Lorsqu’ils se présentent à la barre, les détenus du Hirak racontent tous – ou presque – les mêmes péripéties de leur arrestation, à quelques détails près. La plupart d’entre eux rapportent que des individus en civils ont fait irruption de nuit à leur domicile, puis les ont transportés dans un véhicule ne portant aucun logo de la police.
« Au siège de la Brigade nationale de la police judiciaire à Casablanca, on m’a traité de ‘fils d’espagnol’, d’ ‘aoubach’ et d’autres noms que je ne saurais citer devant cette respectable cour, par pudeur« , déclare Youssef Hamdioui.
Plusieurs des accusés affirment qu’on leur a promis qu’ils pourraient regagner leurs familles s’ils signaient les procès-verbaux d’interrogatoire, car de toutes les manières, c’était après Nasser Zafzafi que la police en avait.
Ce mardi, les frères Ibrahim et Otmane Bouziane comparaissaient devant le juge Ali Torchi, à la barre de la très humide et frigorifique salle 7 de la cour d’appel de Casablanca. Les magistrats sont accueillis par les serments de Zafzafi & co. et les youyous de leurs familles. Le tout sous le regard d’un invité de marque, Noureddine Ayouch, venu « rencontrer les détenus et leurs proches, après avoir été interdit de les visiter par l’administration pénitentiaire », explique-t-il à Lakome.
Une conversation téléphonique entre Youssef Hamdioui et Ibrahim Bouziane, notamment poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’État », figure parmi les pièces à conviction exposées par le procureur Hakim El Ouardi. Cependant, l’échange se déroulant en dialecte rifain, il est difficile d’en révéler l’objet.
Selon le procureur, qui lira une transcription phonétique de la discussion puis sa traduction en arabe, Ibrahim Bouziane a informé son vis-à-vis que « quelqu’un d’Europe veut remettre une « amana » à Nasser« .
L’accusé et ses avocats fulminent : « le mot ‘Europe’ n’a pas été mentionné« . De plus selon eux, « impossible de déduire le sens de cet échange au vu de la qualité médiocre de l’enregistrement« .
La défense en profite alors pour réitérer une demande qu’elle formule depuis plusieurs audiences déjà : la nécessité de la présence d’un traducteur assermenté qui assurera une interprétation instantanée des pièces à conviction en langue rifaine. Fait suffisamment rare pour être signalé, le ministère public « rejoint » la défense dans sa requête.
L’audience d’Otmane Bouziane, frère d’Ibrahim, ne fut pas moins riche en rebondissements. S’il affirme « n’avoir jamais participé au Hirak », il atteste d’une « amitié de longue date avec Nasser ». Ce réparateur de téléphones portables évoque également une dette de 5.600 dirhams à régler par le leader du Hirak, dont les créances atteignent les 90.000 dirhams.
« En mai, quelques jours avant les événements de la mosquée, Nasser Zafzafi m’informe qu’il est en mesure de rembourser une partie de ma dette, soit 2.650 dirhams. N’étant pas sur mon lieu de travail à ce moment-là, il remet l’argent à Ilyass, un commerçant connu du quartier. Je charge alors Abderrahim, un ami et chauffeur de taxi, de récupérer l’argent« , relate-t-il.
Le juge Ali Torchi ne cache pas son scepticisme: « comment se fait-il qu’Ilyas ait fait confiance à Abderrahim? » Question à laquelle Otmane Bouziane répond : « Abderrahmin est chauffeur de taxi, il possède un permis de confiance« . Saugrenu ? Ce n’est pas de l’avis du détenu qui rajoute: « nous nous connaissons tous, Abderrahim, Ilyass et moi« .
Le procureur Hakim El Ouardi confronte cette version aux appels téléphoniques interceptés et la déposition d’Otmane Bouziane à la BNPJ. L’hypothèse du parquet est que le 24 mai, Nasser Zafzafi devait recevoir un montant de la part d’Azdine Oulad Khali Ali, résident aux Pays-Bas, et qu’Otmane Bouziane devait faire office d’intermédiaire dans ce transfert.
Le procureur fait alors mention de 7 appels interceptés le 24 mai, entre 7h35 et 11h. Les enregistrements ne sont pas diffusés, mais Hakim El Ouardi en lit le contenu.
« Demande au monsieur de répondre s’il reçoit un appel des Pays-Bas« , demande Azdine Oulad Khali Ali à Nasser Zafzafi, dans une conversation téléphonique à 9h40. Deux minutes plus tard, le leader du Hirak transmet cette « consigne » à Otmane Bouziane, à laquelle celui-ci répond : « oui, oui« .
Mais devant les magistrats, Otmane Bouziane nie avoir reçu un quelconque appel des Pays-Bas. Une déclaration qui contredit celle déposée auprès de la BNPJ, selon le procureur.
Pour la défense, impossible d’établir le lien entre les trois protagonistes à partir de ces conversations téléphoniques. Excédé, Me Mohamed Aghnaj explose: « Tout cela dépasse l’entendement. Pourquoi Nasser Zafzafi chargerait-il Otmane Bouziane, qui déléguera lui-même un chauffeur de taxi, de récupérer des montants reçus de l’étranger, alors qu’ils se trouvent tous à Al Hoceïma? »
L’avocat remet alors au juge un carnet rouge, sur lequel Otmane Bouziane note les dettes de ses clients. « La signature est la mienne, monsieur le juge« , hurle Nasser Zafzafi depuis le box des accusés. « Je dois de l’argent à toute la Oumma, je suis pauvre!« , a conclu le leader du Hirak.
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