Le ministère de l’Economie et des Finances a déposé mercredi dernier un avant-projet de loi sur le financement collaboratif, sur le site officiel du Secrétariat général du gouvernement. Très utilisé à l’étranger, le « crowdfunding », un mode de financement qui permet de collecter des fonds auprès d’un large public principalement en vue de financer l’entrepreneuriat et l’innovation ou de soutenir l’émergence de projets sociaux, culturels et créatifs, ne disposait jusque-là d’aucun cadre législatif au Maroc.
Il existe aujourd’hui trois plateformes de crowdfunding au Maroc: Cotizi, spécialiste de la collecte de dons et du lancement de pétitions en ligne au Maroc et dans la région MENA, Afineety, plateforme d’equity Crowdfunding, Wujuj, plateforme marocaine de prévente pour la région MENA.
Les deux dernières plateformes citées sont en discussion avec le ministère des Finances depuis 2014 dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi. C’est à cette occasion qu’elles se sont constituées en fédération, en mai 2017: la Crowdfunding Morocco Federation.
L’actuel texte de loi prévoit que toute future plateforme de crowdfunding créée au Maroc adhère à cette fédération, en plus de recevoir l’agrément du ministère de l’Economie et des Finances. Si ces différentes plateformes se réjouissent qu’un tel projet de loi voie le jour au Maroc, elles relèvent cependant des défauts et proposent quelques pistes d’améliorations.
De trop lourdes conditions d’accès au marché
Selon Arnaud Pinier, expert en finance alternative, cofondateur de Wuluj et de la Crowdfunding Morocco Federation, le texte de loi fixe des conditions d’accès au marché trop lourdes pour les plateformes en ligne. « Selon la loi, la restriction des plateformes autorisées dont le seuil minimum de capital devra être de 300.000 dirhams mériterait d’être élargie« , explique-t-il.
Il estime également que le coût de gestion et de mise en place d’une plateforme, fixé autour de 100.000 dirhams, est trop élevé.
Une remarque que partage Emmanuel Exposito, cofondateur d’Afineety, lui aussi membre fondateur de la Crowdfunding Morocco Federation: « Nous on est déjà équipés, mais c’est vrai qu’il y a beaucoup d’aspects qui peuvent freiner ceux qui veulent se lancer : un gros capital de départ, un commissaire aux comptes…« . L’expert nuance tout de même en affirmant qu’il y a une contrepartie: « Cela offre de la crédibilité au crowdfunding sur le marché économique« .
Trop de responsabilités
Pour Arnaud Pinier, le texte de loi fait porter le même rôle aux plateformes de crowdfunding qu’aux prestataires de paiement. « On leur demande de mener une réelle politique de prévention et de réduction des risques comme identifier l’origine et la destination des fonds, demander des informations complémentaires quand il s’agit de fonds conséquents ou encore vérifier les interdits bancaires des différents acteurs« , explique-t-il.
Pour lui, il y a là confusion: « On ne peut pas demander aux plateformes de crowdfunding d’avoir les mêmes niveaux d’exigence qu’une banque, car elle n’a tout simplement pas les mêmes moyens« .
En effet, selon les experts du secteur le texte est davantage calqué sur la législation française que celle anglo-saxonne, plus souple. « Dans le modèle français, il faut tout contrôler (identité, cas de surendettement, etc.), ce qui alourdit la gestion au quotidien de la société. En Angleterre, au contraire, il suffit de déclarer« , explique Emmanuel Exposito qui estime que le modèle anglo-saxon colle davantage aux pratiques du crowdfunding.
Mais pour son confrère, Arnaud Pinier, cet aspect peut aussi être vu sous un angle positif : »Cette loi nous obligera à mettre en place des infrastructures beaucoup plus efficaces. On pourra travailler en collaboration avec les banques pour mettre en place de bonnes pratiques pour sécuriser et assainir les transactions comme le porte-monnaie électronique ou encore la sous-segmentation des comptes qui collectent les fonds par exemple ».
Un manque d’esprit Crowfunding
Pour les deux spécialistes, le texte de loi ne colle pas encore à 100% à ce qu’ils appellent « l’esprit crowdfunding ». Pour Arnaud Pinier, le fait que l’un des articles prévoit que lorsqu’on atteint 100% de l’objectif de la campagne on doit arrêter celle-ci en est un bon exemple. « C’est contraire à l’esprit du crowdfunding qui prône une dynamique positive de groupe et où, au contraire, dépasser l’objectif initial n’est pas du tout exclu« .
Un avis que partage Emmanuel Exposito qui regrette cependant l’instauration des missions de valorisation de projet. « La plateforme va devoir valoriser le projet pour ensuite faire une levée de fonds alors que l’idée du crowdfunding c’est que le projet soit valorisé en fonction du nombre de like qu’il obtient. C’est l’envie d’investir du public qui va faire que le projet a vraiment du potentiel, ce n’est pas au gestionnaire d’en décider », explique-t-il.
Un enjeu économique pour le Maroc
Enfin, les deux experts rappellent que ce texte de loi, s’il passe, représente un réel enjeu économique pour le Maroc. En effet, le modèle marche très bien en Europe et aux Etats-Unis et les fonds collectés dans le cadre du crowdfunding ont dépassé, en 2017, les fonds collectés par les fonds d’investissement dans ces régions.
« Avec une réglementation, l’économie collaborative ne souffrira plus d’un déficit de confiance auprès de potentiels partenaires« , analyse Arnaud Pinier. « De plus, le Maroc serait le premier pays à légiférer sur ce sujet en Afrique. Et quand on sait que la zone MENA connaît quelques retards dans ce domaine, le Maroc pourrait vraiment devenir leader et avoir un rôle important à jouer« , poursuit-il.
Autant de points que les membres de la Crowdfunding Morocco Federation sont en train de mettre au clair pour les envoyer au Secrétariat général du gouvernement. Parallèlement, la fédération travaille à mettre en place une charte éthique pour les futurs adhérents ainsi que plusieurs projets de sensibilisation les entrepreneurs et les citoyens marocains.
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