Abdallah Benzekri: "le phénomène crowdfunding ne fait que commencer"

Abdallah Benzekri, docteur en droit des Universités de Paris et avocat au barreau de Casablanca explique, en tant que consultant auprès du ministère de l'Economie et des finances en charge de la préparation du projet de loi sur le crowdfunding, l'architecture d'une opération de financement collaboratif, ou encore les risques afférents à ce type de financement.

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Maître Abdallah Benzekri. Crédit: DR

Certains pensent que le crowdfunding est un phénomène de mode voué à disparaître à court ou moyen terme. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas de cet avis. Je pense que le phénomène ne fait que commencer et il sera même accentué et soutenu par deux tendances actuelles majeures. Premièrement, on trouve l’essor considérable de l’Internet et des échanges électroniques entre les individus. C’est un phénomène qui s’installe vraiment sur le très long terme et n’est pas près de s’épuiser comme les autres phénomènes de mode.

Secundo, il faut dire que l’investissement n’est plus une affaire d’élites économiques. Il est devenu de plus en plus ouvert à d’autres souches de la société. La société civile est devenue elle aussi intéressée par la création et l’investissement. Ce qui aura à coup certain un impact positif notamment sur l’emploi.

Certains professionnels du marché boursier pensent qu’au lieu de mettre en place une nouvelle loi sur le Crowdfunding, il vaudrait mieux développer le marché boursier comme moyen de financement de l’économie. Qu’en dites-vous ?

A mon avis, ce n’est pas un choix à faire entre promouvoir le marché boursier et développer le Crowdfunding. On devrait faire les deux, car le crowdfunding permet en effet à des personnes et entités qui n’ont ni la taille ni les moyens pour se faire financer à travers le marché boursier d’avoir accès comme les autres à l’épargne publique. Dans ce sens, le marché boursier et le crowdfunding ont chacun un rôle différent et chacun obéit à des logiques et mécanismes différents, bien que complémentaires à plusieurs égards.

Le projet de loi en discussion, notamment l’article 5, exclut du champ de son application certaines dispositions, notamment relatives à l’appel public à l’épargne et au monopole bancaire sur les opérations de crédit. Comment expliquez-vous cela?

L’article 5 prévoit en effet d’exclure l’application des dispositions de la loi n° 44-12 relative à l’appel public à l’épargne (APE) aux opérations de crowdfunding de catégorie « Investissement« . L’APE est une opération particulière, initiée par des entités qui ont une certaine taille et obéissent à des exigences spéciales en matière d’information et de transparence.

Or, dans le cas du financement collaboratif, il s’agit de petits projets, souvent initiés par de petites ou moyennes entités qui ne peuvent supporter de telles exigences, sauf à vider le concept lui-même de son intérêt.

Le même article exclut les opérations du crowdfunding relevant de la catégorie « prêt » du champ du monopole bancaire sur les opérations de crédit…

C’est parfaitement compréhensible, dans la mesure où ce monopole est octroyé aux établissements de crédit et que l’objectif du législateur n’était pas en effet de créer une brèche dans ce monopole par la mise en place d’une nouvelle catégorie d’établissement, mais de permettre à ce mode innovateur de financement par « prêt  » d’exister sans avoir besoin de prendre le chemin classique des établissements de crédit, avec tout ce qu’il exige en termes de garanties, des mesures prudentielles et de transparence absolue.

Concrètement, quelle est l’architecture d’une opération de crowdfunding toutes catégories confondues?

Le crowdfunding ressemble au concept qui était développé dans les années 1990, aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe, par certaines associations dites « Love Money ». Le concept consistait à faire défiler devant une foule de petits investisseurs, présents à des assemblées mensuelles, des présentations relatives à des projets innovants.

Les entrepreneurs présentent leurs projets et dévoilent leur business plan et le montant de l’enveloppe nécessaire pour la réalisation du projet. A la fin de la séance, chaque investisseur doit décider dans quelle société investir et sur quel projet, ainsi que le montant qu’il promet au chef d’entreprise.

Le rôle de l’association était tout d’abord de se présenter comme plateforme, un lieu de rencontre. Ensuite, elle pouvait jouer d’autres rôles, comme le conseil, l’accompagnement, le suivi de l’opération…

Le crowdfunding relève du même concept, avec un porteur de projet, des investisseurs, une plateforme informatique et une société de gestion de la plateforme, dite « SFC ».

La seule différence – mais de taille – est que dans le crowdfunding, la foule peut être immense, comme il s’agit d’une plateforme virtuelle. C’est l’effet démultiplicateur que permet aujourd’hui une plateforme informatique et que ne permettait pas la salle de réunion de l’association Love Money, aussi immense fût-elle.

Quels sont les risques encourus par les investisseurs via une plateforme crowdfunding ?

Comme vous le savez bien, tout investissement comporte une part de risque plus ou moins importante, selon le montant investi, le secteur, les partenaires… La particularité du crowdfunding est que ce risque, bien qu’il existe, n’est pas exempt de garde-fous, notamment l’existence d’une plateforme électronique (PFC) et d’une structure de gestion (SFC) agrée, ainsi que des obligations strictes d’information.

De plus, ce qui contribue à la dilution du risque c’est en effet la faiblesse des montants engagés, sachant que le crowdfunding est un mode populaire d’investissement. Ceci dit, il y aura certainement des projets défaillants ou des porteurs de projets qui failliront à leurs engagements. Attendons pour voir, quitte à pouvoir rectifier le tir après et apprendre des leçons de l’expérience.

Vous qui étiez consultant du Ministère des Finances pour la préparation de ce projet, quelle est votre évaluation du travail fait en amont?

Le projet sur le crowdfunding était une des priorités du ministère des Finances, dans le cadre d’un vaste programme destiné au développement du tissu entrepreneurial de taille moyenne ou réduite. C’est un programme intéressant qui ne se limite pas au projet sur le crowdfunding, mais se prolongera à d’autres projets innovants et à forte valeur ajoutée pour l’économie.

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