Le voyage initiatique de deux marcheuses maghrébines à la rencontre des femmes marocaines

Pendant cinq jours, Loubna Bensalah va marcher 100 kilomètres dans la région du Souss à la rencontre de femmes amazighs. Accompagnée par Sonia Amori, styliste et dessinatrice, la jeune femme marocaine à l’origine du projet « I walk with her » nous parle des motivations qui la poussent à sillonner le Maroc pour dialoguer avec les femmes de son pays.

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Loubna part sur les routes de Souss au milieu des arganiers à la rencontre des femmes amazighs./ Crédit DR

Un pied devant l’autre, équipée uniquement d’un sac à dos, Loubna Bensalah sillonne le Maroc à la rencontre des femmes de son pays pour échanger avec elles, discuter de leurs droits, de leur quotidien. Pour sa troisième marche, l’aventurière à l’origine du projet « I walk with her« , est partie le 13 août à la découverte des femmes de l’arrière-pays d’Agadir, dans la région du Souss.

Durant ce trip la jeune femme de 27 ans, ancienne professeure de communication et aujourd’hui enseignante de yoga, est accompagnée de la styliste et dessinatrice Sonia Amori, fondatrice de la Petite Kabyle. Rencontre avec Loubna, une sportive militante qui prend la route pour mieux comprendre son pays.

Loubna et la Sonia en route pour l’arrière-pays d’Agadir.

Telquel.ma : Qu’est-ce qu’ « I walk with her » ? 

Loubna Bensalah : C’est un projet dédié aux femmes. En marchant, je vais à leur rencontre pour parler avec elles, pour échanger, pour les faire s’exprimer sur leur vision de la femme, sur les problèmes qu’elles rencontrent, sur leurs modes de vie… « I walk with her », normalement, c’est une longue marche de 1.000km. En 2016, à 25 ans, j’ai fait la 1re édition au Maroc, puis la seconde l’année dernière en Tunisie. Ce voyage, c’est un moyen pour moi d’aller au plus près du sujet, de pouvoir essayer de mieux comprendre des choses qui m’interpellent en tant que jeune femme marocaine.

Durant cette troisième marche vous allez être accompagnée de Sonia Amori. En quoi ce trip sera-t-il différent des autres ? 

En effet, on ne peut pas dire que ça soit la troisième édition de « I walk with her », puisque j’ai fait les précédentes éditions seules. Cette fois-ci, je rejoins la Petite Kabyle (alias Sonia Amor, NDLR) une Franco-Algérienne qui dessine des BD dans lesquelles elle retrace ses périples à la rencontre de la population amazighe. La situation des femmes est aussi au cœur de ses préoccupations, alors quand nous nous sommes rencontrées à Paris et qu’elle m’a parlé de son concept, on s’est dit « pourquoi pas concilier nos deux projets et partager l’aventure ensemble ».

Pour ce voyage nous marcherons 100 kilomètres, de village en village, pendant cinq jours dans l’arrière-pays d’Agadir, dans la région de Souss. Je pars en bus jusqu’à Agadir et de là nous partirons à la rencontre de femmes des tribus amazighes où la sauvegarde de la langue, de la culture et de certaines lois tribales est encore très forte. Après notre marche il y aura une petite BD.

Loubna lors de son road trip en 2017

Comment avez vous eu l’idée de partir marcher seule pour dialoguer avec les femmes du Maghreb ? 

Toute petite, j’avais un rêve : celui de sillonner le monde. Comment ? Je ne savais pas, mais c’était en moi. J’aimais la nature, découvrir des peuples, les documentaires… J’ai toujours pensé que c’est grâce aux voyages que les civilisations se sont enrichies mutuellement. Comme tout le monde, on a des rêves d’enfants, mais avec la pression sociale quand on grandit on les met de côté pour les études, avoir un métier… On est pris par tout ça et on s’oublie.

Mais, à la vingtaine, à la fin de mes études, j’étais dans une période où je me posais pas mal de questions et où je ne voulais pas forcément que ma vie soit de suite tracée. Puis il y avait pas mal des choses que je ne comprenais pas en tant que jeune femme marocaine, des choses que je voyais ou que j’entendais tous les jours et qui me paraissaient impossibles à accepter ou concevoir. Par exemple, quand j’endentais « tu ne peux pas faire ça, car tu es une femme », j’étais révoltée.

J’ai voulu comprendre pourquoi ce genre de discours étaient banalisés au Maroc. Comment tellement de femmes pouvaient l’accepter et même le défendre ? J’ai donc voulu aller à la source pour essayer de comprendre un peu mieux ces choses qui me gênaient beaucoup.

Avez-vous eu réponse à vos questions ?

Non, pas à toutes mes questions, mais ça m’a permis de m’en poser d’autres. Le but, finalement, ce n’est pas de répondre aux questions, mais plutôt d’avoir des interrogations et de me dire « au fond peut-être qu’il n’y a pas de réponse et ça me dérange pas ». Et, je me rends compte après avoir discuté avec toutes ces femmes qu’il y a davantage de choses que j’arrive à concevoir aujourd’hui. Au fond, je pense que cette expérience m’a apaisée.

