Ces Marocains qui brillent en Israël

De la politique à la cuisine en passant par le militantisme, des Israéliens d’origine marocaine influencent le cours de l’histoire dans l’État hébreu. Portraits de ces figures d’exception qui font briller le Maroc.

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Par Sabrina Myre

Il a déjoué tous les pronostics. Un self-made man millionnaire aux racines marocaines a pris les rênes du parti travailliste en juillet. Avi Gabbay, 50 ans, est né dans un camp de transit pour immigrés à Jérusalem avant de faire fortune à la tête de Bezeq, le géant des télécommunications en Israël. Le Marocain est un outsider. Un Emmanuel Macron de la politique israélienne, s’amuse la presse. Dans son CV, il cumule à peine trois ans d’expérience. De droite à gauche, l’ex-ministre de l’Environnement a claqué la porte de la coalition gouvernementale l’an dernier pour rejoindre les rangs de la formation d’opposition. En coulisses, on l’imagine déjà détrôner Benjamin Netanyahou au prochain scrutin. “Nous reprenons la route vers la victoire”, a lancé le juif marocain devant ses supporteurs. D’ici là, la star montante doit réanimer le parti qui n’a porté aucun Premier ministre au pouvoir depuis seize ans. De grands souliers à chausser pour Avi Gabbay, nouveau chef du parti des bâtisseurs de l’État hébreu, comme David Ben Gourion, Golda Meir, Yitzhak Rabin ou Shimon Peres.

La course marocaine au leadership

Jamais un Marocain n’a dirigé Israël. Ni un mizrahi, un juif venant des pays arabes. Pourtant, au moins un Israélien sur dix est originaire du royaume chérifien. “Les histoires à succès des juifs marocains ne sont plus des exceptions, même si cette communauté vit encore des discriminations économiques et sociales”, analyse Bruce Maddy-Weitzman, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient au Centre Moshe-Dayan de Tel-Aviv. À l’aube de la création d’Israël il y a 70 ans, les familles juives marocaines ont répondu par milliers à l’appel des sionistes pour peupler la Terre promise. Ces Marocains ont été installés massivement aux frontières du pays, comme des boucliers humains face aux ennemis musulmans de la Jordanie, et discriminés par l’élite ashkénaze, composée de juifs venus d’Europe de l’est, qui dirigeait le jeune pays. À l’époque, les juifs arabes avaient le sentiment d’être des Israéliens de seconde classe. Sans grand pouvoir ni influence.

Cinquante ans plus tard, Ehud Barak s’en est excusé au nom du Parti travailliste, l’ancêtre du Mapaï, bastion des fondateurs d’Israël. C’est ce même homme, un ancien Premier ministre, qui a qualifié la victoire d’Avi Gabbay de “révolution” après lui avoir apporté son soutien. L’autre candidat, Amir Peretz, était lui aussi d’origine marocaine. Né à Bejaâd, ce vétéran de la politique avait déjà dirigé les travaillistes. Sans jamais réussir à attirer un nouvel électorat dans le camp de la gauche. “Cette course avec deux candidats d’origine marocaine au second tour était unique. Avi Gabbay l’a remportée car le parti avait soif de changement. Cet homme aura peut-être le pouvoir d’attirer les électeurs de la classe ouvrière séfarade traditionnellement fidèle au Likoud de Benjamin Netanyahou”, explique le politologue Bruce Maddy-Weitzman. Le nouveau venu pourrait donc chambouler l’ordre établi.

