Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) publie un rapport de 116 pages, consulté en exclusivité par TelQuel, dans lequel il livre une nouvelle vision pour le développement industriel du Maroc. « La mise en place de stratégies sectorielles, si elles ont permis d’induire une dynamique économique et sociale dans certains cas, manque toutefois de cohérence dans le cadre d’une vision économique globale, ce qui constitue un frein à leur mise en œuvre effective », résume le rapport au sujet des Plans Émergence (2009-2015) et d’accélération industrielle (2014-2020).
« Si ce constat est aujourd’hui communément admis, aucune réponse de fond n’y est apportée« , précise le document rédigé par la commission des affaires économiques et des projets stratégiques au sein du CESE — présidée par Ahmed Rahhou.
Le CESE appelle ainsi à un changement de paradigme dans la conception de nos stratégies de développement et à une rupture totale par rapport au passé. Alors que l’actuel Plan d’accélération industrielle mise sur les avantages comparatifs en termes de coûts de production pour attirer des industriels étrangers — et ainsi atteindre ses objectifs de création de 500.000 emplois industriels et de porter le PIB industriel à 23 % d’ici fin 2020 —, le CESE pointe une composante mondiale que n’intègre pas la stratégie portée par Moulay Hafid Elalamy: l’industrie 4.0.
« L’industrie 4.0 devra dépasser les coûts de production attractifs (compétitivité-prix) et intégrer les éléments qualitatifs (compétitivité dite hors prix) comprenant les dimensions sociales et celles liées au développement durable« , souligne le rapport.
Exit les bas salaires, avantages fonciers et autres dérogations fiscales, « la capacité d’innover à un rythme accéléré sera le facteur le plus important pour différencier le succès des pays et des entreprises« , explique l’étude.
Cette nouvelle révolution industrielle passe notamment par la robotisation. Le CESE relève notamment que 47 % des emplois seront menacés par les nouvelles technologies et que 60 % des métiers qui seront exercés en 2030 n’existent pas encore actuellement.
Or, « la digitalisation, la robotisation, les objets connectés, l’impression 3D, n’ont pas encore fait leur véritable entrée dans l’industrie marocaine et les projections actuelles ne donnent pas de visibilité quant à une probable inversion de tendance à court terme« , pointe le CESE, comme si le Maroc regardait le train passer.
L’instance dirigée par Nizar Baraka propose de revoir tout le système du travail : de l’éducation et la recherche à la formation professionnelle, en passant par le statut des organisations syndicales et la réglementation du travail qui doit être complètement dépoussiérée.
Car si la robotisation est synonyme de destruction d’emplois, elle peut être également une opportunité pour la création en masse d’emplois d’un nouveau genre. « La formation doit aller au-delà de l’acquisition du savoir et des métiers, et intégrer le renforcement des capacités d’adaptation et d’apprentissage tout le long de la vie, avec des possibilités de changement de métier et de repositionnement sur le marché du travail« , souligne le rapport qui note aussi qu’un jeune scolarisé aujourd’hui devra changer jusqu’à 7 fois d’emploi dans sa vie.
Une flexibilité qui devra être encadrée, selon le CESE, par un nouveau Code du travail qui protège les droits fondamentaux. Ce chantier devra toutefois être complété par des accords négociés par branches pour s’adapter aux spécificités de chaque secteur.
Dans ce contexte, le Conseil propose aussi une révolution du système de protection sociale qui doit selon lui s’élargir à tous les citoyens, condition sine qua non pour prévenir une explosion sociale et libérer les énergies qui assureront le développement industriel.
« Jusque-là, la protection sociale était vue comme une conséquence du développement. Elle devient aujourd’hui un prérequis pour réaliser ce développement. C’est un changement de paradigme qui doit s’opérer« , nous explique Bachir Rachdi, le rapporteur de la Commission des affaires économiques et projets stratégiques du CESE, et cheville ouvrière du rapport.
Pour s’adapter rapidement à ces changements, le CESE préconise notamment la création d’un Conseil national de l’industrie, qui sera une sorte de centre de réflexion et de pilotage de la politique industrielle. Des missions qui ne doivent plus relever du seul ministère de l’Industrie, mais qui doivent incomber directement au chef du gouvernement.
Idem pour l’investissement, domaine que le CESE propose de rattacher au chef de l’Exécutif, avec comme instrument institutionnel l’actuelle Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE), et des CRI (Centre régional d’investissement) réformés.
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