Propos recueillis par notre envoyé spécial à Addis-Abeba
Interviewer Alpha Condé relève du parcours du combattant. Pour rencontrer le président guinéen, il faut d’abord passer par son conseiller et directeur du protocole, Mamady Sinkoun Kaba, un homme à la carrure de colosse qui devance les pas du président guinéen à chaque fois qu’il se déplace. Après plusieurs rencontres dans les couloirs de l’organisation panafricaine, celui qui a le rang d’ambassadeur d’État finit par accepter notre proposition d’interview lors du dernier jour du 30e sommet des chefs d’Etat de l’UA, qui s’est tenu les 28 et 29 janvier à Addis-Abeba. C’est au Sheraton de la capitale éthiopienne que le rendez vous est fixé. Pour nous rendre dans ce lieu prisé par la diplomatie africaine, nous nous joignons au convoi devant accompagner Alpha Condé vers l’établissement. Mais lorsque nous pénétrons dans la voiture devant mener le convoi du président sortant de l’UA, l’employé du ministère des Affaires étrangères éthiopien chargé d’accompagner le chef d’Etat est pris de panique. Mais que fait donc un journaliste marocain dans le convoi du chef d’Etat guinéen ?
On nous intime l’ordre de quitter le véhicule et le convoi à force de “get out” menaçants, alors que les militaires éthiopiens se tiennent prêts, armes à la main. Seule l’intervention du conseiller présidentiel — et sa voix de stentor — nous permet de réintégrer le cortège, tandis que le fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères éthiopien se confond en excuses. Nous sommes donc à la tête du convoi présidentiel et bénéficions, l’espace de quelques minutes, du privilège des grands de ce monde, qui voient s’écarter les véhicules de leur passage, à chaque fois qu’ils prennent la route, tel Moïse séparant les eaux de la Mer Rouge. Une fois arrivés au Sheraton, nous nous rendons devant la suite occupée par le président. Mais il faut encore attendre quelques minutes pour rencontrer celui qui préside à la destinée des Guinéens depuis maintenant plus de sept ans. C’est que le Professeur — il a dispensé des cours en sciences économiques à La Sorbonne — doit encore effectuer une activité officielle avant de recevoir nos confrères du Monde. C’est à l’issue de cette interview, conclue en une vingtaine de minutes, que nous sommes invités dans la suite présidentielle, aux côtés de nos confrères guinéens et d’un journaliste du quotidien français L’Opinion. L’entretien peut démarrer.
Il y a près d’un an, jour pour jour, vous étiez le soutien le plus vocal au retour du Maroc à l’UA. Pourquoi avoir soutenu le royaume ?
Le Maroc a une réelle identité panafricaine et le roi Mohammed VI a un réel engagement panafricain. Le royaume est l’un des grands pays africains et il n’était pas normal qu’il ne fasse pas partie de l’Union africaine car il peut lui apporter beaucoup. Et puis, il ne faut pas oublier que la première organisation africaine a été créée à la Conférence de Casablanca, sous l’égide de Sa Majesté le roi Mohammed V avec le président Nasser. Ces négociations avaient permis la création du Groupe de Madagascar qui a mené, avec l’aide de l’empereur Hailé Sélassié, à la fondation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’UA, ndlr) dont le Maroc est un membre fondateur. Le roi Mohammed V a également été un grand soutien aux mouvements de libération africains.
Quel bilan faites-vous de l’action du Maroc, un an après son adhésion à l’UA ?
Le Maroc a été l’un des premiers pays à tenir son engagement relatif à la taxation à hauteur de 0,2% de certaines importations, qu’il a déjà payé. Et alors que l’une de nos thèses, au sein de l’Union africaine, est de dire que les Africains peuvent résoudre eux-mêmes le problème du terrorisme, le Maroc a également participé à la formation des troupes, contribué aux forces de maintien de la paix onusienne et à la logistique. Le royaume a également montré sa volonté de participer en proposant tout de suite de ramener les migrants coincés en Libye. Il a ainsi montré ce qu’il pouvait faire. J’ai toujours pensé que le Maroc avait sa place au sein de l’Union africaine, même si certains pensaient que cela allait créer de l’agitation. L’adhésion du Maroc est une grande victoire pour l’Union africaine.
Le Maroc a présenté sa candidature pour adhérer à la Cédéao en juin dernier. Pourquoi ce processus est-il toujours bloqué ?
Les discussions sont toujours en cours, donc je préfère ne pas aborder cette question, mais le roi Mohammed VI connaît ma position. La Guinée est aujourd’hui un pays qui a l’un des rapports les plus étroits avec le royaume, notamment sur la question de l’agriculture. Grâce au Maroc, la Guinée est le pays africain ayant le meilleur ratio tonne d’engrais par habitant, alors qu’avant notre partenariat nous étions très éloignés dans ce domaine. Le Maroc nous accompagne pour l’insémination et l’agriculture, il forme nos imams au rite malékite auquel on adhère. La coopération entre nos deux pays est très forte.
Comment qualifieriez-vous votre relation avec le roi Mohammed VI ?
Le roi Mohammed VI est mon frère. Nous avons d’excellentes relations. Nous nous parlons franchement. Il est très avisé et de bon conseil car il connaît bien nos problèmes. La dernière fois que j’ai rencontré les ministres marocains, je les ai taquinés en leur disant que le roi connaît mieux leurs dossiers qu’eux. Il est très complet et va jusqu’aux plus infimes détails. Il s’intéresse beaucoup au petit peuple, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de chefs d’Etat. Il sort seul en voiture et essaye de connaître ses problèmes. C’est pour cela que j’ai beaucoup d’estime et de sympathie pour lui.
Retrouvez l’intégralité de cette interview, et un dossier spécial sur les coulisses d’un sommet sous haute tension, dans le numéro 797 de TelQuel, en kiosque dès le 2 février.
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