"Médecins et arnaqueurs" : Réactions vives et contrastées après l'enquête de TelQuel

La publication d'une enquête de TelQuel (actuellement en kiosques) sur les pratiques répréhensibles de certains médecins du privé a ouvert le débat sur la profession. Plainte pour diffamation, témoignages de médecins blessés, témoignages de patients floués... et même un peu d'humour du côté de Twitter.

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Dans son édition en kiosques jusqu’au 8 février, TelQuel publie une enquête sur les pratiques illégales et immorales de certains médecins du privé qui a suscité des réactions nombreuses, parfois vives, en tout cas contrastées.

En couverture du magazine, le dossier titré « Médecins et arnaqueurs » démontre sur onze pages comment la pratique de la césarienne a explosé au moment où sa tarification a été revue à la hausse, comment certains néphrologues s’arrangent avec leurs patients pour organiser des arnaques à l’assurance autour de séances de dialyses fictives, ou encore comment la pratique du « black » est devenue endémique dans les couloirs immaculés des cliniques privées.

En se basant sur des constatations de terrain, des données chiffrées de la Caisse nationale des organismes de prévoyances sociales (CNOPS), de la Direction générale des impôts (DGI) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que des témoignages de praticiens et de patients, l’article dresse le portrait peu reluisant d’une partie de la profession, pour qui « soigner n’est pas un sacerdoce, mais un business juteux« .

Ce constat a suscité de nombreuses réactions, à la fois sur les réseaux sociaux, sur une adresse mail mise en place par la rédaction, mais aussi par voie de presse et de droit. Ces réactions émanent à la fois du grand public, de lecteurs, de patients, de proches de médecins, de médecins du privé et du public, ainsi que de leur syndicat.

Entre les insultes adressées aussi bien à la rédaction de TelQuel qu’aux médecins que nous nous gardons de reproduire ici, il est permis de distinguer quelques tendances.

Pas tous dans le même sac

D’une part, ceux – médecins ou non – qui estiment que cette enquête entretient la confusion entre une partie de la profession qui s’adonne aux pratiques décrites et une autre catégorie de médecins attachés à la « noblesse » de leur activité. « Et pourquoi on ne parle pas des bons médecins qui font leur travail et gagnent leur pain décemment? », s’interroge cet internaute.

De nombreux médecins ont d’ailleurs pris la plume dans des témoignages après la publication de l’enquête pour témoigner de leur quotidien et de leur sacerdoce qui remonte au début de leurs études. Comme ce témoignage de médecin, tout en ironie: « Oui, je suis un voleur. J’ai volé ma jeunesse que j’ai privée de vacances, de voyages, de sommeil, de soirées entre copains, d’amour, d’erreurs et de bêtises, parce que chez nous pour être médecin tu dois bosser dur, de 18 ans à 35 ans. J’ai aussi volé mon sang que je donnais à chaque fois qu’un patient en avait besoin en urgence, parce que chez nous les premiers donneurs de sang sont le personnel de santé ».

« Pour ma part tout au long de mon parcours je n’ai rencontré que des médecins dont la motivation première était d’accompagner les malades vers la guérison dans la mesure des moyens que la science et l’environnement professionnel peuvent offrir« , écrit pour sa part Chafik Chraibi, gynécologue et figure de la lutte contre l’avortement clandestin au Maroc.

Ouvrir le débat

D’autres encore, profitent de l’opportunité pour engager le débat. Ainsi de cette tribune publiée sur Medactu.com et signée Dr Alae Guerrouani. « Il est évident qu’il n’est pas normal que des personnes qui cotisent pour leurs mutuelles soient obligées de payer un supplément non déclaré en cas de souci de santé« , entame l’auteur à propos de la pratique du « black« .

« Il est tout aussi évident que les tarifications et cotations des actes ne tiennent pas compte de la réalité d’aujourd’hui. Qui de nous souhaite se faire soigner par des méthodes qui datent de quelques décennies? Ne voyons-nous pas l’aberration dans le fait de payer la technologie d’aujourd’hui au prix de celle d’il y a 20 ou 30 ans« , enchaîne-t-il, mettant l’accent sur « la qualité technique et scientifique » des praticiens.

D’autres, en revanche, sont plus catégoriques. « Je refuse cette étiquette [d’arnaqueur, NDLR], parce qu’une nuit sur trois je quitte ma fille et mon mari pour aller travailler dans un milieu qui n’est guère à envier, un hôpital où les ressources humaines et matérielles sont très limitées« , commente cette jeune médecin.

« C’est indigne de dresser un portrait aussi macabre de la profession. Nous faisons pour la plupart plus de 10 ans d’études terriblement difficiles. Et puis les dépassements d’honoraires existent partout dans le monde!« , témoigne une autre.

Plainte en diffamation

C’est également comme cela qu’a été perçue la couverture de TelQuel auprès du Collège syndical national des médecins spécialistes privés (CSNMSP). Son président, le docteur Moulay Said Afif, a adressé une lettre aux conseillers juridiques du CSNMSP « dans le but de déposer une plainte pour diffamation […] pour laver l’honneur d’une profession dont les membres veillent jour et nuit à ce qu’a le citoyen de plus cher: sa santé« , lit-on sur la copie d’un document qui a été partagé sur les réseaux sociaux.

Hassan Kettani, conseiller juridique du CSNMSP, confirme qu’il a bien été destinataire de la lettre et effectivement chargé par le président du CSNMSP de porter plainte contre TelQuel et les auteurs de l’article, sans nous indiquer si la plainte a été déposée ou non. À l’heure où nous mettons en ligne, la rédaction de TelQuel n’a pas reçu de notification d’une telle plainte.

Le même CSNMSP a écrit à la présidente de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) pour la « saisir officiellement » et « demander [son] arbitrage […] à propos d’un fait médiatique d’une très haute gravité« .

Dans le même document, Moulay Said Afif indique aussi qu’il « informe » le chef du gouvernement, le ministre de la Santé et le président du Conseil national de l’Ordre des médecins.

Comme son nom le laisse à penser et parce qu’elle est chargée d’encadrer la « suppression du monopole de l’État en matière de radiodiffusion et de télévision« , le domaine de la HACA semble a priori éloigné de celui de la presse écrite.

Des témoignages de ras-le-bol

Si certains patients volent au secours d’une catégorie de médecins profondément attachés à leur mission de santé comme évoqué plus haut, d’autres font état d’un ras-le-bol.

« Les médecins abusent du système au Maroc, abusent des patients et ne paient pas d’impôts! C’est des rentiers qui jouissent de l’impunité! », croit savoir cet internaute qui ne s’embarrasse pas de faire le distinguo. « Il y en a vraiment marre ! Les médecins ne sont plus des médecins, mais des business men. La médecine, on ne l’étudie plus parce qu’on aime, ou parce qu’on veut sauver des vies, mais juste pour se faire de l’argent« , tranche encore ce lecteur.

Parmi les nombreuses réactions suscitées, il y a aussi celles des patients dont l’article de TelQuel a fait écho à une expérience vécue. Depuis la publication de l’enquête, nous avons recensé plusieurs dizaines de nouveaux témoignages de patients faisant état d’escroquerie, ou de chantage de la part de médecins dans divers établissements privés marocains.

Avant de conforter le constat dressé par TelQuel, voire de l’élargir à de nouvelles spécialités, ils devront faire, comme les précédents, l’objet de vérifications.

Enfin, autour de ce sujet aux contours des plus sérieux, certains internautes et notamment sur Twitter trouvent la ressource pour commenter avec humour :

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