Quand le capitalisme financier agonisait
La crise atteint son paroxysme aux États-Unis, sanctuaire du capitalisme financier avec les subprimes, qui toucha de plein fouet le secteur de l’immobilier. Les acquéreurs ne pouvaient plus payer leurs traites, et les banques se trouvaient dépositaires d’un flux de plus de quatre millions de maisons remises sur le marché, à vil prix. Tel un château de cartes, la crise de l’immobilier gagna d’autres contrées telles l’Espagne et plus tard la Grèce. Le pouvoir d’achat des classes moyennes fut affecté aux États-Unis et le secteur de l’automobile s’est trouvé touché et nombre d’usines fermèrent. La mondialisation heureuse est terminée. Le libre échange, sans garde-fous, est source de dysfonctionnement et d’inégalités sociales. Le mal est structurel. L’industrie financière comme le dit Elie Cohen, une autorité économique, a commencé à tourner de plus sur elle-même et à se détacher de l’univers économique. La distance est devenue maximale entre les jeux de la spéculation et les logiques de financement de l’économie réelle. In fine, les produits financiers sont devenus la principale source d’enrichissement des acteurs financiers. Autrement dit, une arnaque planétaire.
Le néo-libéralisme, la nouvelle idéologie messianique
La nouvelle annonce de la fin de l’Histoire aura vécu ce que virent les roses, l’espace d’une saison. Il y eut depuis, des guerres sanglantes comme en Irak. Il y eut un génocide, dans la foulée de cette idée angélique, au Rwanda, des scènes d’exterminations collectives, au nom de l’épuration ethnique en Bosnie et autres évènements non moins horribles de par le monde. C’était autant d’indices sur la fin de la fin de l’Histoire et la vision simpliste qu’elle comportait. Non moins important, il y eut l’émergence d’une idéologie dans un monde qu’on voulait sans idéologies et sans histoires : le néo-libéralisme. Celui-ci se mua en idéologie messianique qui, malgré les apparences, prendra le contre-pied des lumières. L’Homme des lumières se soustrait de toute tutelle grâce à la raison. L’Homme néolibéral se met sous l’escarcelle de ses désirs, se remettant au marché qui le prend par la main vers des pics escarpés du consumérisme et annihile sa faculté critique. La banalité des petits bonheurs et des menus plaisirs qui finissent par l’anesthésier. Le renouveau des lumières est annoncé, cache les ténèbres de la chosification de l’être et des valeurs.
L’argent, centre de l’univers
Le capital a la mainmise sur tous les secteurs de la vie, l’Argent en est l’unité de mesure, voire le dogme. Il a son catéchisme: les gros chiffres ; son clergé : les experts ; ses apôtres : les journalistes et les personnes des médias en vue ; et puis ses secrets d’alcôve, avec les scandales financiers… Ainsi va la nouvelle religion qui ne croit qu’à l’ici-bas, sonnant et trébuchant. Les leaders des Partis de gauche s’y sont faits et deviennent les gardiens du temple du veau d’or… En France et ailleurs. Leur conversion à la religion de l’Argent ne souffre d’aucune faille, avec leurs gros salaires, leur mode de vie exubérant et tape-à-l’œil, voire orgiaque, sans abandonner leurs discours, un discours creux. Il continue à se trémousser du haut d’un pupitre pour vanter les vertus de la justice sociale. Une gauche sans âme à l’image de Faust de Goethe. Le vieux Faust obtient la belle Catherine comme le lui a promis le diable Méphistophélès, au prix de son âme. Il ne reste que la rue comme espace de contestation. Pas même la gauche de la gauche, qui remplit une fonction tribunitienne, somme toute cathartique.
Démocratie et néo-libéralisme, un rapport incestueux
Comment la démocratie peut-elle triompher avec un despotisme économique sous-jacent ? Car le monde est géré par un maillage de despotisme économique, diffus et dense. Les politiques tout comme la politique sont un jeu d’ombre. L’idée maîtresse de la démocratie n’est pas la Liberté mais l’Egalité. Comment le peuple peut-il choisir ou faire le bon choix, s’il est réduit à être consommateur ou simple maillon dans une grande machine ? Comment peut-il réfléchir, penser, agir, quand le gain ou l’argent est l’unique valeur ou celle qui détermine les autres valeurs ? Dans le Capitalisme financier, c’est le gain qui prime et non l’intérêt général. L’État comme dépositaire de la chose publique est mal vu par les pontes du néo-libéralisme. C’est un obstacle même. Or, l’État est l’espace géographique où peut s’exercer la démocratie. On n’en a pas trouvé d’autres. C’est aussi l’expression politique d’une nation. Néo-libéralisme et démocratie ne peuvent faire bon ménage. Le capitalisme financier cherche le gain, et la démocratie est la voie d’expression de l’intérêt général d’une nation. Peut-on imaginer une démocratie en dehors des contours d’un État ? Imagine-t-on une construction démocratique sans le sentiment d’un devenir commun, voire d’un mythe fondateur ? Le Mc. World n’a cure de tout cela, n’a cure des intérêts collectifs, de l’identité, référents bons peut-être pour les activistes de la société civile, mais non des pundits… Le capitalisme financier est incapable de prendre en charge le rôle de régulation dévolu à l’État. Si la démocratie, dit Benjamin Barber, non sans ironie, aime la démocratie. Le capitaliste financier comporte une tendance darwiniste exprimée par le banquier Felix Rohatyn : « Les marchés contiennent une logique darwinienne. Ils sont nerveux et rapaces… En contrepartie, ils ne donnent pas la meilleure forme de démocratie ».
