Autour des cahiers qui remplissent les cartables d’écoliers, une guerre commerciale fait rage. D’un côté, les industriels marocains qui crient à la concurrence déloyale venue de l’est. De l’autre, des industriels tunisiens et importateurs de ces cahiers qui rejettent cette accusation, arguant que le véritable problème des producteurs locaux vient plutôt de leur gestion interne.
Le 7 mars dernier, une décision du ministère de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Economie Numérique a mis le feu aux poudres. Elle prévoit d’appliquer des droits antidumping provisoires sur les importations tunisiennes. Ces taxes peuvent atteindre jusqu’à 51 % pour certains produits. Après une plainte de trois producteurs marocains de cahiers scolaires – Mapaf, Medpaper et Promograph – le département de Moulay Hafid Elalamy avait ouvert un enquête en mai 2017. Après 10 mois d’investigations, les conclusions publiées par le ministère sont sans appel : il y a bien un dumping de la part des producteurs tunisiens, avec des dommages importants pour les producteurs locaux, ce qui justifie l’application de droits à l’importation.
Selon le département de l’Industrie, l’exportation vers le marché marocain représente 90% du total des exportations tunisiennes de cahier scolaire. Au vu de l’importance de ce marché, les producteurs tunisiens vendent moins cher à l’export que sur leur marché local. C’est ce qui caractérise la situation de dumping.
Durant une audition publique qui s’est tenue le 30 avril au siège du secrétariat d’Etat au Commerce extérieur et qui fait suite à cette décision, la défense des trois plaignants marocains a qualifié la politique de dumping des exportateurs tunisiens de « prédatrice et ciblée« . Nous assistons « à une entreprise de démolition des producteurs locaux, » insistent les producteurs marocains. De leur côté, les producteurs tunisiens et les importateurs marocains, se sont défendus en affirmant que pour une qualité comparable, le cahier tunisien restait plus cher.
En outre, la défense des présumés pratiquant du dumping remet en question le lien de causalité en relevant qu’entre 2013 et 2016, les importations tunisiennes n’ont augmenté que de 11% dans un marché qui s’est accru globalement de 18%. Les importateurs marocains plaident également qu’ils ne sont dans une position dominante sur le marché, puisque leur part de marché ne représenterait que 30%.
A la suite de cette audition, le ministère a décidé de prolonger l’enquête antidumping de six mois supplémentaires. « Un signal positif« , selon Dorra Bourji, directrice de la Sauvegarde et de la défense contre les pratiques déloyales à l’importation, au ministère tunisien du Commerce, citée par l’agence TAP.
Cahier tunisien, le vrai coupable ?
Un importateur de cahier tunisien, qui a préféré gardé l’anonymat, nous confie que les producteurs marocains « n’ont pas les moyens de fournir au marché des cahiers de qualité« . Les industriels marocains chercheraient-ils à imputer leurs déboires à la concurrence déloyale des Tunisiens ?
« Nous avons investis 78 Mdhs en outils de production depuis 2009« , se défend Abdeljalil Benddane, directeur général de MAPAF. Pour nous le prouver, le dirigeant du plus gros producteur national de cahiers scolaires nous ouvre les portes de son usine casablancaise. Il nous montre fièrement ses machines récemment installées. « Nous avons les mêmes machines allemandes que les Tunisiens, et pratiquement les mêmes coûts de production, » nous assure-t-il.
Le problème viendrait-il donc de la politique de distribution ? D’après un importateur de cahiers tunisiens, « les producteurs locaux ne respectent pas les chaînes de vente. Ils vendent au grossiste, au semi-grossiste et au détaillant au même prix, ce qui engendre une guerre des prix sur le marché. » Un non-sens selon Abdeljalil Benddane. « Il est vrai qu’on traite directement avec toute la chaîne de distribution, mais pas au même prix. On ne peut pas casser son marché à un grossiste, » explique-t-il.
Pour les industriels tunisiens, la marge qu’ils arrivent à dégager sur la vente de cahiers au Maroc est due à une « meilleure stratégie d’achat de matière première« . Le directeur général de MAPAF, reconnait que les Tunisiens puissent faire des économies d’échelle et « qu’ils achètent des quantités plus importantes, car ils ont une plus grosse production « , mais qu' »ils peuvent [seulement, NDLR] négocier 10 à 20 dollars moins cher la tonne de papier« . Des dizaines de dollars par tonne de papier qui ne justifieraient pas, selon lui, « des marges de 30% sur leurs produits ».
Medpaper à la manœuvre ?
Comment le marché marocain du cahier scolaire en est-il arrivé là ? Pour l’importateur tunisien interrogé par Telquel.ma, le Marocain « Medpaper s’est tourné vers les importateurs pour défendre son marché, alors qu’il aurait dû investir dans son outil de production« .
Une accusation que réfute Mohcine Sefiroui, PDG de Medpaper. « Nous ne voulons pas protéger notre marché, nous voulons une concurrence loyale » nous déclare-t-il. Il poursuit : « Nous avons déjà investi plus de 250 millions de dirhams en 2011-2012, mais notre outil de production tourne à peine à 45% de sa capacité « , nous confie-t-il.
Si les producteurs tunisiens pratiquent une concurrence déloyale sur le marché marocain, pourquoi ne sont-elles que trois sociétés marocaines à avoir porté plainte ? Pour Mohcine Sefrioui, « la plupart des producteurs sont des PME, ils n’ont pas de comptabilité analytique. De plus, c’est très coûteux de porter plainte. Ces sociétés n’ont pas les moyens de recruter un cabinet d’avocat. » Selon la défense des producteurs, « 11 sociétés marocaines de cahiers scolaires ont disparu à cause de cette concurrence déloyale. »
Pour les trois plaignants, c’est l’ensemble de la branche nationale de producteurs de cahiers scolaires qui risquerait simplement la faillite. Abdeljalil Benddane tire la sonnette d’alarme : « Les cahiers scolaires représentent 40 % de notre activité, et la concurrence tire les prix vers le bas. Nous perdons de l’argent sur cette branche d’activité. Si nous n’avions pas d’autres activités annexes, comme les fournitures scolaires ou les ramettes A4, nous serions morts. »
Le consommateur va-t-il payer les pots cassés ?
Si les importations tunisiennes se tarissent par effet des mesures du ministère, les producteurs locaux pourront-ils combler ce manque ? Un importateur se montre alarmiste : « A la prochaine rentrée scolaire, nous nous dirigeons vers une pénurie de cahiers. » Pour le directeur de MAPAF, au contraire : » Nous voulons juste tourner à notre pleine capacité. » Mohcine Sefiroui nous confie quant-à-lui que « nous ne sommes pas contre l’importation de cahiers d’autres provenances, comme le Portugal et l’Espagne. Nous sommes des industriels, nous ne sommes pas dans une logique d’augmentation des prix, mais d’augmentation des capacités pour faire activer l’économie d’échelle. »
La question reste en suspens, car la guerre des cahiers scolaires est loin d’être terminée. D’autres auditions doivent être programmées par le secrétariat d’Etat au Commerce extérieur, pour confronter les arguments des uns et des autres, et décider du maintien ou de la suspension de ces mesures anti-dumping.
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