Emmanuel Faber, PDG de Danone: "Epiciers et consommateurs décideront du juste prix du lait"

Emmanuel Faber, PDG de Central Danone depuis 2017, se définit comme un fervent défenseur de l’éthique dans le business. C'est ce message qu'il a voulu partager avec les consommateurs marocains qui boycottent ses produits. Explications en interview.

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Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, en août 2017. Crédit: AFP

C’est naturellement lui le mieux placé pour venir redorer l’image de la marque Centrale Danone au Maroc, dont les produits sont visés depuis le 20 avril par une campagne de boycott sans précédent. En moins de 24 heures passées au royaume, Emmanuel Faber, PDG de l’entreprise, a rencontré des boycotteurs de Centrale Danone, dit avoir « compris » leurs motivations et a annoncé trois principales mesures pour y remédier.

TelQuel: Quel était l’objet principal de votre visite au Maroc et qu’est-ce qu’il en est ressorti?

Emmanuel Faber : Je me suis rendu, mardi dernier, à Casablanca à la rencontre de consommateurs, d’épiciers, de jeunes, de mamans et d’éleveurs marocains, pour écouter et essayer de comprendre sur le terrain les raisons de ce boycott.

Ce que je retiens de ces rencontres, c’est que le pouvoir d’achat de beaucoup de consommateurs est sous pression et qu’ils attendent beaucoup plus des marques pour qu’elles continuent à être choisies au quotidien. Il y a une attente dans la société marocaine, de plus de proximité, plus de transparence, plus d’équité. J’ai écouté, j’entends et je comprends cette attente.

Le lait Centrale est un lait frais et naturel, sans conservateurs, sans antibiotiques. Il est collecté dans les normes de qualité internationales auprès de 120.000 éleveurs. C’est un lait bon pour la santé et pour la croissance des enfants. Ce lait frais de qualité, nous n’en avons pas augmenté le prix depuis cinq ans.

Nous ne réalisions déjà quasiment pas de profit sur le lait frais avant le boycott. Et depuis le boycott, nous subissons des pertes significatives. Il nous faut donc inventer un nouveau modèle, et j’y suis prêt parce qu’in fine, les marques appartiennent aux consommateurs et aux communautés qui les utilisent et en vivent.

Comment voyez-vous ce « nouveau modèle » voulu par Danone au Maroc ? Sera-t-il accompagné de changements au niveau du conseil d’administration ?

Nous proposons un nouveau modèle de gestion collectif du lait frais Centrale, qui sera fondé sur trois engagements majeurs de notre part. Premièrement, je suis prêt à ce que nous ne fassions plus aucun profit sur le lait frais pasteurisé Centrale. Nous souhaitons une recherche d’équité pour la marque et assurer un prix du lait le moins cher possible aux consommateurs tout en protégeant au maximum le prix payé à nos éleveurs partenaires. Pour cela, nous nous engageons à ce que le lait frais pasteurisé de la marque Centrale soit vendu à prix coûtant pour Centrale Danone, dans le respect de la Loi marocaine.

Deuxièmement, je m’engage à la transparence totale sur les coûts supportés par Centrale Danone pour la collecte, les tests qualité, la pasteurisation, l’emballage, le transport, les coûts de commercialisation du lait frais pasteurisé Centrale. Cette transparence sera vérifiable par tous, à tout moment.

Troisième et dernière mesure: pour rendre le prix du lait plus abordable, et de façon durable, nous allons faire confiance aux épiciers et aux consommateurs, parties prenantes de notre lait frais, pour qu’ils décident ensemble de ce que doit être son « juste prix » qui soit à la portée de tous les ménages et un prix équitable pour tous, y compris les producteurs de lait.

Je ne sais pas encore quelle forme pourra prendre cette gouvernance du juste prix, mais des expériences intéressantes existent dans d’autres pays, comme « C’est qui le Patron ? » en France qui est un label de marque dont les prix sont fixés par le consommateur. Nous pourrons discuter ensemble de ces modèles et évaluer comment les Marocains peuvent inventer le leur autour de Centrale. Nous serons prêts dès la semaine prochaine sur la façon d’organiser cette consultation.

Avez-vous rencontré des responsables du gouvernement marocain lors de votre déplacement au Maroc ?

J’ai voulu avant tout venir à la rencontre, sur le terrain, des utilisateurs et des parties prenantes de la marque Centrale, pour les écouter et essayer de mieux comprendre les raisons de ce boycott. Ces échanges ont été l’occasion d’entendre les attentes des consommateurs, des mamans, des épiciers, des éleveurs, des jeunes, particulièrement dans un contexte de pression sur le pouvoir d’achat.