Quand la mondialisation sexuelle pointe son nez
C’est le déluge désormais avec « la mondialisation sexuelle ». Le phénomène est planétaire et ne répond à aucune considération intellectuelle ou idéologique, si ce n’est le marché. C’est désormais le binôme offre/demande qui régule le produit sexuel, y compris pour les contraintes morales et culturelles tenues sous contrôle. La mondialisation sexuelle confine à la délocalisation du désir, dans tous les sens, Nord-Sud, Sud-Nord, Est-Ouest, Ouest-Est. Un phénomène sans précédent. Il y eut, avant le déferlement planétaire mondialisé, des phénomènes circonscrits dans l’espace et gérables tels le bordel. Dans l’ordre colonial et la nouvelle société industrielle, le bordel s’apparentait à « un service public », avec ces quartiers attitrés, pas loin des casernes militaires ou des ports, passage obligé pour puceaux… Maisons de tolérance, disait-on par euphémisme. Quand les goumiers marocains furent embarqués en Indochine, les autorités coloniales avaient emmené avec eux leurs « provisions » de prostituées.
La famille, dernière forteresse assiégée
Il y a désormais une internationale homosexuelle, avec son programme pour investir la société civile, les médias, voire les forces vives d’une nation. Les pays du tiers monde ne sont pas en reste de cette révolution planétaire. Elle est même mise au parfum de la culture locale. Des gays, bons musulmans et pratiquants ! La famille tiendra-t-elle ? Telle une forteresse assiégée, elle résiste en se cramponnant sur des référents religieux. Mais les vagues de la permissivité l’assaillent de partout : la révolution sexuelle, les médias, la société de consommation, la modernité piratée, qui dans certaines sociétés devient un support idéologique. La famille tiendra-t-elle devant le rouleau compresseur du Marché ? Le Marché a horreur de la gratuité et de la charité, et la famille est le lieu, par excellence, de la gratuité et de la solidarité. Tous deux renvoient à des systèmes de valeurs aux antipodes l’un de l’autre. La procréation ? On n’a plus besoin de se marier pour avoir des enfants. L’union libre, la famille parentale, les banques de sperme, tout cela a rendu caduque la notion de famille comme unique cadre pour la procréation. Les juridictions suivent le mouvement et reconnaissent la filiation des relations libres. Il découlera de cette révolution de plus en plus idéologisée, les victimes collatérales, le père et l’enfant.
Quand les puissants se servent du 4e pouvoir
Pas même la presse écrite n’échappe au totalitarisme doux. Il y eut un glissement dans la fonction et le rôle de la presse. C’était pourtant la voix des dépossédés qui exprimait leurs soupirs et portait leurs espoirs avant de devenir une arme redoutable aux mains des puissants. La presse était fille des lumières qui ont accompagné le mouvement qui a fait tomber le despotisme. Les philosophes des lumières, par leurs libelles et leurs pamphlets, faisaient craquer l’édifice des seigneurs et des suzerains, et dénonçaient leurs exactions et les injustices commises, avec la complicité de l’Église. La presse était détentrice de pouvoir spirituel qu’elle a arraché à l’Église comme disait Hugo. Le lecteur de la presse s’apparentait chez Hegel à une forme de catéchisme laïc. C’était l’instrument contre les convenances. Elle débusque le non-dit et ne s’embarrasse guère de la raison d’État. Rappelez-vous le « J’accuse » de Zola où l’intellectuel s’attaque à de grands enjeux qui impliquaient l’armée, dans le contexte de l’après-défaite de la France en 1870 devant la Prusse. La presse accompagna une autre révolution, lente, celle de la généralisation de la lecture au sein les masses, révolution qui changera les configurations politiques de l’Europe. Dans les mêmes configurations politiques de l’Europe. Dans le même sillage, devant l’exacerbation des contradictions entre la bourgeoisie et les classes ouvrières, la presse était le porte-voix des prolétaires. La presse était un acte de militantisme, par son appel à la justice sociale, à la solidarité des classes ouvrières et paysannes, par son appel à la mobilisation et sa dénonciation des inégalités sociales. On n’écrit pas pour cajoler les puissants ou préserver l’ordre existant, mais pour le saper, en éduquant les masses. Le chantre des prolétaires, Karl Marx, était journaliste à ses heures et a fait du journalisme une arme de combat. « La lutte des classes en France » et « le 18 Brumaire », étaient initialement des articles de journaux, repris par la suite qui gardent toujours leur force et leur pertinence. Mais la presse était une affaire trop sérieuse pour qu’elle fût laissée aux mains des proscrits. Le capital s’est organisé pour casser l’outil des laissés pour compte.
