Une série de qualité sur Al Aoula ? Ça ressemblait à la blague de l’année. Quand on nous l’a dit, nous n’y avons donc pas cru. Habitués à l’humour potache, à des acteurs qui surjouent, à des scénarios qui s’improvisent… bref, habitués à de la mauvaise qualité, nous ne nous sommes pas pressés de regarder la série du lundi soir sur la chaîne nationale. Notre snobisme aurait pu nous jouer un mauvais tour. Heureusement, la curiosité nous a sauvés. Et les milliers de commentateurs YouTube, qui suivent assidûment Rdat Lwalida, surtout. La série de 30 épisodes, réalisée par Zakia Tahiri, est un véritable phénomène sur le Web. La playlist de la chaîne YouTube d’Al Aoula réservée aux épisodes de la série, dépasse le million de vues. En dessous des 27 épisodes déjà en ligne, des centaines et des centaines de commentaires dithyrambiques. On croit rêver. “Avant, je détestais le lundi à cause du boulot, je l’attends aujourd’hui impatiemment pour regarder les nouveaux épisodes”, ou encore “Mon Dieu! Je vous jure que cette série est extraordinaire, je ne m’y attendais pas ! Je ne regardais pas de séries marocaines avant”, et surtout : “La situation de Karim ressemble vraiment à la mienne, la preuve c’est que j’ai les larmes aux yeux en écrivant ce commentaire.” Il suffit de faire défiler pour noter l’unanimité. Rdat Lwalida séduit un large public, et voici pourquoi.
Du social et du courage
“C’est une saga moderne. Un drame contemporain sur fond de revanche sociale, sous-tendu par le secret partagé par deux mères”, résume Zakia Tahiri, qui a co-écrit la série avec Fatine Youssoufi. Deux mères, donc. Deux villes, deux univers et un secret qui lie à jamais les deux femmes. Lalla Mama, campée par l’excellente Raouia, grande bourgeoise de Tanger et véritable chef du clan Kennani, est la cliente de Keltoum, couturière modeste de Casablanca.
Le fils de la première, Farid, a réussi sa vie. Le héros de la série, Karim, fils de la couturière, a en revanche un horizon bouché, enfermé dans l’étroitesse de la cité d’Al Hank. Karim est d’abord un chic type, instruit, amoureux depuis toujours de sa Souad, un ould nass qui, après avoir envoyé des CV sans succès, décide de monter une petite affaire avec son ami et fidèle compagnon. Abdelilah Rachid, qui a décroché ce rôle, convainc. Il était l’un des terroristes dans Les chevaux de Dieu de Nabil Ayouch et est à l’affiche de Razzia, du même réalisateur. “Bien que je sois connu dans le monde du cinéma, j’avais besoin de ce rôle pour me rapprocher du grand public”, nous confie le comédien, fier et heureux que Zakia Tahiri lui ait donné cette chance. Il n’avait pas été son premier choix, mais la réalisatrice nous avoue avoir été séduite par la méthodologie, le sérieux et le dévouement de son acteur. “Le rôle était fait pour lui”, reconnaît-elle aujourd’hui. “Pour qu’un acteur puisse, juste avec son regard, sans dire un mot, vous faire pleurer, il est certainement un acteur formidable”, abonde Souad Elaj, l’une des nombreuses groupies de la série sur le Net.
Au-delà de la performance, Karim, c’est surtout un fils du peuple dans lequel beaucoup se retrouvent. Il ne peut pas compter sur un coup de pouce du destin, et subit de plein fouet l’injustice. C’est ainsi qu’à peine sa petite activité démarrée, le caïd lui confisque son outil de travail. Karim se révolte, une rixe s’ensuit, notre héros finit en prison, son destin bascule. La charge contre le Makhzen est là. Courageux, pour une série produite par Al Aoula.
Cougar et antihéros
De courage, il est beaucoup question dans cette série. Ainsi, la sœur de Karim est enceinte de son fiancé, qui l’abandonne. Mais pas sa mère, ni ses voisins, qui se solidarisent de cette future mère célibataire. Un joli message d’espoir sur un sujet encore tabou. La fille de Lalla Mama, quinquagénaire mariée, trompe l’ennui en se prenant un “sahib” d’au moins vingt ans son cadet. Et l’assume. Karim devient un homme détestable, manipulateur, qui renie sa mère, chasse les habitants d’un bidonville par la menace physique… et pourtant il reste attachant. “Dans un pays où l’ascenseur social est bloqué au rez-de-chaussée depuis des lustres, la destinée de Karim, qui décide de se prendre en main et d’utiliser son intelligence pour se faire sa place au soleil, ne peut laisser personne indifférent”, explique Zakia Tahiri, qui a commencé ce travail en 2014. Et d’ajouter : “Le public aime ces personnages de battants qui savent retourner à leur avantage les situations les plus délicates.”
Dans ces audaces de traitement qui ne choquent pas, dans ces nuances qui ne rebutent pas, dans ces oppositions et ces choix jamais caricaturaux, reposent les recettes du succès de Rdat Lwalida. Enfin, les téléspectateurs ne sont pas pris pour des idiots, et les thématiques abordées sont proches de leur réalité : chômage, lutte de classes, argent, pouvoir, corruption… Bien sûr, avec un budget de moins de 10 millions de dirhams, la série n’est pas parfaite, le jeu des acteurs est inégal, et certaines ficelles trop grosses. Mais le scénario tient assez en haleine pour faire oublier les petits loupés. Le bilan chiffré est là pour le prouver : Rdat Lwalida culminait en première position des tendances YouTube Maroc de la semaine du 8 janvier 2018, et après le feuilleton marocain Moummou Aaynia et le JT en arabe de 20h30, la série occupe la troisième place des programmes les plus regardés sur la première chaîne. Les demandes en mariage envoyées aux actrices de la série depuis Manchester, Madrid, Dubaï ou même Tokyo sont aussi de solides arguments pour vous inciter à découvrir cette perle du petit écran.
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