Du 1er au 4 août, 25 chanteurs doivent participer à la 11e édition du festival national de la chanson raï de Sidi Bel Abbès, ville algérienne d’environ 200.000 habitants située au nord-ouest du pays. Pourtant, le jour de l’ouverture du festival, plusieurs dizaines de personnes se sont réunies pour manifester contre la tenue de l’évènement. Leur modus operandi: une prière collective sur la place de la Concorde civile de la localité, avant de se diriger devant la salle de concert, contenus par la police.
L’opposition au festival est née quelques jours plus tôt sur les réseaux sociaux et notamment sur la page Facebook «Wilaya de Sidi Bel Abbès» (compte non officiel). Suivie par plus de 250.000 personnes, elle relaie des messages hostiles à l’organisation de ce qu’elle qualifie de «festival de la honte».
Les publications dénoncent «un gaspillage» dans le contexte d’une région déshéritée et des conjonctures socio-économiques difficiles. Elles sont relayées sur de nombreuses pages connues pour leur tendance islamiste, selon le site d’information Maghreb émergent.
Prière au niveau de la place de la "CONCORDE CIVILE" puis ils se dirigent devant la maison de la culture à Sid Bel Abbès ! Ils s'opposent à l'organisation du festival du Rai
Posted by Hamid Messir on Wednesday, August 1, 2018
Dans cette vidéo, on peut voir les manifestants de Sidi Bel Abbès réunis pour manifester contre l’ouverture du festival de Raï. Plusieurs meneurs de la protestation ont été arrêtés par les forces de l’ordre et conduits au commissariat selon des sources locales. Aux alentours de 22h. Les manifestants se sont ensuite dispersés et les portes de la Maison de la culture ont pu être ouvertes pour le gala d’inauguration devant l’évènement.
فخور بنفسي أنني كنت البادئ بالصلاة أنا و شخص و برجال ولاية سيدي بلعباس #صحيح عاشور
Posted by ولاية سيدي بلعباس on Wednesday, August 1, 2018
Une vague nationale de manifestation anti-festival
Cette situation n’est pas un cas isolé. Depuis quelques semaines, les manifestations de ce type, mettant en leur centre des prières collectives, essaiment dans différentes villes algériennes contre des événements culturels.
A Ouargla, à 900 kilomètre de Sidi Bel-Abbès le jeudi 27 juillet, comme le relaie plusieurs sites d’information algérien notamment El Watan, le concert de l’artiste «Kader le Japonais«, ouvrant le Festival culturel international de Timgad a dû être annulé devant l’ampleur des manifestations similaires. Les habitants, fortement affectés par le chômage et de mauvaises conditions de vie, avaient organisé la prière du soir aux abords du théâtre de la ville pour empêcher le concert d’avoir lieu . Ils souhaitaient ainsi exprimer pacifiquement leur hostilité à l’événement, comme on peut le voir sur cette vidéo.
#أحرار #ورقلة #اليوم يصنعون الحدث على مسرح الهواء الطلق بالخفجي
Posted by Nas Ouargla News on Thursday, July 26, 2018
Le site d’information TSA Algérie rapporte les paroles d’un jeune indigné parmi la foule de protestataires de Ouargla : « Quand on sera développé comme une ville européenne, peut être que ce jour-là, on envisagera ce genre de choses. Aujourd’hui, on le refuse, ce n’est pas la peine d’y penser. Quand le citoyen algérien sera respecté, se soignera dans un bon hôpital, étudiera à l’université, aura des commodités, ce jour-là on pensera à ça… ils veulent nous divertir. »
Avant cela en juillet comme le rapporte le site d’information Maghreb émergent, un maire avait déjà décidé d’annuler la 16e édition du festival de la chanson amazigh, jugeant qu’il s’agissait de « gaspillage ». L’ONDA (l’Office national des droits d’auteur et des droits voisins) prévoyait d’organiser un triple concert dans la localité d’El Oued. Craignant des incidents et manifestation d’hostilité, elle a annoncé l’annulation de l’évènement. A Jijel enfin, localité sur la côte au Nord-Est, une annulation similaire a eu lieu fin juillet.
Contacté par Telquel.ma, Said Salhi, vice-président de la LADDH, Ligue Algérienne des Droits de l’Homme nous donne son point de vue : « C’est vraiment une nouvelle vague, généralisée qui nous inquiète. Opposer la culture aux droits économiques, c’est une dérive très grave. Comme cette façon d’instrumentaliser la religion pour s’opposer aux activités culturelles et artistiques. Cette forme de manifestation nous fait peur car pose problème au vivre ensemble. Les gens doivent respecter tous les droits, religieux comme culturels. » M. Salhi avoir interpellé les autorités sur ce phénomène sans avoir toutefois reçu de réponse pour l’instant.
Pour rappel, le phénomène d’annulation de concerts et autres manifestations artistiques sous pression populaire avait déjà connu un essor important durant les années 1990, « la décennie noire », chez nos voisins de l’Est.
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