Le modus operandi du financement des partis dans les pays dits démocratiques
Les opérations de financement se font par des appels à cotisation dont le terme est désormais consacré de par le monde, Fund Raising et qui sont un contrat implicite entre les donateurs et le candidat bénéficiaire. Les bailleurs s’apparentent à des sponsors d’un évènement culturel ou sportif. Le point d’orgue de ce processus est la Convention dont la philosophie, comme son nom aurait dû le signifier, a disparu pour devenir le show qui consacre un candidat. Le modèle américain a fait tache d’huile et devient le modus operandi des financements des Partis, de par le monde. On aura, dans certains cas, des présidents de pays démocratiques, financés pour leur course à la magistrature suprême, par des pays étrangers, voire autocratiques. Cela se fait sans laisser de traces à travers les billets de banque. Quelle est alors la représentativité du peuple tant vantée, quand on dépend pour son élection de l’argent des grands électeurs, des grandes compagnies ou de pays étrangers ? Le phénomène est valable à tous les niveaux de représentativité dans tous les processus électoraux. Peut-on toujours parler de la souveraineté populaire ou de la volonté générale ? Autant de questions qu’on évacue par une sorte d’Omerta. Le peuple y répond, par défaut, en désertant les urnes.
Les technocrates : un mélange de pragmatisme et cynisme
Les technocrates du tiers-monde, sauf exception très rare, ont plus de choses en commun, en termes de mode de vie, avec leurs pairs occidentaux qu’ils n’en ont avec leurs propres concitoyens. Le technocrate est pragmatique, mais son pragmatisme peut confiner au cynisme. On prendra le contre-pied de Bernanos pour qui la modernité a mis en avant des imbéciles et des médiocres, le technocrate est d’être un imbécile. C’est un enfant des Lumières, mais c’est un enfant manqué. Il est rationnel et conscient des enjeux qui traversent sa société, mais il est cynique. Son ambition démesurée, son instinct poussé de survie, fait qu’il rechigne à prendre de risque. Il navigue entre récifs et ne veut pas se mouiller. Pour le philosophe allemand Peter Sloterdijik, le cynisme diffus est la bouée de sauvetage du technocrate. Le technocrate est « la fausse conscience éclairée ». « C’est la conscience malheureuse modernisée sur laquelle l’Aufklarung a agi à la fois avec succès et en pure perte. Cette conscience a appris la leçon d’ Aufklarung, mais ne l’a pas mise en pratique. » Voilà pour son socle idéologique… Quant au ressort psychologique, « les cyniques ne sont pas stupides, et ils voient de temps en temps le Néant vers lequel tout conduit. Leur appareil psychique est assez souple pour intégrer le doute permanent sur leur propre activité comme facteur de survie. Ils savent ce qu’ils font, mais ils le font parce que les contraintes imposées par les faits et les instants pour leur dire qu’il faut que cela soit fait. Le technocrate dit ce qu’il ne pense pas et pense ce qu’il ne dit pas. La contradiction ne le gêne pas. Il sait cacher ses émotions. Il donne à ce qu’il dit un semblant d’objectivité. Il sait trouver les mots, les formules, la manière pour dire ce qu’on veut entendre. C’est un pro.
Islamophobie : Edwy Plenel-Emile Zola même combat
L’islamophobie est une donnée objective et concrète, palpable à ceux qui ont une certaine intimité avec l’Occident, peu perceptible pour ceux qui débarquent pour affaire ou invités dans les salles feutrées de rencontres aseptisées. En pâtissent ceux qui vivent en Occident, qui peuvent être des citoyens à part entière, nés en Occident, ne parlant que ses langues, mais qui dans la vie de tous les jours, font face à un rejet sournois, à des barrières occultes, à un mépris courtois. Le tout peut basculer vers la violence. Le stigmate du patronyme est un indicateur si ce n’est le faciès. Le journaliste Edwy Plenel an a analysé les fondements dans son livre Pour les musulmans reprenant le même argumentaire de Zola Pour les juifs. Et de citer, Zola : « on finit par créer un danger, en criant chaque matin qu’il existe. À force de montrer un peuple en épouvantail, on crée le monstre réel« . Dans la crise économique qui frappe l’Occident et celles des valeurs qui en est une conséquente, l’islamophobie devient l’exutoire d’un mal-être. Ainsi donc, pour reprendre l’analyse d’Emmanuel Todd « l’Islam prend le statut de bouc émissaire, d’ennemi indispensable. Dans l’Europe du début du troisième millénaire, il devient la victime sacrificielle de notre mal-être métaphysique, de notre difficulté à vivre sans dieu tout en clamant que notre modernité est la seule possible, la seule valable.«
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