L’interrogatoire marathonien de Nasser Zafzafi s’est poursuivi le lundi 30 avril à la chambre criminelle de la Cour d’appel de Casablanca. Habillé tout en noir, le leader de la contestation dans le Rif arrive décontracté et tout sourire avec une bouteille d’eau minérale et une sacoche en cuir à la main. Il en sort des documents et des notes qu’il met en ordre sur une table. Il salue le juge d’une longue formule invoquant le prophète Mohammed et Allah. L’audience peut commencer.
Est-ce que Azzedine Oulad Khali Ali, présenté par le Parquet comme séparatiste résidant aux Pays-Bas, a bien envoyé à Nasser Zafzafi six caméras espionnes, en formes de boutons de chemise ? C’est la question introductive du juge Ali Torchi qui se base sur un échange téléphonique entre le leader du Hirak et Oulad Khali Ali. « Non Monsieur le juge, je n’ai pas reçu de caméras de Azzedine Oulad Khali Ali. Et si c’était le cas la police les auraient saisies, » répond Zafzafi. « Pourquoi je vais recevoir des caméras de l’étranger alors qu’on a tout ce qu’il faut à Casablanca ? » rétorque-t-il.
Des appels de l’étranger et des drapeaux nationaux
Un autre appel interpelle le juge. Celui de Mounir Idrissi qui demande à Nasser Zafzafi de lever le voile sur une « rumeur » qui le présente sur les réseaux sociaux comme un baltagia qui sème la zizanie dans les manifestations en solidarité avec le Hirak en Espagne. « Qui est cet homme ? » demande le juge Torchi. « C’est un acteur associatif résident en Espagne, qui aide les migrants marocains, » répond le détenu. « Du fait de son action militante, il a aussi ses entrées au parlement européen, » ajoute Nasser Zafzafi. Et de demander : « Pourquoi à chaque fois, les retranscriptions de ces appels ne sont pas intégrales. À force de mettre des points de suspensions, les phrases sortent de leur contexte ».
Après une brève intervention de Maître Aghanaj qui précise que « le cas de Mounir Idrissi ne figure pas dans l’ordonnance de renvoi », le leader du Hirak reprend la parole pour vanter la « noblesse » du mouvement rifain et de ses intentions. « Nous, les Rifains, sommes une partie intégrante de ce pays comme les Casaouis, les Fassis et autres (…) et quand il s’agit d’une cause nationale les islamistes, les gauchistes, les monarchistes et les républicains peuvent être solidaires au-delà des convictions idéologiques de chacun, » théorise Nasser Zafzafi.
Ali Torchi le recadre en passant à un autre appel. Un certain Sofiane, y demande à Zafzafi « d’appeler les MRE à retirer leur argent des banques marocaines ». « Vous lisez bien que j’ai dit à cette personne que ce n’était pas possible. Vous savez M. le juge, je suis une personne humble et bien élevée, je réponds à tout le monde et je ne raccroche pas avant que la personne ne termine ce qu’elle a à dire. Par contre, ne me faites pas endosser pas ce que d’autres disent ».
Dès que le juge évoque un échange autour du drapeau marocain avec un certain Mohamed Hamdaoui, Nasser Zafzafi s’exclame : « Je vous remercie M. le juge d’avoir choisi cet appel qui prouve que je ne suis pas un séparatiste ! » Au cours de cet échange, le plus célèbre des détenus du Hirak raconte : « Pour vous mettre dans le contexte, je parle d’une personne notoirement contre le Hirak qui cherchait à avoir des aides publiques pour une association. Cet homme a finalement changé d’avis et voulait se montrer lors es manifestations avec des drapeaux marocains. J’ai dit que je n’avais aucun problème à brandir des drapeaux nationaux, mais que le problème était de l’ordre de la manipulation. Je n’avais en effet pas envie qu’il profite du Hirak pour avoir des subventions [étatiques, NDLR] »
Lost in translation
Abstraction faite de la démonstration discursive de Zafzafi, dont les réponses débordent au-delà des questions posées, c’est bien le sujet épineux de la traduction et de la retranscription dans les procès verbaux des échanges téléphoniques de Zafzafi qui a opposé le parquet et la défense au cours de l’audience.
Pour Nasser Zafzafi et sa défense, il y a des « approximations » dans les traductions. Pour le substitut du procureur du roi, « la traduction n’est pas une reproduction fidèle, mais une synthèse des propos« . A ce sujet, Zafzafi cite un échange téléphonique avec sa belle-sœur Sanaa au sujet d’un officier appelé Issam : « Je n’ai pas dit que j’allais le provoquer, mais que j’allais le citer dans une de mes vidéos. C’est différent non ? »
Un appel avec Nabil Ahemjik retient aussi l’attention. Au cours de l’échange, le leader du Hirak explique à son ami : « on va brûler le dahir Al Asskara (un dahir de 1958 qui définissait Al Hoceima comme une zone militaire, NDLR) », rapporte le PV. « Je n’ai pas eu l’intention de brûler quoi que ce soit. C’est une métaphore !, » jure Zafzafi. « Est ce que vous nous avez déjà vus brûler des dahirs ? On voulait le brûler politiquement, » ajoute-t-il.
Dans une autre explication de texte, Ali Torchi lui demande ce qu’il voulait dire par le « Makhzen est en ébullition ». « C’est une manière de dire que l’appareil répressif s’est montré violent à notre égard, » répond-il.
Alors que le débat tourne plus à la sémantique qu’à la linguistique, même le traducteur assermenté près la Cour semble perdu. Du ton calme et posé qui le caractérise, Hakim El Ouardi, substitut du procureur général du roi, intervient sous forme de conclusion au débat : « La traduction peut être approximative, il n’y a pas de traduction parfaite. La police a synthétisé les échanges. […] La question de la traduction a toujours divisé les linguistes. Certains s’accordent à dire que traduire, c’est trahir ».
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