Un policier à la barre : "Je n'ose pas laver mes baskets entachées du sang de mon collègue"

Le procès des 54 détenus du Hirak se poursuivait mardi 29 mai à la salle 7 de la Cour d'appel de Casablanca. Lors de cette 76ème audience, un policier présent lors des heurts entres manifestants et forces de l'ordre survenus le 26 mai 2017 près du domicile de Nasser Zafzafi a accusé un détenu d'avoir grièvement blessé un de ses collègues à la tête.

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Crédit : Yassine Toumi/TELQUEL

Le 26 mai 2017, Nasser Zafzafi interrompait la prière du vendredi dans une mosquée d’Al Hoceïma. Quelques heures plus tard, alors que la police tente de l’arrêter à son domicile, dans le quartier de Diour Lmalik, de violents heurts éclatent entre manifestants et forces de l’ordre. Bilan : plusieurs arrestations côté manifestants ainsi que des dizaines de blessés chez les forces de l’ordre. Parmi ceux-ci, le gardien de la paix S.F. Dépêché sur place pour procéder à l’interpellation du leader du Hirak, il reçoit une brique en pleine tête. Tombé dans le coma, il se réveille des mois plus tard à l’hôpital militaire de Rabat. Il en ressort avec une paralysie partielle à la main droite et garde des séquelles psychologiques de ce traumatisme.

Son collègue, Y. B., a assisté à la scène. « J’ai vu un homme vêtu d’un maillot de foot rouge, celui d’Arsenal floqué Marouane Chamakh, et d’un jeans bleu, une grosse brique rouge à la main. S.F. se tenait à moins de 3 mètres de lui. Il a reçu le projectile sur le crâne, et a perdu immédiatement conscience. Nous l’avons transporté au véhicule des forces de l’ordre le plus proche, faute d’ambulance. Je garde chez moi les baskets ensanglantées que je chaussais ce jour-là, je n’ose pas les laver », a-t-il raconté au juge,  mardi 29 mai, à la reprise du procès des 54 détenus du Hirak à la Cour d’appel de Casablanca. « Je remercie Dieu tous les jours de m’avoir gardé en vie. Si elle n’avait pas touché mon collègue, cette brique serait retombée sur moi », a-t-il ajouté.

Qui est l’assaillant ? « C’est Samir Ighid. J’ai participé à son arrestation quelques heures plus tard. Je l’ai immédiatement reconnu », répète le témoin la main droite levée, comme pour prêter serment. Samir Ighid, accusé en effet de tentative d’homicide volontaire, risque la réclusion à perpétuité, au pire la peine de mort (A noter que la peine de mort n’est plus exécutée au Maroc depuis 1993). Depuis le box des accusés, il crie au mensonge et au faux témoignage. « Je jure sur le Coran que ce n’est pas moi », lâche-t-il devant le juge lors de sa confrontation avec le témoin. « Moi aussi je jure sur le coran », rétorque le témoin. Y. B. n’est pas le seul accusateur de Samir Ighid dans cette affaire. Trois autres témoins, tous des policiers de la même unité d’intervention, avaient tenu avant lui un discours similaire devant la Cour.

La défense reste naturellement circonspecte face à la déposition de Y. B. Elle enchaîne les questions visant à le discréditer.

« Où se trouve exactement le domicile de Nasser Zafzafi ?, commence Mohamed Aghnaj.

— Je ne sais pas, réplique le témoin.

— Avez-vous reçu la consigne de l’arrêter ou de simplement soutenir les unités déjà sur place ?

— Je suis défendu de répondre, ça relève du secret professionnel.

— Qui a déclenché les hostilités ?

— Je ne me souviens plus, ça date d’un an

— A quelle heure l’affrontement a-t-il débuté ?

— Je n’avais pas de montre sur moi »

A plusieurs reprises, le témoin brandira l’argument du secret professionnel. Mohamed Aghnaj lance une dernière offensive : « que portais-tu ce jour-là ? » Secret professionnel. L’avocat s’attendait à ce que le témoin réponde qu’il était vêtu d’un uniforme de fonction, afin qu’il contredise les propos tenus auparavant, selon lesquels il chaussait des baskets. « Le témoin n’hésite pas à mentionner ses chaussures ensanglantées pour s’offusquer du sort de son collègue puis rechigne à nous dire ce qu’il portait d’autre ! », s’exclame l’avocat, excédé. En face, Me Houcine Kerrout dénonce « une terrorisation des témoins et une démarche insidieuse visant à leur faire porter le chapeau ». Après plusieurs minutes d’échanges tendus et malgré l’insistance de la défense, le président Ali Torchi décide le report du procès au jeudi 31 mai.

 

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