A la défense des juifs arabes

L’establishment, Reuven Abergel l’a combattu toute sa vie. À 74 ans, dans son modeste appartement de l’ouest de Jérusalem, le militant à l’épaisse moustache grise raconte son histoire. Dans les moindres détails. Car celui que l’on surnomme le “défenseur des Arabes” n’a jamais digéré le mépris dont sa communauté a été victime. “Les Israéliens ne m’ont pas tué avec un revolver. Ils m’ont détruit avec des conditions de vie exécrables”, dénonce encore le cofondateur des Panthères noires israéliennes, mouvement créé au début des années 1970 et calqué sur celui des afro-américains. Il n’avait que 5 ans lorsque sa famille a quitté Rabat pour immigrer en Israël. Après un voyage de deux ans et demi en Algérie et en France, et dépouillée de ses papiers d’identité “par les sionistes”, sa famille a posé ses valises à Musrara, quartier sans route, sans électricité, sans école. “C’était l’apartheid !”, s’exclame Reuven Abergel. L’homme est marqué au fer rouge par des “années de racisme à l’égard des juifs mizrahim”, ré- pète-t-il. Assis au bout de sa chaise et gesticulant, l’Israélien raconte les arrestations arbitraires, les manifestations, les heurts avec la police… Sa maison était devenue le QG d’un large mouvement de protestation qui a duré sept ans. Comme pour ne pas oublier, il a accroché au mur une photo de sa rencontre avec la Première ministre de l’époque, Golda Meir. “Notre grande victoire est d’avoir mis à l’agenda le traitement injuste des juifs des pays arabes par l’élite ashkénaze. Avant cela, personne n’en parlait”, se souvient l’arrière-grand père qui prend encore le micro dans les manifestations pour défendre les droits des minorités.

Deux fois plus jeune, Avi Buskila a repris le flambeau à la tête de l’ONG La Paix maintenant, qui scrute le développement des colonies illégales en territoires palestiniens occupés. Le nouveau directeur général entend donner un sérieux coup de barre à la gauche israélienne. “En parallèle de notre lutte pour un État palestinien, il faut défendre les droits des communautés défavorisées en Israël qui se sentent oubliées en périphérie des grandes villes, comme les juifs mizrahim. La situation n’a pas beaucoup évolué en soixantedix ans !”, rappelle le Marocain de seconde génération. Né de parents venus de Casablanca, Avi est un militant atypique : séfarade, gay et ancien soldat de l’armée israélienne. Décoré pour avoir empêché un terroriste juif de commettre un massacre à Hébron il y a vingt ans, il avait même fait la Une du New York Times. Sa lutte ? L’égalité des droits pour tous : homosexuels, séfarades comme ashkénazes, Palestiniens ou Israéliens. Selon lui, le gouvernement ne fait pas assez pour combler les inégalités. “Notre génération n’a plus honte de ses origines et veut revendiquer ses droits”, fait-il remarquer, à la course entre deux rendez-vous. Avi Buskila rêve de voir davantage de juifs marocains prendre le contrôle des postes d’influence.

Les trois pouvoirs

En politique, plusieurs Marocains tirent déjà les ficelles du pouvoir. Dans la chaise de ministre de l’Intérieur, Aryeh Deri est le gardien de l’immigration israélienne. Né à Meknès, il est l’un des fondateurs du parti ultraorthodoxe Shas, dont l’appui est crucial pour la survie du gouvernement. Dans le passé, c’est David Lévy, né à Rabat, qui a cumulé les portefeuilles de ministre dont celui des Affaires étrangères. De quoi réchauffer les relations entre Israël et le Maroc. Avec sa longue feuille de route, il est toujours considéré comme l’un des membres les plus influents de la communauté juive marocaine. Sans oublier Miri Reguev, ministre de la Culture, elle aussi marocaine. Sur le tapis rouge du Festival de Cannes, elle s’est fait remarquer avec sa robe arborant le Dôme du Rocher pour marquer les cinquante ans de la “réunification” de Jérusalem, dont l’est a été annexé illégalement par Israël après la guerre des Six jours.

En territoires occupés, c’est l’armée qui fait la loi. Au sommet de la hiérarchie, Gadi Eisenkot, premier juif marocain à occuper la fonction suprême de chef d’état-major. Le numéro 1 de Tsahal est né à Tibériade de parents marocains. Après s’être forgé une réputation de dur à cuire dans la brigade d’infanterie Golani, il a dé- croché en 2015 le poste le plus respecté et admiré. “C’est un message très fort. Notre pays a réussi à intégrer des juifs de partout dans le monde qui ont contribué à construire l’identité nationale israélienne”, soutient Bruce Maddy-Weitzman, expert au Centre MosheDayan de Tel-Aviv. Pour l’homme trapu, le défi est de taille. Gadi Eisenkot doit composer avec un budget militaire en baisse et un risque de soulèvement des Palestiniens, dont les attaques au couteau, et plus rarement à l’arme à feu, se multiplient depuis deux ans. Entre ses mains repose la sécurité des Israéliens.

