Driss El Yazami : "Les discriminations socioéconomiques et de genre sont liées"

Alors que le festival Gnaoua d'Essaouira met cette année à l'honneur des artistes féminines engagées telles que Fatoumata Diawara et Asma Hamzaoui, le Forum des droits de l'homme organisé par le CNDH se tient en parallèle sur le thème "L'impératif d'égalité". Son président, Driss El Yazami, nous livre son regard sur les discriminations liées au genre.

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Driss Yazami © Yassine Toumi/TELQUEL

 

La mission du CNDH sur les inégalités est vaste. Quand on est le Président de cette institution, comment choisi-t-on de prioriser dans son action les différentes formes d’inégalité, de genre, économiques et sociales, politiques etc… ?

On a traversé une période au Maroc où il fallait régler les questions des droits civils et politiques. De 1999 à aujourd’hui, on a solutionné cette question héritée de notre lourd passé, notamment avec l’ instance équité et réconciliation (IER), et un certain nombre de modalités. Cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui, on est dans un paradis des droits de l’Homme, mais nous avons résolu les violations graves. Aujourd’hui, il est essentiel d’aller vers la question sociale, car quelque soit le sujet que vous touchez, vous arrivez toujours à la question des inégalités sociales, à la jeunesse, aux protestations… les enquêtes révèlent que, pour une écrasante majorité de Marocains, les droits de l’Homme signifient essentiellement les droits économiques et sociaux. Nous devons faire de ces droits une priorité.

Donc, priorité aux droits sociaux sur les droits des femmes ?

Non, car les discriminations sont composées. C’est pour cela que l’apport essentiel dans les débats du forum a été de révéler qu’il y a un croisement entre les discriminations contre les femmes, notamment dans la loi, et les discriminations socioéconomiques. On est arrivé en moins de 20 ans à scolariser toutes les petites filles au Maroc. C’est un exploit, mais cela n’a pas permis de régler définitivement l’analphabétisme, ni de garder les petites filles dans le système scolaire. Un récent rapport de Rabéa Naciri (ndlr, militante pour les droits des femmes et membre du CNDH) montre qu’il y a aussi des injustices sociales qui empêchent l’école de jouer son rôle d’ascenseur social.

Faut-il séparer le religieux du politique pour atteindre l’impératif de l’égalité, comme l’a suggéré une intervenante lors du débat ?

C’est une question complexe, mais on ne peut pas accepter des inégalités dans la loi ou dans la pratique au nom d’une foi. La finalité d’une foi religieuse est d’instaurer l’égalité. Moins que le religieux, il faut discuter des interprétations faites du religieux. Les usages, les utilisations, les détournements… Au nom du même message spirituel, on peut parfois avoir des attitudes et des politiques différentes. La Tunisie n’est pas l’Afghanistan, qui n’est pas le Soudan, ni l’Indonésie, ni le Maroc… pourtant tous ces pays ont la même religion. Ce sont les interprétations que les hommes et les femmes – et surtout le hommes – font du religieux qui sont problématiques.

On dit Conseil national des droits de « l’Homme », et pas des « droits humains ». N’est-ce pas inégalitaire envers les femmes ?

Ce problème ne se pose pas en langue arabe, mais en français. Je sais que ce débat a lieu en France, j’y ai participé lorsque j’étais la Ligue des droits de l’Homme et à la Fédération internationale des droits de l’Homme. En français, le terme remonte à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. On ne voulait pas signifier uniquement le masculin mais l’être humain. Pourtant, cela n’a pas empêché la France de ne donner le droit de vote aux femmes qu’en 1944. Ce qui est intéressant dans ce débat, c’est que cela permet l’examen des inégalités et des discriminations. Comme a dit Geneviève Fraisse aujourd’hui (ndlr, philosophe et historienne de la pensée féministe), cela permet de compter combien il y a de femmes dans telle institution ou tel domaine. C’est un débat légitime dans lequel j’ai mon point de vue : je suis pour respecter la tradition de la philosophie politique française et rester sur « droits de l’Homme », mais cela n’empêche pas que dans les textes, on utilise les deux termes indifféremment.

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