La réalité des établissements de protection sociale en charge des personnes en situation difficile est très éloignée des exigences du cadre légal posé par la loi 14.05 de 2006. C’est ce qui ressort du rapport de la Cour des comptes publié le 8 mai. Les nombreuses difficultés qu’ils rencontrent sont principalement liées à l’insuffisance des financements publics et aux irrégularités du versement des subventions.
Capacité d’accueil insuffisante
Au total, les 246 établissements de protection sociale chargés des personnes précaires ont une capacité d’accueil de moins de 30.000 personnes. Les établissements en charge des enfants abandonnés ou en situation difficile représentent 36% de l’ensemble, ceux en charge des personnes handicapées 24%, ceux en charge des femmes en situation difficile 9%, des personnes âgées 14% et les établissements polyvalents représentent 13% du total de ces établissements.
Or, parmi les établissements interrogés, « 23% exercent leurs activités avec des flux effectifs des bénéficiaires qui dépassent leurs capacités d’accueil », relève le rapport de de l’institution présidée par Driss Jettou, qui précise que « les dépassements vont de 6% à 800% ». Et les listes d’attentes se rallongent. Selon une étude réalisée en 2014 , seuls 6% des plus de 35.000 personnes en situation précaire recensées dans la région de Casablanca-Settat sont prises en charge dans l’une de ces structures, soit 2.200 personnes âgées nécessiteuses, handicapées sans ressources et femmes précaires.
Bâtiments non sécurisés et inadaptés
Parmi les problèmes matériels rencontrés, la vétusté des bâtiments qui concerne 44% des établissements visités par la Cour des comptes. « 54% des établissements ne respectent pas les conditions exigées de sécurité, notamment en raison du manque des moyens d’extinction de feux et de l’absence des issues de secours », pointe encore le rapport des magistrats. De plus, 45% des établissements visités « n’offrent pas aux bénéficiaires les accessibilités et les moyens requis à même de faciliter leurs déplacements », et 30% d’entre eux ne peuvent assurer un service de chauffage en période de grand froid.
Personnel peu nombreux et peu qualifié
Côté ressources humaines, les établissements peinent également à se conformer aux exigences légales. « Les effectifs par établissement varient entre 3 et 95 agents » et « le personnel en charge de missions médicales ou d’assistance sociale représente une faible proportion, ne dépassant pas respectivement 7% et 5 % de l’effectif total », note le rapport. Ces difficultés sont « liées à la rareté ou à l’indisponibilité de cadres dans certaines spécialités (psychologues, psychiatres, kinésithérapeutes, orthophonistes…) et à l’insuffisance des ressources financières au regard des besoins en personnel ».
Et pour cause, la précarité touche aussi le personnel des établissements, dont le salaire moyen est de 2833 dirhams mensuels.« 64% du personnel perçoivent moins que le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti [SMIG, NDLR] et 29 % parmi cette population ne bénéficient d’aucune couverture sociale », rapporte la Cour des comptes.
Par ailleurs, 23% des établissements n’ont pas de directeur, et 17% des directeurs ne remplissent pas les conditions légales fixant le niveau de diplôme exigé.
Insuffisance et irrégularités du soutien financier
Si ces établissements peinent à remplir correctement leurs missions, c’est principalement du fait des difficultés financières qu’ils rencontrent. Les magistrats insistent sur le niveau insuffisant de subventions publiques, qui ont toutefois connu une augmentation ces dernières années, passant de 58 millions de dirhams en 2014 à 93 millions en 2016. Bien que l’Entraide nationale soit le premier pourvoyeur public, sa contribution « ne dépasse pas 12,45% des ressources totales des établissements« , car ses ressources propres sont limitées. Contribuent également au financement des établissements en charges des personnes en situation difficile, « l’Etat, les collectivités territoriales et d’autres établissements publics ».
En plus d’être faibles, ces contributions publiques souffrent également de retards et d’irrégularités de la part de l’Entraide nationale et des collectivités territoriales. « Dans de nombreuses situations, les versements de la part de ces collectivités dans le produit de la surtaxe d’abattage sont effectués tardivement. De même, la répartition du produit de ladite surtaxe entre les établissements de protection sociale ne se fait pas sur la base de critères clairs et transparents », précise le rapport.
Au total, le soutien financier public ne représente que 37% des revenus des ces établissements, qui tirent 51% de leurs ressources de « la bienfaisance« , provenant de dons nationaux et étrangers, d’aides financières en nature provenant d’initiatives privées, de bienfaiteurs, de participations et de souscriptions des fondateurs et membres d’associations. Des contributions qui ont connu une progression de 30% sur la période 2012-2016, équivalant en 2016 à 111 millions de dirhams, mais restent en deçà des besoins : « faute de reconnaissance de la qualité d’utilité publique en leur faveur, les associations gestionnaires des établissements de protection sociale se trouvent privées d’un moyen important pouvant mobiliser davantage de ressources de la bienfaisance« , pointent les magistrats.
Conséquence de ce manque de moyens, « le déficit des établissements de protection sociale a augmenté de 40,4% au cours de la période 2012-2016 en passant de 6,98 millions de dirhams en 2012 à 9,80 millions de dirhams en 2016″.
Gouvernance aléatoire
Les établissements de protection sociale en charge des personnes vulnérables souffrent également de leur gouvernance peu rigoureuse. » la pluralité des acteurs institutionnels dans un contexte de chevauchement des attributions et de manque de coordination », « l’absence de définition et de critères clairs qualifiant les personnes en situation difficile » et « l’absence, tant au plan national que local, de données précises et actualisées au sujet des personnes en situation difficile, impacte négativement la gouvernance générale du domaine de la protection sociale », estiment les magistrats.
Une mauvaise gouvernance aggravée par l’insuffisance des contrôles : entre 2012 et 2016, seuls 17% des établissements ont été contrôlés selon le rythme prévu par la loi et 56% d’entre eux n’ont subi aucun contrôle.
Renforcer le financement et clarifier la gestion
Parmi ses nombreuses recommandations, la Cour des comptes met l’accent sur l’impératif financier. Elle préconise d' »explorer toutes les possibilités d’augmenter l’aide d’Etat », notamment en étudiant la possibilité de mobiliser une partie des ressources du Fonds de cohésion sociale, d’élargir les incitations fiscales et d’inciter les bailleurs publics à verser leurs subventions de façon régulière et dans les délais fixés. Mais l’effort devrait aussi venir des établissements eux-mêmes, que les magistrats encouragent à « déployer des projets générateurs de revenu et à exploiter leur patrimoine de façon à pouvoir disposer de recettes propres et stables ». Il serait également nécessaire de renforcer le rôle de l’Entraide nationale, à travers un contrat-programme avec l’Etat, selon la Cour des comptes.
Au-delà des recommandations de bonne gouvernance formulées, la Cour des compte préconise aussi d’adapter le cadre juridique de la gestion de ces établissements pour mettre en place « d’autres formes de prise en charge ». Il s’agirait notamment d’une « aide directe en faveur d’enfants et de personnes âgées au sein des familles pour alléger la pression » des établissements. La Cour des comptes souhaite également que les collectivités territoriales jouent un rôle plus actif dans le domaine de la protection sociale, « particulièrement en ce qui concerne la création des établissements, la mobilisation des sources de financement et le contrôle des conditions d’hébergement et de prise en charge, moyennant, notamment un cadre de partenariat avec les associations en charge de la gestion desdits établissements ».
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