Si le Maroc veut entrer dans le club des pays émergents, comme l’avait appelé de ses voeux le roi dès 2014, le pays va devoir transformer son modèle de développement en profondeur, car l’actuel n’est « pas suffisamment inclusif pour soutenir durablement la croissance ». C’est ce qui ressort de « l’examen multidimensionnel » auquel s’est livré l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec laquelle le Maroc a signé un Programme-pays en 2015. Ce rapport de 200 pages, qui s’inscrit dans le cadre de cette coopération, a pour objectif de « soutenir les décideurs politiques marocains dans l’élaboration de stratégies appropriées visant à accélérer le développement du pays« .
Rattraper le retard de compétitivité par l’innovation
Si l’OCDE juge l’économie marocaine « dynamique et internationalisée« , elle considère que « le Maroc doit rattraper un écart en matière de compétitivité par rapport au reste du monde« . En effet, seul un petit nombre d’entreprises marocaines ont des niveaux de productivité proches de la moyenne mondiale, avec de grandes disparités selon les secteurs d’activité. Si environ 30% des entreprises marocaines dans la machinerie, 4,4% dans les produits alimentaires et 2,6% dans le textile atteignent le niveau de productivité des firmes les plus performantes dans le secteur, dans la production de métaux et les services, aucune entreprise n’atteint la moyenne mondiale de productivité. Seule l’hôtellerie se démarque par sa bonne productivité. L’OCDE note par ailleurs que « les entreprises avec capitaux étrangers font partie des firmes les plus productives ».
Pour améliorer la compétitivité industrielle, les exportations et les investissements des entreprises marocaines, il est selon l’OCDE indispensable de soutenir l’innovation. « Les firmes doivent développer de nouvelles technologies et techniques qui leur permettent de produire et vendre des produits qui n’étaient pas disponibles précédemment, réduire les coûts de production, ou améliorer la qualité de produits existants« . L’OCDE est plutôt optimiste dans ce domaine, estimant qu‘ »une part relativement importante des firmes marocaines innovent par rapport à d’autres pays ».
Elle alerte toutefois sur la nécessité de mettre en place des actions coordonnées par les entreprises, les centres de recherche et les politiques étatiques, pour structurer davantage la politique d’innovation qui « apporte peu de résultats ». Elle recommande également de « rationaliser les efforts publics, notamment par une limitation du nombres d’entités en charge de l’innovation », et de « donner les moyens au Centre marocain d’innovation d’être (…) le véritable guichet unique de l’innovation ».
Encourager le financement privé par la fiscalité
Conséquence de cette productivité stagnante, le déficit commercial demeure important (15,9% du PIB en 2016 selon le FMI) et les partenaires commerciaux sont concentrés, « notamment dans l’Union Européenne ». Cela génère d’importants besoins de financement, qui « affectera sensiblement la stabilité macroéconomique à moyen et long terme« . L’OCDE juge les incitations fiscales « insuffisantes » au Maroc. Or, il est indispensable de mettre en place des incitations fiscales « pour stimuler l’investissement privé dans l’innovation et contribuer à lever les défaillances de marché« , à l’instar de nombreux pays de l’OCDE. Au Maroc, « les incitations fiscales apparaissent insuffisantes ». L’institution recommande de mettre en place des allègements fiscaux, par exemple sous forme de crédit d’impôt recherche ou de déduction fiscale sur le volume des dépenses en innovation, mais aussi des incitations « dédiées spécialement aux PME, comme les provisions pour reports fiscaux, réductions des contributions de sécurité sociale ou des retenues d’impôts sur salaires pour le personnel dédié à la recherche ».
Un capital humain faible et mal utilisé
Autre problématique structurelle affectant le développement économique, « le stock de compétences disponibles qui ne répond pas aux attentes du marché de l’emploi et est sous-utilisé ». En effet, 60% de la population active occupée est sans diplôme et près de 25% des diplômés sont chômeurs. Non seulement le niveau de capital humain est faible, avec seulement 6% de la population qui justifiait d’un niveau d’enseignement supérieur en 2014, mais en plus « cette main d’oeuvre ne participe que faiblement au marché du travail ». En effet, le taux d’activité « ne cesse de baisser » : il n’était que de 46,4% alors que le nombre de personnes en âge de travailler est en constante augmentation.
Une situation préoccupante que l’OCDE explique par une « inadéquation qualitative » entre l’offre de formation et la demande d’emploi, qui s’est accentuée depuis 2004. En cause, la « structure de l’offre de formation, principalement tournée vers l’emploi salarié alors que moins de 60% de la population active occupe un emploi salarié ». Un décalage qui existe aussi au niveau sectoriel : en 2016, près de 40% de la population marocaine travaillait dans le secteur agricole, alors que le nombre de formations dans ce domaine est limité.
Pour résoudre ce paradoxe, l’OCDE recommande d’augmenter la quantité d’offre de formation dans les filières techniques et universitaires, de mieux anticiper les besoins en compétences sur le marché du travail, et de revoir les politiques d’activation du stock de compétences disponibles. En outre, le rapport pointe les défaillances des politiques actives de promotion de l’emploi et estime que le système d’information capable de faire le lien entre formation et marché de l’emploi est clairsemé et incomplet. Elle préconise de mettre en place un portail d’information en ligne, sur le modèle du Canada ou du Pérou, et de développer les mécanismes d’orientation professionnelle. Il est également nécessaire d’agir sur le taux d’emploi des femmes, qui ne composent que 26% de la population active (selon un rapport Banque Mondiale 2018), à travers une hausse de la scolarisation dans le préscolaire, le développement des possibilités de mode de garde et du temps partiel.
