TelQuel Arabi : Vous attendez-vous à ce que les téléspectateurs critiquent les programmes télé de ce ramadan ?
Kamal Kadimi : J’en suis certain, même si les programmes, pour certaines productions, sont de bonne facture. Pour moi, le problème majeur c’est cette profusion de programmes face à un téléspectateur qui doit s’organiser pour tout suivre. Même si j’ai participé à plusieurs programmes humoristiques, je me dis qu’il n’y a aucune raison valable pour en diffuser autant juste après la rupture du jeûne. Je me souviens, quand j’étais jeune on avait droit à des séries sérieuses et qui respectaient l’intelligence des téléspectateurs : « Al Kawassir », « Al Bawassil », « Al Jawarih »…
Aujourd’hui, nous sommes enfermés dans un cercle vicieux dans lequel on ressasse les clichés les plus éculés et dans un style de bas étage. La responsabilité incombe à tout le monde : les chaînes, les sociétés de production, les scénaristes et les acteurs.
Puisque vous jugez que ces productions sont « fades », pourquoi y prenez-vous part ?
Il y a des gens qui me demandent de boycotter ces productions et de m’enfermer chez moi, tel un misérable. Je suis un artiste professionnel qui ne peut pas chômer trop longtemps. Cela dit, il ne faut pas compter sur moi pour taper à la porte d’un réalisateur ou d’un producteur pour quémander un rôle.
Quant à la médiocrité des productions ramadanesques, cela s’explique par plusieurs facteurs : on fait les choses à la hâte et les sociétés de production sont devenues les maîtres à bord. Au risque d’agacer. Enfin, je pense que les sitcoms n’attirent pas les Marocains. Ces séries ne font pas partie de notre culture, tout simplement.
Votre absence des écrans durant ce mois de ramadan est-elle un choix ou est-ce à cause des offres qui manquent ?
J’ai décidé de prendre du recul pour me reposer. Je ne me retrouve plus dans les œuvres dramatiques et j’ai décliné plusieurs offres. Les gens croient que ceux qui jouent dans les sitcoms sont heureux pendant les tournages alors que ce n’est pas le cas. Certains ressassent des textes dont ils ne sont pas convaincus, mais, en même temps, savent que s’ils ratent ces occasions ramadanesques, ils ne feront que faire durer leur chômage plus longtemps.
Personnellement, le théâtre me manque. Il m’offre une plus grande marge de liberté, qu’on ne retrouve pas à la télévision ou au cinéma.
Sinon, la publicité est-elle plus rentable pour les comédiens ?
Aujourd’hui, l’art n’a plus cette mission d’éducation qui nourrit l’esprit critique. Je suis contre cette ruée des artistes vers la publicité. Cela dit, les entreprises ont le droit de recourir à des figures connues pour vendre leurs produits. Mais l’artiste ne doit pas devenir lui-même une marchandise. C’est pour cette raison que j’ai refusé plusieurs contrats publicitaires, un choix que fait par conviction.
Certains vous reprochent une certaine dérive lors de ces trois dernières années, en optant justement pour la publicité et l’émission « Jazirat Al Kanz ». Que répondez-vous à ces remarques ?
Le public a le droit de faire les critiques qu’il veut. « Jazirat Al Kanz » (l’équivalent de Fort Boyard) est présent dans toutes les versions mondiales. Moi, j’ai réussi à apporter une teinte marocaine en l’associant à Hdidane. Personne n’a émis de réserve et cela a marché.
Pour être franc, et en tant qu’artiste qui a fait ses premiers pas dans le théâtre, travailler à la télé n’est pas la même chose que quand on joue sur les planches. Quand on devient professionnel, on est obligé d’accepter des offres dont nous ne sommes pas convaincu et cela m’est arrivé aussi.
Dès 2011, vous avez participé aux marches du Mouvement du 20 février. Etes-vous toujours un artiste engagé ?
Certains artistes me font rire quand ils déclarent qu’ils refusent de s’impliquer dans des affaires politiques ou sociales. C’est absurde et ces gens-là devraient avoir honte.
L’art, c’est se positionner. J’ai joué dans des pièces de théâtre qui avaient pour sujet le peuple et la défense des opprimés. J’appartiens à une famille de militants et je fais partie de la génération qui a vécu les années de plomb et les arrestations arbitraires. Quand j’ai opté pour l’art, j’ai toujours été animé par l’esprit de défense des valeurs de justice, d’équité et de démocratie. C’est en ce sens aussi que nous pouvons nous investir dans l’action associative.
Les choses sont devenues différentes quand j’ai commencé à travailler pour la télé et le cinéma. Les marges de liberté s’étaient rétrécies et c’est pour cela que je suis mécontent de ce que je fais. C’est pour cette raison aussi que je me prépare à revenir au théâtre.
Participez-vous au boycott de Sidi Ali, Centrale Danone et Afriquia Gaz ?
Je soutiens les boycotteurs. Mais je refuse que le fait de boycotter, ou non, devienne un critère pour stigmatiser qui que ce soit. Un vrai artiste se doit aussi d’aller au fond des choses. Pour le boycott, il fallait d’abord savoir qui était derrière, pourquoi et comment. Je refuse d’embrasser une quelconque cause parce que c’est soi-disant la cause du peuple.
Moi, le Hdidane de tous les Marocains, qui pensait que le boycott n’avait pas de visées politiques ? Après de longs débats avec mon entourage, j’ai fini par être convaincu que le boycott défendait des revendications légitimes.
Pensez-vous que Maroc est capable d’organiser la Coupe du monde ?
Les choses deviennent très compliquées quand on ne se trouve plus dans une concurrence sportive loyale et quand le rival proclame que celui qui n’est pas avec lui est forcément contre lui. Pour moi, même si le Maroc n’obtient pas l’organisation de la Coupe du monde, il doit aller de l’avant dans la réalisation de ses projets d’infrastructures : les routes, les hôpitaux, les stades et les aéroports. C’est, à mon avis, le véritable gain.
Propos recueillis par Abderrahim Smougueni
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