Depuis près de deux mois, les riverains du lac artificiel d’El Oulfa (quartier populaire du sud-ouest de Casablanca) se plaignent de l’écoulement de flux noirâtres, dégageant une odeur pestilentielle et tuant la faune locale. Tour à tour soupçonnés, la Lydec et l’hôpital Cheikh Khalifa se dédouanent de toute responsabilité.
Les effluves d’égout prennent aux narines. Sur les berges, des bouteilles en plastique et autres détritus font ployer des roseaux déjà mal en point. Des milliers d’insectes virevoltent à la surface de cette étendue opaque de neuf hectares, réputée comme le plus vaste bassin urbain du Maroc. Les eaux de cet étang, creusé dans les années 1960 sur le site d’une ancienne carrière – devenu source intarissable de légendes urbaines – semblent plus que jamais impénétrables.
Sifflet entre les dents, le président de l’association sportive voisine désigne, derrière les broussailles, une bouche de béton crachant un mince filet sombre. Il nous montre des images filmées lors du dernier orage. Et jure que le matin-même, le déversement était bien plus abondant. Or, comment se fait-il que la retenue, qui n’est censée recueillir que les eaux de pluie, soit alimentée alors que le ciel est calme depuis plusieurs jours?
Alertée, une délégation de la Lyonnaise des eaux de Casablanca (Lydec) s’est rendue sur place. L’opérateur de services publics, chargé entre autres de la gestion aquatique de la capitale économique, a effectivement constaté un épanchement anormal. Remontant jusqu’à l’hôpital Cheikh Khalifa attenant, il a effectué des prélèvements, dont les résultats d’analyse seront connus dans les jours à venir.
« Il s’agissait d’une eau claire. Elle ne provenait pas de chez nous, mais d’un puits relié à la nappe phréatique, qui déborde régulièrement depuis les dernières précipitations », assure Abdelilah Boudouche, directeur technique du plus grand hôpital privé du Maroc.
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Le responsable explique que sa structure repose sur deux réseaux d’assainissement distincts: un premier pour les eaux de pluie, un deuxième pour les eaux usées. Ce dernier est lui-même subdivisé en deux circuits: l’un pour les rejets liquides courants, l’autre pour la médecine nucléaire, dont les déchets décantent durant deux mois dans une station de décontamination interne. Une agence indépendante doit ensuite donner son feu vert, avant qu’ils rejoignent la conduite principale.
« Les deux canaux sont clairement séparés. Ce n’est pas possible qu’ils se mélangent », évacue le responsable.
D’où peuvent donc bien émaner ces fluides nauséabonds? Suite aux observations de jeudi, la Lydec s’est rapproché d’un laboratoire pour réaliser une étude approfondie de la nappe phréatique. Précédemment, la compagnie s’était également aperçue que de nouvelles constructions des environs avaient été mal raccordées à son maillage. Au lieu d’envoyer les déjections des éviers ou des toilettes vers le tout-à-l’égout, celles-ci ont été redirigées vers les tuyaux réservés à l’évacuation pluviale. À chaque fois que de tels branchements ont été repérés, des intercepteurs ont été installés. Devant la préfecture de l’arrondissement Hay Hassani, 500 mètres de boyaux de 600mm vont également être remplacés par des diamètres plus gros, pour faire face à une densité de population croissante. Estimé à quelque 5 millions de dirhams, le chantier devrait être achevé aux alentours du 20 février prochain.
Pavés dans la mare
En attendant, ce sont les riverains qui font les frais de cette pollution. Propriétaire d’un appartement perché sur la falaise surplombant le lac, Naoufal Benmoussa n’ose même plus sortir sur son balcon pour profiter de son hamac. « Même quand toutes les fenêtres sont fermées, la puanteur est insupportable! », s’indigne cet ingénieur en informatique. Selon lui, tout a commencé le soir du 8 décembre. Alors qu’il rentrait du travail, des relents putrides l’ont saisi aux tripes. Le matin du 9, le jeune homme tourne sa première vidéo, dans laquelle il s’interroge sur l’origine de ce changement subit. De plus en plus remonté, il se procure les adresses courriels de dizaines de responsables locaux, nationaux et internationaux, afin de révéler à l’opinion publique ce qu’il qualifie de « tragédie environnementale » – les carcasses noircies d’oiseaux et de tortues sont notamment retrouvées lors d’une opération de nettoyage, comme le montre la séquence suivante.
En contact permanent avec la Lydec et les différentes parties prenantes, ce citoyen devenu activiste « malgré lui » espère que les coupables vont être rapidement identifiés. « Il y a toujours eu beaucoup de moustiques ici, mais j’ai l’impression qu’il y en a de plus en plus. Si on ne fait rien, dès les premières chaleurs, on risque d’avoir plein d’épidémies », s’inquiète-t-il.
(Avec Ahmed Médiany pour TelQuel Arabi)
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