« L’urgence de réformer le système éducatif »
A l’instar de nombreux observateurs nationaux et internationaux, l’OCDE alerte sur « la faible qualité de l’éducation » au Maroc. Ses perspectives sont plutôt pessimistes : « d’ici 2020, le Maroc n’aura pas atteint le nombre d’années de scolarisation associé à un niveau de développement moyen« . Le nombre moyen d’années d’études de la population âgée de 25 ans est actuellement faible, à 4,4 ans selon le HCP. Une moyenne qui recouvre de grandes inégalités, « plus marquées selon le milieu de résidence que selon le genre », précise le rapport.
Pour l’OCDE, le système n’est pas efficient car les ressources financières sont élevées (5,6% du PIB, soit 55,3 MMDH en 2016), mais peu productives. Ces fonds, qui ont toutefois baissé en termes réels de 10% par rapport à 2011, sont accaparés à 80% par l’Education nationale, alors que l’enseignement supérieur ne bénéficie que de 17% et la formation professionnelle de 4% (chiffres de 2013). Des dépenses mal réparties d’autant plus que « les dépenses publiques par élève sont inférieures à celles des autres pays de comparaison« , les enseignants monopolisant 86% des dépenses de l’éducation (en comparaison, la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 77%). De plus le manque de professeurs, dû au vaste programme de retraite anticipée lancé au milieu des années 2000, devrait « s’accroître dans les prochaines années », 32000 départs étant attendus d’ici 2020. Des enseignants à la fois peu nombreux et peu qualifiés : l’OCDE estime que « le système de formation initiale des enseignants présente des dysfonctionnements », malgré la réforme de la formation des professeurs engagée en 2007.
Du point de vue de la gouvernance, l’OCDE déplore la « gestion du système qui reste très centralisée, malgré les processus de décentralisation et de régionalisation avancée », ce qui ne permet pas une « participation des collectivités locales dans la gestion opérationnelle des établissements scolaires ». Outre la mise en place d’une réelle coordination régionale, le rapport recommande de revoir les systèmes d’évaluation des administrations, des professeurs et des élèves, « qui ne sont pas suffisamment basés sur les compétences ».
Réduire les incohérences des politiques publiques
Si l’OCDE reconnaît que le Maroc a entrepris, « depuis le début du XXIème siècle un agenda de réformes ambitieux », elle estime que « la mise en cohérence des politiques publiques permettrait de lever une contrainte majeure à l’efficacité de l’action publique ». S’agissant des nombreuses stratégies sectorielles, telles que le Plan d’accélération industrielle, le Plan Maroc Vert, le plan logistique, le rapport déplore qu’elles « ne se traduisent pas en objectifs et priorités clairement définies et partagées ». Il recommande d’établir un document d’orientation de politique générale à long terme, pour « fédérer et arbitrer entre les différentes stratégies sectorielles ». Prenant l’exemple de la promotion des exportations, il estime que la multiplicité des initiatives et des acteurs impliqués « pose la question de leur complémentarité et de leur synergie ».
Sur le Plan Maroc Vert, hautement stratégique au vu de poids de l’agriculture dans le PIB marocain, l’OCDE regrette qu’il ait été « élaboré par un bureau d’étude et le cabinet du premier ministre sans implication des parties prenantes telles que les départements ministériels ou la société civile ». A l’inverse, la population locale avait participé à l’élaboration de l’INDH à travers des représentants du secteur, des associations et des élus.
Les faiblesses de la politique industrielle, qui ambitionne de créer 71 000 emplois par an, sont également pointées par l’OCDE. Si l’institution reconnaît que cette politique « a connu un certain succès », notamment en réussissant à développer de nouvelles filières d’activité et le « concept d’écosystème, aujourd’hui largement reconnu« , elle déplore qu' »aucune analyse de bilan et des limites de l’ancien plan, le Plan National de l’Emergence industrielle », n’était été fait. Cela constitue pour elle un « symptôme de la faible continuité de l’administration« . En outre, « la définition des filières d’activité apparaît relativement floue« , ce qui peut « nuire à la clarté du message auprès d’investisseurs, notamment étrangers ».
Par ailleurs, « les liens entre les stratégies sectorielles sont rares » et n’affichent pas une cohérence d’ensemble. Par exemple, « la stratégie logistique ne fait pas référence aux aspects relatives à l’efficacité énergétique, alors que le transport est une filière clé de la stratégie énergétique ». Elle n’est pas non plus liée au Plan Maroc Vert, malgré les synergies évidentes entre l’agriculture et l’efficacité énergétique. Par ailleurs, « les stratégies de développement des échanges ne font référence à aucune des autres stratégies, sauf le PAI de façon relativement abstraite ».
Enfin, l’OCDE se penche sur les failles de l’administration marocaine, estimant que celle-ci « doit être davantage au service des citoyens », pour « restaurer la relation de confiance », mais aussi sur la situation budgétaire du pays. « Le Maroc connait une certaine prolifération de réformes budgétaires originales », dont certaines « entravent la cohérence de l’action publique ». Plus précisément, « les comptes spéciaux du trésor (CST), destinés à la mise en oeuvre des orientations du gouvernement et à l’allocation des ressources budgétaires, ne respectent pas le principe d’unité budgétaire ». Si des efforts ont été entrepris pour rationaliser le nombre de CST, ils représentent toujours 26% du budget de l’Etat, « ce qui altère la visibilité sur l’affectation d’une part importante des dépenses de l’Etat aux politiques publiques ». Il est également nécessaire d’améliorer la gouvernance budgétaire locale, dans le cadre de la régionalisation avancée.
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