Dans l’État juif, la religion règne en maître. Le grand rabbin de Jérusalem, Shlomo Amar, né à Casablanca, a émigré dans les années 1960. Grand rabbin des séfarades en Israël entre 2003 et 2013, le religieux a été décoré par le roi Mohammed VI. À 70 ans, il n’a pas la langue dans sa poche. “L’homosexualité est une abomination, punie dans la Torah par la mort”, a-t-il déclaré l’an dernier, suscitant l’indignation dans la communauté LGBT qui l’accusait d’incitation au meurtre. Un an plus tôt, Shira Banki, 16 ans, avait été poignardée à mort par un extrémiste juif lors du défilé de la Gay Pride de Jérusalem. Bien que controversés, ses propos trouvent un écho dans une société de plus en plus conservatrice. Par exemple, Shlomo Amar est contre la création d’un espace de prière mixte au Mur des Lamentations. Sous la pression des partis ultra-orthodoxes, le gouvernement, au départ favorable, s’y est finalement opposé. Preuve que le grand rabbin a la main longue.

Le goût du Maroc

Au lieu de prêcher, Neta Elkayam a choisi de chanter. “C’est moins agressif pour faire passer mon message”, illustre la pétillante Israélienne, qui a grandi à Netivot, près de la bande de Gaza. À travers sa voix, forte et assumée, la future maman veut faire vivre le Maroc en Israël. C’est dans la maison de sa grand-mère que Neta a découvert ses origines. “Elle cuisinait différemment, elle parlait une autre langue”, se remémore-t-elle, nostalgique. Cette langue, c’est la darija. “Mes parents avaient honte de la parler devant les autres Israéliens”, raconte celle qui écrit ses chansons en arabe et en hébreu. “Pourquoi choisir entre les deux ? Je suis le résultat de l’histoire de mon peuple”, rappelle l’artiste de 36 ans au rire communicatif. Après un premier voyage au Maroc il y a huit ans, elle a réalisé qu’on lui avait caché une partie de son histoire. “J’avais besoin de comprendre d’où je venais. À l’école, je n’ai jamais rien appris sur mes racines judéo-marocaines”, déplore-t-elle. Une erreur, selon elle, d’avoir voulu gommer les particularités culturelles des immigrants qui ont fondé Israël. Sur son prochain album figurera une chanson écrite par l’ex-panthère noire Reuven Abergel, avec qui elle partage des revendications. En couple avec le musicien et cinéaste d’origine marocaine Amit Cohen, Neta revisite le chaâbi avec un savant mélange d’instruments traditionnels, de musique occidentale et de paroles engagées. En seulement six ans, son amour pour sa culture l’a hissée au rang des artistes marocains incontournables. Tellement populaire qu’elle doit s’y consacrer à plein temps ! Un beau pied de nez aux années de misère qu’a pu vivre sa grand-mère.

L’odeur des épices marocaines embaume ce restaurant caché comme un trésor derrière une lourde porte de métal, rue Horkanos, au centre de la ville trois fois sainte. Pastillas, tajines de coquelet aux raisins et amandes, salades d’orange à la cannelle… 100% cacher. Difficile de croire qu’Ilan Sibony a commencé au bas de l’échelle avec “La Baraque”, un petit comptoir et cinq tables. Étudiant en architecture, le Casablancais sioniste cuisinait pour payer ses études. “Je ne disais pas aux clients que je leur servais de la nourriture marocaine”, ricane celui qui aura finalement réussi à intégrer la fine cuisine du royaume en Israël. “Je suis un pionnier”, dit-il, sans gêne, en parcourant “Darna”, son restaurant qui compte 200 couverts. Il a réussi à séduire les Israéliens par la panse et faire goûter ses mets aux “grands de ce monde”, comme il aime à dire. Marcello Mastroianni, Juliette Binoche, Ariel Sharon, Jacques Chirac, André Azoulay… Du plancher en zellige à la poterie accrochée aux murs, tout est importé du Maroc. “Ça m’a permis de redécouvrir le pays que j’ai quitté en cachette à l’âge de 17 ans”, raconte-t-il. Parachutiste dans l’armée et ex-résident d’un kibboutz, le pionnier culinaire est fier de ses origines. Pour rien au monde, il n’arrêterait de cuisiner les plats de son enfance. Comme plusieurs, il n’a rien perdu de sa marocanité. Même si avant tout, il est israélien.

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