug. En présence du roi vous ne savez plus quoi dire », se souvient Khadija Biadi, encore émue par cette rencontre.
Une Amazighe chez les 3roubi
Khadija Biadi a vu le jour le 18 février 1967 à El Hajeb. Elle y fait ses études primaires, puis migre à Khémisset pour son cursus secondaire. Elle obtient sa licence en histoire à Kénitra avant d’être acceptée à l’Ecole de formation des instituteurs de Tanger.
En 1992, elle est affectée à Loukarfa, à mi-chemin entre Settat et Beni Mellal. Dans cette localité rurale et semi-désertique, Khadija Biadi dit avoir souffert le « martyr » de tout nouvel enseignant largué dans un environnement « hostile ». Elle est ensuite affectée à Ben Ahmed, à environ 90 kilomètres de Casablanca et de Rabat, où elle enseigne l’arabe et le français. L’enseignante rejoint ensuite son mari à Salé où elle est assignée à l’enseignement de la langue amazighe. Un changement qu’elle doit à sa connaissance de la langue, mais aussi à sa curiosité. « Je n’ai pas choisi d’enseigner l’amazigh, mais nous avions reçu un formulaire destiné à ceux qui parlent cette langue et qui désireraient l’apprendre aux élèves. J’ai rempli le formulaire par curiosité et, quatre ans plus tard, nous avons reçu les affectations pour devenir enseignants d’amazigh », se rappelle Khadija Biadi.
A l’époque, notre enseignante ne maîtrisait ni l’alphabet tifinagh, ni la didactique pour enseigner la langue des hommes libres. « Nous avions l’impression d’avoir été largués en pleine mer sans savoir nager », se souvient-elle.
Des épines dans le pied
Khadija Biadi, comme les autres enseignants concernés par ce programme, n’a bénéficié d’aucune formation initiale. L’institutrice avoue avoir souffert au cours de la première année d’enseignement de la langue (2006), malgré le soutien de son mari et d’autres collègues. « J’ai envisagé d’abandonner et de redevenir enseignante de français. Mais notre inspecteur régional nous a beaucoup aidés et nous avons fini par mettre en place la didactique », se souvient l’enseignante. Depuis ses débuts, Khadija Biadi estime que 90% des problèmes liés à l’enseignement de la langue ont été surmontés.
Si ses classes ne comptent qu’un ou deux élèves parlant couramment l’amazigh sur un total de quarante, l’enseignante assure que l’apprentissage de cette langue est aussi facile que pour le français qu’elle enseignait auparavant. « Comme pour le français ce n’est pas une langue que nous parlons au quotidien ou que les parents maitrisent », explique celle qui jure que certains de ses élèves ont fini par écrire le tifinagh mieux qu’elle.
L’enseignante regrette toutefois que l’IRCAM ne soit plus partie prenante dans la formation des enseignants de langue amazighe. « La formation est assurée par l’Académie, mais il y a une grande différence avec celle qui était assurée par l’IRCAM », regrette ainsi Khadija Biadi.
Un avenir en pointillé
L’apprentissage de la langue amazighe reste néanmoins confronté à certains obstacles structurels. « Je ne peux pas travailler avec des figurines représentant Karim ou Nabil alors qu’en amazigh nous avons Hammou et Rabha, par exemple », explique-t-elle.
Les manuels pour les élèves posent également problème. Ceux de la cinquième année ne sont pas encore disponibles. Une situation qui contraint l’enseignante à retranscrire l’intégralité des leçons sur le tableau.
Mais il y a pire, analyse notre enseignante. Les cours de langue amazighe s’arrêtent au primaire. Après, plus rien. « Pourquoi nous donnons-nous tout ce mal alors? », s’interroge-t-elle. Cela ne semble pas la décourager pour autant. « J’encourage mes élèves à lire et à écrire cette langue. On ne sait jamais de quoi demain sera fait », conclut Khadija Biadi.
(Moussa Matrouf pour TelQuel Arabi)
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