Problèmes d’insécurité, de saturation, de propreté, etc. La situation des cimetières du Maroc est préoccupante. Ce constat a poussé la société civile à se retrousser les manches dans plusieurs villes du Royaume pour réhabiliter les lieux d’inhumations.
Le cimetière Chouhada de Rabat est divisé en deux espaces distincts séparés par un grand mur. Dans la première partie, tout semble être bien organisé. L’endroit est entretenu, les tombes sont propres, et les sentiers relativement spacieux, ce qui permet une circulation fluide entre les stèles. Bon nombre d’artistes, hauts gradés de l’armée royale, hommes politiques et autres figures du pays y sont inhumés. L’ordre y règne.
De l’autre côté du mur, c’est l’opposé : les tombes sont condensées, les sentiers sont investis et creusés pour accueillir les nouveaux arrivants dans leur dernière demeure. « Depuis 2009, les choses ont changé. Saturé, le cimetière n’est plus en mesure d’accueillir de nouveaux arrivants. Le manque d’espace nous oblige à creuser de nouvelles tombes entre les anciennes », témoigne un homme qui a fait du nettoyage et de l’arrosage des sépultures son gagne-pain depuis de nombreuses années. Il ajoute: « En moyenne, le cimetière accueille 8 à 10 dépouilles par jour. A ce rythme il sera fermé dans deux ans, selon une rumeur qui circule ».
Le décor de la deuxième partie de ce cimetière n’est pas inhabituel au Maroc. En plus de la saturation qui guette un bon nombre de ces lieux à travers le pays, il faut ajouter l’insécurité et l’insalubrité. Certains lieux funéraires ont ainsi des allures de décharges à ciel ouvert, et sont souvent le théâtre de nombreuses incivilités et agressions en tout genre. Pourtant depuis de nombreuses années, l’opinion publique s’inquiète de cette situation.
En 2015 Mohammed Hassad, alors ministre de l’Intérieur, avait appelé, en réponse à une question du groupe socialiste à la Chambre des conseillers sur l’état des cimetières, à se pencher sur la réhabilitation des lieux funéraires.Le coût de l’opération était alors estimé à près de 700 millions de dirhams et visait près de 1.250 cimetières étalés sur 120 communes urbaines.
Le ministre de l’Intérieur avait aussi indiqué que son département était prêt à contribuer de moitié, voire davantage, pour les communes dépourvues de moyens pour prendre en charge les rénovations. Depuis, aucune déclaration publique du ministère de l’Intérieur n’a été faite à ce sujet.
« Il faut maintenant passer de la théorie à la pratique«
Nous avons contacté Jamal Bammi, anthropologue, spécialiste en botanique et écologie végétale et chercheur en sciences sociales. Il avait notamment publié en 2012 avec le CNDH un rapport sur l’état des cimetières au Maroc. Il alertait déjà l’opinion publique sur la situation préoccupante de ces lieux tout en proposant des solutions concrètes.
Bien qu’il ne travaille plus sur le sujet depuis 3 ans, il garde un regard attentif sur la situation. « Le problème dans notre pays, c’est qu’il y a beaucoup d’idées. Nous parlons énormément, tenons plein de réunions, mais sur le terrain ça ne se reflète pas. Il faut maintenant passer de la théorie à la pratique, trouver la volonté nécessaire pour passer à l’action« , nous confie-t-il.
Pour lui, la responsabilité incombe aux communes et à plusieurs ministères: celui des Habous pour la dimension spirituelle de la continuité de la vie après la mort dans l’islam et pour le respect dû aux défunts; le ministère de l’Intérieur pour les clôtures, le gardiennage et l’entretien des lieux; le ministère de la Culture dans un devoir de mémoire et de préservation du patrimoine. Jamal Bammi avance ainsi que la réhabilitation et la préservation des cimetières doit être « un projet commun et multidimensionnel« .
Il n’exclut cependant pas la société civile. L’exemple modèle est selon lui le cimetière Ghofrane de Casablanca, où une association s’est rattachée au lieu funéraire tout en travaillant quotidiennement avec les autorités.
La société civile à la rescousse des cimetières
D’autres initiatives existent dans la ville blanche. Aussi, des mouvements citoyens, indépendants des autorités ou d’associations, s’occupent régulièrement du nettoyage des cimetières de la capitale économique.