Le boycott, qui vise depuis le 20 avril dernier Centrale Danone, n’a pas dit son origine. Les boycotteurs estiment que le lait frais est vendu à un prix cher, un prix qui n’a pas été augmenté depuis cinq ans. Vous dites « respecter le choix des Marocains de boycotter vos produits », mais ne pensez-vous pas que ce boycott est quand même injustifié ?

En effet, nous avons été marqués par ce boycott, le prix du lait frais pasteurisé Centrale n’ayant pas augmenté depuis cinq ans alors qu’il s’agit d’un produit de qualité optimale, fourni à travers une filière de lait marocain dans laquelle nous avons fortement investi.

Vis-à-vis des marques, les consommateurs sont bien entendu totalement libres de leurs choix. J’ai dit à toutes les personnes qui ont choisi de ne plus acheter nos produits, par conviction ou par solidarité, que je respecte totalement leur choix, même si je le regrette. Ils font passer un message fort, même si cela a un impact très grave sur nos activités. En tant qu’entreprise, il est de notre devoir d’en tirer des conclusions.

Comment Centrale Danone compte s’y prendre concrètement pour ne plus faire aucun profit sur le lait frais pasteurisé ?

Nous souhaitons une recherche d’équité pour la marque et assurer un prix du lait le moins cher possible aux consommateurs tout en protégeant au maximum le prix payé à nos éleveurs partenaires. Pour cela, nous nous engageons à ce que le lait frais pasteurisé de la marque Centrale soit vendu à prix coûtant pour Centrale Danone, dans le respect de la Loi marocaine. Centrale sera le symbole de l’accès quotidien des familles marocaines aux bienfaits d’un produit essentiel pour l’alimentation familiale et la croissance des enfants.

Nous démarrons maintenant les travaux pour inventer ce modèle et j’appelle toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à participer à sa conception.

Le lait frais pasteurisé Centrale vivra s’ils adhèrent largement à cette idée et si demain, elle devient la leur. L’avenir du lait frais Centrale, ainsi que celui d’un grand nombre d’éleveurs et de salariés dépendront de l’accueil qu’ils feront à ce projet : gérer ensemble le lait frais Centrale pour le mettre au service des épiciers, consommateurs et agriculteurs marocains.

Avez-vous déterminé une date pour commencer à vendre le lait frais au « prix coûtant » ?

J’ai souhaité que les équipes se mettent au travail sans tarder pour inventer ce nouveau modèle et nous permettre de conclure au plus vite sur sa viabilité économique. Nous espérons que les orientations que nous avons indiquées pourront jeter les bases d’une nouvelle relation autour de la marque Centrale.

Centrale Danone a annoncé la rupture de près de 900 contrats en intérim. Quels sont les métiers concernés ?

Suite au boycott dont elle a fait l’objet depuis plus de deux mois, Centrale Danone est en situation de perte significative à court terme. Au regard de cet impact, nous avons été contraints de mettre un terme aux contrats d’intérimaires de courte durée.

Nous avons besoin de recouvrer nos volumes pour envisager le retour à la situation d’emploi avant le boycott et cela va prendre du temps.

Vous dites qu’un départ de Danone du Maroc n’est pas envisageable. Si le boycott persiste et que les ventes ne reprennent pas, comment comptez-vous faire pour vous maintenir sur le marché marocain ?

Nous sommes tournés vers l’avenir. Je suis venu au Maroc et je suis conforté aujourd’hui, par les nombreux échanges que j’ai pu avoir, dans le fait que la marque Centrale a pleinement sa place dans l’alimentation quotidienne des Marocains, à condition que le modèle que nous proposons d’inventer se mette en place. Nous devons maintenant y travailler tous ensemble.

En 2009, Centrale laitière réalisait un résultat net part groupe de 625 millions de dirhams. En 2017, celui de Centrale Danone était presque six fois inférieur (115 millions de dirhams). Comment expliquez-vous cela?

Cette baisse des profits est due au fait qu’à la suite du rachat de l’entreprise en 2013, nous avons investi dans l’amélioration de la chaîne du froid, de la collecte à la livraison, et dans la modernisation de la flotte de nos camions. Nous avons aussi investi dans les usines, comme je l’ai dit, qui sont aujourd’hui les plus modernes d’Afrique et garantissent la qualité de nos produits. Tout cela a un coût qui a pesé fortement sur les profits, car nous n’avons pas répercuté ces coûts dans les prix de vente depuis cinq ans, compte tenu du contexte du pouvoir d’achat.

Aujourd’hui, que représente la filiale marocaine pour le groupe Danone?

Le Maroc est un pilier de la présence de Danone en Afrique.

 

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