Au fil de ces voyages, je me suis même posé la question : « Qui sont les femmes les plus fortes ? Les révoltés ? Ou celles qui font avec la pression sociale qu’on leur impose ? Quand on est révoltée, on vit notre vie comme ça nous chante, mais celles qui choisissent d’encaisser ne sont-elles pas les plus fortes ? »

Pourquoi vous intéresser particulièrement aux femmes marocaines ou tunisiennes ?

Le Maroc est mon pays et que je veux essayer de mieux le comprendre. Et puis parce que les pays maghrébins sont des pays très contradictoires en ce qui concerne le droit des femmes. Au Maroc on ne peut pas nier que la « loi sociale » prime sur la loi telle qu’elle est écrite. En tant que femme marocaine, dans la loi tu as le droit de libre circulation, de voyager, de profiter de l’espace public… Mais par contre, socialement tu ne peux pas le faire.

Pourquoi ? Par peur, par crainte. Il n’y a aucune loi qui interdit les femmes à s’habiller comme elles veulent, pourtant tu ne peux pas le faire. Pareil pour fumer dans la rue, etc. Il n’y a pas de texte qui oblige les femmes à rester à la maison et faire toutes les tâches ménagères, pourtant elles le font quasiment toutes. Là où ça devient grave, c’est quand c’est une obligation et quand ces inégalités ne sont même pas perçues par les femmes, quand c’est devenu la « normalité ». Là il y a un problème.

Est-ce un phénomène davantage prégnant dans les zones rurales ? 

Non, c’est partout pareil : dans tous les cas la situation des femmes n’est jamais égale à celles des hommes. Mais, de ce que j’ai pu voir, dans les zones rurales il y a une répartition des tâches assez naturelle, un peu plus égalitaire. Les femmes s’occupent de la maison, mais vont aussi travailler dans les champs et les hommes ne font pas « rien ». Alors qu’en ville la différence entre les deux sexes est flagrante. On est en 2018, et évidemment je trouve ça révoltant.

Comment ces femmes vous ont-elles reçu ? Comment avez-vous réussi à instaurer le dialogue ? 

On discutait, tout simplement. Au début, elles ne disent jamais rien, elles disent que tout va bien. Mais petit à petit quand on commence à parler, quand la confiance et un climat d’acceptation s’installent, elles s’ouvrent. C’est une démarche d’écoute, de partage. Ce que je trouve beau dans ce genre d’expérience, c’est qu’on parle la même langue, on vit dans le même pays, qu’on est des femmes, mais il y a entre nous une divergence des idées. Cela de par l’éducation, de par l’expérience ou le background de chacun de nous. Et parvenir à dialoguer malgré nos visions différentes, c’est ce qui est magnifique.

Ce que j’ai aussi trouvé magique dans ces rencontres, c’est que j’arrivais de nulle part, seule et dans un lieu inconnu, pourtant chaque nuit ces inconnus m’accueillaient. Ce geste d’hospitalité et de générosité c’est l’une des choses qui m’a le plus touché. Je me demande même si c’était moi qui devais accueillir une personne avec des idées totalement opposées aux miennes, est-ce que je le ferais ?

Vous définissez-vous comme une féministe ? 

Pas forcément. Je me définis comme quelqu’un qui défend les droits de l’Homme. Si une femme maltraite un homme, je défendrai l’homme. Pour moi, le féminisme doit être un mouvement éphémère : les femmes sont des êtres humains, donc au bout d’un moment il faut comprendre qu’elles doivent entièrement disposer des mêmes droits que les hommes.

Au fait, pourquoi la marche ? 

C’est le moyen de transport n°1. Si on a deux jambes, ce n’est pas pour rien. Marcher c’est à mes yeux le terrain propice pour réfléchir : les prophètes ont tous marché, les plus grands philosophes aussi. Einstein a bien dit que les meilleures idées qui lui sont tombées sur la tête c’était en marchant ! La marche c’est aussi un moyen de résistance, c’est utiliser son corps pour faire passer un message.

Ça facilite aussi le contact avec les gens. Il n’y a aucun autre moyen de transport qui m’aurait permis de voir la réaction des gens quand j’arrivais avec mon sac à dos. Ce premier regard de surprise, il n’y qu’à pieds que j’ai pu le voir.

Diriez-vous que votre démarche se rapproche de celle du reporter ou de l’anthropologue ? 

On peut dire ça comme ça oui, qu’elle s’inscrit entre les deux. Mais alors un anthropologue qui n’a fait encore son récit ! (rires). Pour l’instant je récolte l’info, je veux prendre le temps de regrouper assez de matière pour rendre quelque chose de qualité et aussi qui touchera un public large.

Avec la petite BD qui paraîtra suite à notre trip avec la Petite Kabyle, ce sera une première expérience pour moi. Après j’espère aller plus loin et raconter à mon tour mes voyages en illustrations. En BD, car je veux que ça touche autant la petite fille, que le petit garçon, qu’ils puissent peut-être avoir la représentation d’une « idole » loin des stéréotypes, celle d’une jeune femme marocaine qui marche seule à la rencontre des gens dont on ne parle que trop peu.

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