Dans les mois et les années à venir, ces « sortants » vont s’ajouter, dans les listes de personnes à risques, aux suspects habituels, « revenants » du jihad syrien et irakien, cellules dormantes ou jihadistes radicalisés sur place, dont les enquêteurs craignent à tout moment un passage à l’acte.
« Nous attendons les premières sorties des condamnés pour faits de terrorisme pour le printemps de cette année », confie à l’AFP un responsable antiterroriste français, qui demande à rester anonyme. « Ils représentent une menace potentielle, inquiétante et que nous prenons très au sérieux ».
Condamnés en France, au cours de la précédente décennie, à de lourdes peines, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », ils sont environs 500, selon ce responsable, à être libérables d’ici à 2020, auxquels viennent s’ajouter quelque 1.500 prisonniers de droit commun soupçonnés de s’être radicalisés, à des degrés divers et au contact des premiers, derrière les barreaux.
Même si certains d’entre eux pourraient avoir tourné la page, l’exemple de Chérif Kouachi, auteur avec son frère Saïd de l’attentat contre Charlie Hebdo qui a fait douze morts en janvier 2015, est dans toutes les mémoires: emprisonné en 2005 et 2006 pour participation à une filière d’envoi de jihadistes en Irak, il est condamné en 2008 mais laissé en liberté.
Il est surveillé, placé sur écoutes pendant plusieurs années: rien, à part des allusions à de petits trafics. Pour se jouer des enquêteurs, les deux frères utilisent notamment les lignes de leurs compagnes. Perdus de vue par les services spécialisés après un simple déménagement, ils s’emparent de Kalachnikovs et au matin du 7 janvier 2015 déciment la rédaction de l’hebdomadaire satirique.
Prison et « école des jihadistes »
« La perspective de voir sortir d’ici 2020/21 des centaines de détenus jihadistes, c’est vraiment un problème », assure à l’AFP Yves Trotignon, ancien analyste anti-terroriste à la DGSE (services extérieurs français). « Il faut avoir envers ces sortants la même attitude qu’envers les revenants de Syrie. Nous n’avons aucun moyen d’évaluer, pour ces 500 gars qui vont sortir, la dangerosité opérationnelle et surtout de savoir s’ils ont renoncé à l’idéologie du jihad ».
« La seule solution est de commencer de suite à travailler sur les réseaux », ajoute-t-il.
« Qui rencontre qui ? Qui téléphone à qui ? Qui tient tel propos ? Qui reçoit tel sms ? pour parvenir à une architecture de leurs contacts (…) On dit souvent que la prison est l’école du crime, c’est aussi celle du jihad. C’est l’endroit où ceux qui sont un peu tangents vont se radicaliser, là où ils vont apprendre des choses de la part d’ancien détenus… »
« On sort de prison rarement meilleur que quand on y est entré », assure pour sa part Alain Grignard, islamologue belge, maître de conférence à l’université de Liège. « A fortiori pour quelqu’un qui a un idéal, qui a ajouté à son engagement délinquant une dimension de lutte contre les injustices dont seraient victimes les musulmans. A sa sortie, rien n’est réglé, il y a encore du grain à moudre (…) Ces anciens condamnés peuvent sortir encore bien motivés ».
Des prisonniers non réhabilités
Selon l’islamologue belge, entre 150 et 200 condamnations ont été prononcées avant et après la vague d’attentats à Bruxelles en mars 2016. « Ces gens là sont marqués au fer rouge et parmi eux certains sont probablement sur le point de sortir », ajoute Alain Grignard.
Aux Pays-Bas, l’avocat Andre Seebregts a défendu plusieurs jihadistes présumés, condamnés à des peines d’emprisonnement puis récemment libérés.
« Aucun de mes clients n’a participé à un programme de réhabilitation », assure-t-il à l’AFP. « Le danger d’une re-radicalisation demeure (…) Les conditions de leur libération comprennent souvent l’obligation de porter des bracelets électroniques qui permettent des surveillances à distance, ainsi que la mise en relation avec un imam désigné par le gouvernement et la supervision d’un officier de probation ».
En Grande-Bretagne, les chiffres officiels faisaient état en 2017 de quelque 200 détenus pour faits de terrorisme islamique, soit une augmentation de 25% par rapport à l’année précédente. Entre septembre 2016 et septembre 2017, 36 condamnés ont été libérés après avoir purgé leurs peines.
Surveillés, poursuivis, interrogés, jugés pendant les enquêtes puis les procès, les jihadistes pénétraient ensuite, en prison, dans ce qu’un agent de l’administration pénitentiaire française qualifie « d’angle mort du renseignement ».
« Après les attentats de 2015 et 2016, ce n’est plus acceptable », estime-t-il.
Les autorités françaises ont ainsi doté en 2017 les agents du Bureau central de renseignement pénitentiaire (BCRP) de pouvoirs particuliers et les ont habilités à utiliser des techniques de surveillance jusque-là réservées aux policiers.
Auparavant, un profil radicalisé était « perdu » pendant sa détention, explique à l’AFP un membre de la DGSI (service français de sécurité intérieure). « On ne savait pas qui il voyait, comment il se comportait, quels étaient ses projets. A l’inverse, la détention ignorait tout de son profil à son arrivée ».
Le but, en France comme dans la plupart des pays européens, est désormais de maintenir le plus possible la continuité du renseignement, afin de pouvoir mettre en place, à la sortie des profils présumés les plus dangereux, des systèmes de surveillance adaptés.
Mais un haut responsable français de la lutte antiterroriste rappelle, une fois de plus, que la surveillance permanente de tous les profils radicaux est hors de portée de quelque service antiterroriste que ce soit, en France ou ailleurs.
« La filature d’un suspect 24 heures sur 24, c’est de vingt à trente flics », soupire-t-il. « Faites le calcul… »
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