Les campagnes de mobilisation se passent sur les réseaux sociaux. Ainsi certains Casablancais se retrouvent régulièrement à nettoyer ensemble les lieux funéraires, répondant à un appel lancé sur le Net.
Des actions collectives, il en existe dans d’autres villes du Maroc. C’est le cas de l’initiative S.O.S. Cimetière Maroc, active depuis près de 5 ans maintenant. Son fondateur, Redouane Seyour, est un Belge d’origine marocaine.
C’est à la suite du décès de son père en 2013 qu’il constate le triste état de l’endroit dans lequel se déroulait l’inhumation, le cimetière Moujahidine de Tanger. « À ce moment-là, je me suis dit que j’avais deux solutions: soit je fais comme tout le monde, j’enterre mon père sans rien dire et après je continue à vivre ma vie, soit j’agis et fais en sorte que ça bouge. J’ai choisi la deuxième option« , confie-t-il.
S’ensuit, toujours en 2013, la création sur Facebook de la page « S.O.S. Cimetière Maroc« . Son but est de sensibiliser les citoyens via le partage de photos et de vidéos de Moujahidine, la création d’une pétition et une collecte de fonds organisée auprès de la communauté marocaine de Belgique.
Les deux premières années ont été un véritable parcours du combattant, raconte Redouane Seyour qui organise en 2016 une grande opération du nettoyage du cimetière.
Accompagné de plusieurs bénévoles, le Belgo-Marocain met tout en œuvre pour rendre propre le lieu funéraire et prend des vidéos pour galvaniser les internautes. Son objectif est que ces derniers se disent: « si lui le fait, pourquoi pas moi?« . Depuis, les actions du nettoyage du cimetière se multiplient.
S.O.S. Cimetière Maroc a fait office de moteur pour d’autres initiatives, notamment pour Al Mechaal un autre mouvement de préservation des sites funéraires sur Tanger. Fatima Ssamdi en est la présidente. Active depuis 1997, ce n’est qu’en 2015 qu’elle crée officiellement l’association.
« Nous sommes aujourd’hui cinq titulaires pour le nettoyage des cimetières sur la ville. D’autres volontaires nous rejoignent de temps en temps et quand ces derniers ne sont pas disponibles, nous faisons appel à des subsahariens que nous payons afin de nous aider« , nous explique la responsable associative.
Elle ajoute que « les Tangérois qui se rendent aux cimetières sont souvent ravis de nous voir à l’œuvre. Ça en motive même certains à nous rejoindre« . Fatima Ssamdi s’apprête désormais à mener une campagne de sensibilisation dans la ville pour inviter d’autres citoyens à rejoindre son mouvement, « sans prospectus, parce que ça pollue« , nous précise-t-elle.
Des initiatives dans le reste du Royaume
En plus de Casablanca et Tanger, d’autres initiatives du même genre ont vu le jour. C’est le cas notamment à Martil qui a la réputation d’abriter le meilleur cimetière du Maroc, ou encore à Ksar El Kebir, ville dans laquelle l’association Main dans la main œuvre depuis maintenant près de 2 ans.
Aziza Lemrabet est la créatrice de l’initiative. Elle nous raconte la genèse du projet: « Le déclic s’est fait en juillet 2016 lorsque j’ai visité l’unique cimetière de la ville, Moulay Ali Boughaleb. L’herbe était tellement haute que l’on arrivait plus à avancer dans les allées. Je ne pouvais pas rester les bras croisés. J’ai lancé un live Facebook dans lequel je montrais l’état du cimetière et j’appelais les volontaires à me rejoindre pour nettoyer les lieux. C’est difficile de mobiliser du monde, la culture du volontariat n’est pas très présente dans notre région. Aussi, j’ai contacté, toujours via Facebook, l’association Al Mechaal de Tanger. C’est eux qui nous fournissent du matériel pour mener à bien notre projet, notamment des gilets ou des râteaux« .
A Ksar El Kebir, le cimetière est au bord de la saturation. Un nouveau lieu d’inhumation doit ouvrir ses portes prochainement. En attendant Moulay Ali Boughaleb est le théâtre de faits divers en tout genre, nous raconte Aziza Lemrabet. « Il est difficile, voire impossible, de le garder sous surveillance. Il est devenu un repère pour les voleurs qui viennent partager leurs butins. On constate aussi un grand nombre de profanations de tombes et de rituels de sorcellerie. De plus, certaines personnes viennent la nuit pour y avoir des relations sexuelles« , confie-t-elle.
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