La rupture des relations avec l’Iran, le lien entre l’Algérie et le Polisario et la question de l’exploitation des ressources au Sahara… Autant de dossiers épineux que le ministre des Affaires étrangères évoque dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique dans son édition parue le 13 mai. Dans cet entretien ayant eu lieu le 8 mai, le ministre évoque tout d’abord la rupture des relations avec Téhéran survenue une semaine plus tôt avant d’évoquer l’implication algérienne dans ces tensions, mais aussi les récents développements relatifs au dossier du Sahara.
Il affirme notamment que le « dossier », relatif à cette rupture, a été préparé « pendant des semaines, sur la base d’informations collectées et recoupées sur plusieurs mois ». Celui-ci récapitule notamment « les dates de visites de hauts cadres du Hezbollah en Algérie ; dates et lieux des réunions qu’ils ont tenues avec des responsables du Polisario ; liste de noms des agents engagés dans ces contacts ». Des « preuves irréfutables sur les liens entre Téhéran et Tindouf envoyées à des ‘pays amis’ sur instructions du roi Mohammed VI, » selon Nasser Boourita.
Un agent de la « chiisation » comme intermédiaire
Le diplomate poursuit en listant les personnes impliquées dans ces rencontres : » Il s’agit notamment de Haidar Sobhi Habib, responsables des opérations extérieures du Hezbollah, d’Ali Moussa Dakdouk, conseiller militaire de cette organisation et de Haj Abou Wael Zalzali, responsable de la formation militaire et de la logistique ». Selon le ministre, c’est Amir Moussawi, un « conseiller culturel » à l’ambassade d’Iran à Alger qui aurait fait la liaison entre le Hezbollah et le Polisario en Algérie.
Le diplomate détaille son parcours dans les colonnes de Jeune Afrique : « Il a déjà été un homme clé de la tentative de ‘chiisation’ dans plusieurs pays arabes et africains. Il a par la suite rejoint le cabinet du ministre de la défense de l’époque, Ali Shamkhani qui est un aujourd’hui un conseiller du ‘Guide suprême’ Ali Khamenei ».
Dans cet entretien , le ministre des Affaires étrangères répond au Hezbollah qui avait suggéré que le Maroc avait cédé « aux pressions des Etats-Unis, d’Israël et de l’Arabie saoudite » pour accuser le mouvement chiite de collaborer avec le Polisario et rompre ses relations avec l’Iran. A ce sujet, Nasser Bourita affirme que si la diplomatie marocaine avait voulu agir par « opportunisme », elle aurait pu profiter de « la décision des Etats-Unis de se retirer de l’accord nucléaire iranien » pour annoncer la rupture des relations avec Téhéran. Le ministre indique également que si le Maroc avait « voulu plaire à certains pays » il aurait pu profiter « d’une des attaques ballistiques menées à partir du territoire yéménite« .
Querelle de voisinage
Dans ses déclarations accordées à la presse le 1er mai lors de l’annonce de la rupture des relations avec Téhéran, Nasser Bourita avait également pointé du doigt la responsabilité de l’Algérie. Selon le ministre, le voisin de l’Est « a donné davantage que sa bénédiction » en apportant « couverture, soutien et appui opérationnel » au Hezbollah et à l’Iran. Le diplomate affirme également à ce sujet que « certaines réunions entre le Polisario et le Hezbollah se sont tenues dans une ‘planque’ algéroise bien connue des services algériens« . Un logement loué à une « Algérienne mariée à un cadre du Hezbollah et convertie en agent de liaison » selon Nasser Bourita. Le ministre affirme également l’Algérie a déjà eu recours à des pratiques similaires en acceptant « que des armes soient livrées aux séparatistes par certains pays comme la Libye et Cuba » entre 1975 et 1992.
Nasser Bourita craint également que l’Algérie ne soit tentée de « commettre l’erreur stratégique de pousser le Polisario hors des camps de Tindouf » ce qui pourrait conduire, selon lui, à une grave déstabilisation de la région et « compromettre définitivement le cessez-le-feu et d’anéantir toute chance de relance politique ». Une allusion, aux récentes incursions du Polisario dans la zone située à l’est du mur de défense.
Dans cet entretien, le ministre des Affaires étrangères insiste également sur le fait que l’Algérie est partie au conflit. Pour étayer son argumentaire, le diplomate affirme qu’au moment du vote des résolutions relatives au Sahara, ce sont les diplomates algériens qui démarchent les chancelleries et non pas ceux du Polisario. Autre exemple cité par Nasser Bourita, les négociations de Manhasset durant lesquelles le représentant du Polsario sortait de la salle « pour prendre des instructions [….] auprès des décideurs algériens » selon lui.
Le ministre affirme toutefois que le « dialogue est toujours possible » entre les deux pays et souhaite une relation maroco-algérienne à l’image de celles entre la France et l’Allemagne qui ont fait office de « locomotives de la construction européenne« .
UE et Cedeao : Une question de perspective
Autre relation évoquée par Nasser Bourita celle entre le Maroc et l’Union européenne. Pour le ministre, la relation entre Rabat les 28 ont été marquées par « trois ans de passage à vide« . Une référence aux deux jugements de la Cour de justice de l’Union européenne relatifs à l’accord de pêche et à l’accord agricole qui ont, selon le ministre, été « une occasion pour s’entendre sur le socle de [leur] partenariat ». Un partenariat qui n’est plus « guidé par les intérêts exclusifs de l’Europe » et qui permet au Maroc d’être dans « une interpellation géostratégique de l’UE » car le Royaume et les 28 « ont la même aire géostratégique ».
Enfin, le diplomate a également évoqué la demande d’adhésion du Maroc à la Cedeao affirmant à ce suyjet que le Royaume a « choisi une option géopolitique, pas un marché« . « C’est un choix d’appartenance à une région, avec ses problèmes, ses défaillances et ses crises, mais également son potentiel, » renchérit Nasser Bourita. Pour le diplomate, les appréhensions soulevées quant à cet adhésion par des pays membres de l’espace ouest-africain « témoignent du succès de l’engagement économique du Maroc en Afrique de l’Ouest« . D’autant que l’approche marocaine dans cette zone est « différente » de celle des Français et Chinois.
Un entretien mal reçu
Dans un communiqué publié le 13 mai, le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères a dénoncé les « propos irresponsables » de Nasser Bourita. « Au lieu de produire les preuves ‘irréfutables’ qu’il prétend détenir (…) le ministre marocain a choisi de poursuivre sur la voie de la mystification et de l’affabulation, » indique le communiqué de la diplomatie algérienne. Depuis l’éclatement de la crise entre Rabat et Téhéran, Alger nie toutes les accusations la visant.
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