Mohamed Jelloul est un homme aux mille questions – ou devrions-nous plutôt dire aux mille questionnements. Lorsqu’il comparaît devant le président de la Chambre criminelle de Casablanca, ce lundi 2 avril au soir, cette figure du Hirak s’interroge, cogite, s’insurge, se désole, se lamente et s’apostrophe: « Comment pourrais-je commettre toutes ces infractions en l’espace de 40 jours qui séparent ma sortie de prison et mon arrestation? Quel complot suis-je soupçonné d’avoir fomenté ? A-t-il eu lieu avant ou après ma libération ? Qui a falsifié ma déposition? »…
La barre transformée en tribune d’opinion
Mohamed Jelloul ira même jusqu’à interpeller frontalement le juge sur ses poursuites. « Comment se fait-il qu’entre mon passage devant le juge d’instruction à Al Hoceïma et celui de Casablanca, un délit mineur se soit transformé en deux crimes – dont un passible de peine de mort – et débouche sur une profusion de poursuites? », demande l’accusé, avant d’ajouter: « j’attends de vous une réponse ». Impassible, Ali Torchi prie calmement son interlocuteur de plaider coupable ou non-coupable.
Mais Mohamed Jelloul est un homme coriace. Pendant près de deux heures, il prendra la barre pour tribune, où il s’étalera sur les raisons du déclenchement du Hirak, la « hogra subie par les Rifains », ou encore leur identité historico-culturelle.
Il décortiquera également, à la manière d’un universitaire – il est enseignant de profession-, les concepts de makhzen, de séparatisme, d’autonomie… « Nous sommes ici jugés pour notre patriotisme. Personne n’a le droit de mesurer notre sentiment d’appartenance à ce pays », jure-t-il.
50.000 dirhams
En 2012, Mohamed Jelloul écopait d’une peine de six ans de prison ferme pour « perturbation de la circulation sur la voie publique, humiliation des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, détérioration des biens d’autrui et attroupement armé sur la voie publique », après des émeutes à Béni Bouayach, sur fond de manifestations du Mouvement du 20 février. Le 11 avril 2017, il est relâché. A sa sortie de la prison de Tifelt, il est accueilli par des habitants de son village, ses sympathisants et ses amis.
Parmi ces derniers figure un homme du nom de Farid Oulad Lahcen, connu pour être un des fondateurs du Mouvement du 18 septembre pour l’indépendance du Rif. Pourtant, Mohamed Jelloul affirme ne pas se souvenir de l’identité de tous ceux qui l’attendaient à la porte de la prison.
Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir reçu de la part de Farid Oulad Lahcen une valise contenant 50.000 dirhams. Jelloul esquive, et s’interroge sur « le rapport entre la question du juge et les accusations dont il fait l’objet ».
Autonomie
Il est ensuite questionné sur une conversation téléphonique avec Béchir Benchouaïb, un des militants du 20 février qui purge actuellement une peine de 12 ans. Lors de ce coup de fil intervenu le 26 mai 2017, Béchir apprend à Mohamed Jelloul que « des séparatistes comptent se réunir à Madrid pour revendiquer l’autonomie de la région ». Ce à quoi Jelloul répond que « c’est leur droit ».
Le juge s’attarde alors sur le mot « autonomie« . Le terme « ne fait pas peur », estime Mohamed Jelloul, qui y voit « une pratique démocratique comme une autre d’autant plus que l’Etat lui-même a proposé cette solution pour les régions du Sud ».
« L’autonomie n’est-elle pas un premiers pas vers le séparatisme ? », demande Ali Torchi. La défense s’emporte, elle dénonce par le biais de Me Anouar Bellouki « une question piégée, à parfum politique« . Il est alors près de 21 heures. Le juge décide, à la demande de la défense, de reporter l’audience au mardi 3 avril.
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