Le directeur du site d’information Badil comparaissait ce lundi devant le président Ali Torchi à la chambre criminelle de la Cour d’appel de Casablanca, dans le cadre du procès des 54 détenus du Hirak. Il est accusé de « non-révélation d’attentat contre la sûreté de l’État« .
Hamid El Mahdaoui a déjà été condamné à un an de prison ferme par le tribunal de première instance d’Al Hoceïma pour « incitation d’individus à commettre des délits par des discours et des cris dans des lieux publics« .
Fidèle à son enthousiasme et sa prolixité, le journaliste a, pendant près de 3 heures, tenté de démonter lui-même les charges retenues contre lui. Avant de s’attaquer aux présomptions du juge d’instruction, il a tenu, « en ce jour historique« , à saluer « le juge, les magistrats, les représentants du ministère public, mes avocats, les associations des droits de l’Homme, le Syndicat national de la presse marocaine, les ONG internationales, dont Reporters sans frontières« . El Mahdaoui a également eu une pensée pour son village natal de Khnichate, qui a été « secoué » par son arrestation.
El Mahdaoui « président des Rifains » ?
« Jugez-moi comme terroriste, tant que le procès est équitable« , a martelé Hamid El Mahdaoui, lorsque le président du tribunal Ali Torchi lui a indiqué qu’il « n’était pas poursuivi en tant que journaliste« .
L’auditoire a éclaté de rire lorsque Hamid El Mahdaoui s’est adressé au greffier, lui demandant de « bien noter » ses propos, promettant qu’il lirait le procès-verbal à l’issue de l’audience.
Même les magistrats ont esquissé un sourire quand le journaliste a assuré qu’il « apprécie énormément le greffier« , ajoutant qu’ils « passent un moment agréable lorsqu’ils se rencontrent en prison« .
Sept conversations téléphoniques interceptées entre El Mahdaoui et un individu du nom de Nourdine, résidant aux Pays-Bas, ayant eu lieu entre les 27 et 28 mai derniers, constituent la base des griefs retenus contre le journaliste.
Derrière le nom de Nourdine se cache en réalité Ismail Bouazzati, un Marocain originaire de Béni Bouayach, dans la province d’Al Hoceïma, et désormais établi à Amsterdam.
À en croire El Mahdaoui, il lui a « affirmé qu’il comptait faire entrer des armes au Maroc via Sebta, cachées dans le coffre d’une voiture« . Bouazzati aurait également assuré au directeur de Badil qu’il « avait financièrement soutenu le Hirak pour un montant de 160.000 euros« . « Il envisageait, après la révolution et l’indépendance du Rif, de faire de moi le président des Rifains« , a révélé El Mahdaoui à la cour.
Le journaliste estime qu’il ne lui semblait « pas nécessaire d’alerter la police » au sujet de son interlocuteur, « ses propos étant complètement insensés« . Toutefois, pour le juge d’instruction, le journaliste n’était « pas en mesure de déterminer le sérieux ou non de la chose« .
Une présomption qui irrite El Mahdaoui, qui a pendant près de trois heures énoncé les « contradictions contenues dans le discours de Bouazzati« .
« Hémorroïdes internes ou externes » ?
« Comment diable ce Bouazzati, lui-même indépendantiste rifain, pouvait-il me promettre la présidence des Rifains, moi qui suis de Sidi Kacem?« , interroge le journaliste, provoquant ricanements et amusement dans les rangs de l’audience.
« De plus, il m’a garanti qu’une avance a été payée pour l’achat des armes. Depuis quand achète-t-on des armes comme on achète un veau?« , ironise-t-il avant d’en rajouter une couche : « d’abord il me parle de révolution et d’intronisation de Zafzafi, puis il me confie qu’il ne fait pas confiance au gouvernement, mais uniquement au Roi!« .
La voix de Nasser Zafzafi interrompt alors l’hilarité générale. « L’audience du détenu politique et journaliste Hamid El Mahdaoui mériterait d’être filmée, afin de dénoncer les ruses dont il a été victime !« , s’exclame le leader du Hirak.
El Mahdaoui se lance ensuite dans un argumentaire visant à démontrer qu’il voulait se débarrasser d’Ismail Bouazzati, qu’il présente comme un « interlocuteur anormal« . « Je lui ai signifié que je venais d’être opéré des hémorroïdes et que j’avais besoin de repos. Savez-vous ce qu’il m’a rétorqué monsieur le juge ? ‘Les hémorroïdes, internes ou externes?’« , raconte le journaliste.
Remonté, El Mahdaoui a également reproché au juge d’instruction d’avoir limité ses moyens de défense, en omettant de mentionner le passage où son interlocuteur « promet de faire de Zafzafi le roi du Rif, alors qu’il n’a pas oublié de transcrire les extraits où il insulte Akhannouch et son épouse« . Pour lui, il s’agit là d’un passage « décisif » dans la démonstration de son innocence.
Profession: journaliste
Après environ trois heures d’un one-man-show effréné au cours duquel El Mahdaoui parvient à citer coup sur coup le roi Mohammed VI, Hassan II, le poète arabe Jamil de Boutaina, le compagnon du prophète Omar Ibn al-Khattab, les sourates Yusuf et Al-Qamar, ou encore Abdelilah Benkirane « paix à son âme« , l’interrogatoire du juge peut enfin débuter.
« Pourquoi avez-vous accordé autant de temps à une personne que vous dites ne pas connaître, et dont vous qualifiez les propos d’insensés ? », lui demande Ali Torchi. Ce à quoi El Mahdaoui répond: « ma profession de journaliste m’oblige à chercher l’information, et ce, en recevant des appels d’inconnus« .
Visiblement pas convaincu par cette réponse, Ali Torchi réplique: « pourquoi avez-vous donc publié l’information que vous a communiquée Bouazzati, selon laquelle Zafzafi appelait ses adeptes à rentrer chez eux trois jours durant afin de calmer la situation suite à l’événement de la mosquée ?« .
Increvable, Mahdaoui déclare qu’il s’agissait « d’une technique journaliste consistant à mettre en confiance son interlocuteur ». Il s’insurge ensuite: « pourquoi ne remarque-t-on pas que je n’ai pas publié d’autres informations plus sensibles comme le projet de fuite vers l’Europe de Zafzafi, les 160.000 euros de soutien financier, les armes dans le coffre? ».
Vient alors le tour du procureur Hakim El Ouardi, qui demande à la Cour de diffuser les enregistrements sonores des sept conversations téléphoniques entre El Mahdaoui et Brahim Bouazzati.
Si la défense a appuyé cette requête, Me Messaoudi a demandé au juge de diffuser les versions originales des appels, arguant qu' »ils ont été tronqués par la Brigade nationale de la police judiciaire lors de l’enquête ». C’est à ce moment que le juge annonce le report de l’audience à l’après-midi du mardi 13 février.
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