TelQuel Arabi: Où en sont les tractations pour trouver des remplaçants aux ministres limogés? Qu’est ce qui justifie ce retard?
Nabil Benabdallah: Effectivement, il y’a du retard et notre souhait au PPS est que les ministères vacants soient pourvus. J’insiste sur le fait que nous avons assumé nos responsabilités dans ce sens et soumis des noms pour remplacer les ministres remerciés après notre décision de continuer à faire partie du gouvernement.
Certains font le lien entre ce retard et le manque de compétences au sein de votre parti. Qu’en dites-vous?
Il s’agit pour moi d’un débat creux. Le PPS, comme d’autres partis marocains, regorgent d’assez de compétences pour diriger des ministères et des établissements publics.
Et même si on suppose qu’il y a un problème de compétences, le problème aurait pu être résolu en quelques heures, voire en quelques jours, pour dépasser cet obstacle. La scène politique nationale a besoin d’une nouvelle dynamique, surtout en ce qui concerne les orientations politiques générales.
Il faut recomposer ce gouvernement car le vide permet toutes sortes de dysfonctionnements. Ce remaniement ne doit pas faire abstraction de l’existence de partis forts. Nous devons aussi capitaliser sur l’évolution réalisée par le Maroc après l’adoption de la Constitution de 2011.
Saâd Eddine El Othmani vous a-t-il réellement demandé de lui fournir d’autres noms que ceux que vous aviez proposés?
D’expérience, les noms proposés pour occuper des ministères ont toujours fait l’objet de débats entre tous ceux impliqués dans la formation d’un gouvernement. Avec Saâd Eddine El Othmani, nous avons débattu des profils capables de diriger certains départements ministériels et je lui ai soumis une liste incluant les meilleurs profils du PPS. J’attends toujours sa réponse.
Pourquoi ce blocage persiste-t-il alors?
Je le répète: même si un nom est proposé pour diriger tel ou tel département, la solution aurait pu être trouvée en quelques heures en trouvant des alternatives. Aujourd’hui, le plus important est de dépasser cette phase d’attentisme dans les meilleurs délais.
Lors du blocage, avec Benkirane, il y avait de la communication et nous étions tenus au courant de l’avancée des tractations. Aujourd’hui, ce sont les fuites et les rumeurs qui prennent le dessus. Pourquoi ?
La personnalité des protagonistes a toujours un rôle déterminant. Mais il vaut mieux ne pas parler de personnes et adopter une approche institutionnelle. Le plus important est que les tractations aillent de l’avant dans le respect de toutes les composantes et de toutes les institutions que ce soit le gouvernement, le Parlement avec ses deux chambres ou les partis politiques.
Nous avons besoin d’institutions fortes et il est impossible d’en avoir sans la crédibilité et sans le respect du peuple. Aujourd’hui, ce que je considère comme le plus dangereux, en parallèle avec les tractations, est cet acharnement très violent contre les organisations politiques au-delà des instigateurs de ces attaques et de leurs motivations. Nous ne pouvons pas parler d’expérience démocratique sans un gouvernement fort et à l’écoute du peuple, et des partis qui jouissent de la liberté de prise de décision. Il est important de s’éloigner du culte du « moi » que tout le monde cherche à consacrer au sein des partis politiques.
Au PPS, et au sujet des tractations, nous avons décidé de laisser de côté les batailles marginales, le sensationnalisme et les débats stériles. Le plus important est de préserver la dynamique lancée avec la Constitution de 2011 et éviter toute régression quant aux chantiers de réforme initiés par le roi depuis le début de son règne.
En tant que partis politiques, vous avez aussi votre part de responsabilité même si vous affirmez que des choix vous ont été imposés. Cela étant, vous suggérez que l’on vous tient responsables pour des décisions que vous n’avez pas prises…
C’est exactement ce qui arrive. Nous ne pouvons en aucun cas demander des comptes aux institutions constitutionnelles pour des choix qui leur ont été imposés. On ne peut pas construire une expérience politique, quelle qu’elle soit, sans des partis forts et crédibles. Et surtout indépendants. Pour consacrer cette indépendance, il faut laisser aux partis la liberté de prendre leurs décisions qu’ils soient de droite, de gauche, du centre ou à référentiel islamiste, et qu’ils puissent entrer en concurrence pour gérer la chose publique.
Il est injuste de réduire les partis politiques à la situation qu’ils vivent actuellement et après venir leur demander de s’acquitter d’un rôle pour relever les grands défis. Même pour commettre des erreurs, les partis ne sont pas libres dans la prise de décision.
Si nous voulons vraiment continuer à profiter de la dynamique démocratique de notre pays, il faut renouer avec le même état d’esprit qui a accompagné le lancement des grands chantiers économiques, politiques et sociaux au début du règne du roi Mohammed VI. Et, là encore, cela ne pourra pas se faire sans des partis politiques forts et des institutions constitutionnelles capables de remplir les vides devenus trop nombreux dans la société et dont le cercle risque de s’agrandir.
Ne voyez-vous pas que toutes les composantes de la scène politique sont en déphasage avec les attentes des Marocains?
Je ne dis pas le contraire et c’est pour cela que je dis qu’il faut faire attention aux dérives actuelles. La situation que nous vivons n’est pas du tout rassurante.
Pour se ressaisir, il faut d’abord laisser les partis régler leurs affaires de manière indépendante, s’ouvrir à de nouvelles générations en interne et non imposées de l’extérieur et qui soient capables de porter les problèmes du peuple, jouer les médiateurs et avoir l’écoute des citoyens.
Aujourd’hui, la crédibilité des partis a pris un sérieux coup. Ils ont perdu en termes de confiance. Ils doivent assumer leur part de responsabilité car certains ont accepté de suivre la voie qui leur a été tracée. La principale raison est qu’on ne leur a pas laissé la liberté de décider et de définir leurs orientations en toute indépendance.
Nous sommes devant une panne et il est urgent de donner un coup de pouce à la vie démocratique. Les partis doivent reprendre l’initiative et proposer des solutions structurelles pour l’évolution de la scène politique nationale. Pour remédier à la situation actuelle, il faut qu’on se dise la vérité en face et qu’on permette une vie politique libre. C’est ce choix que nous avons adopté au PPS dans le cadre d’un respect total des institutions.
Si le blocage actuel dure jusqu’à la tenue de votre congrès national en mai prochain, remettriez-vous en cause votre participation au gouvernement?
Je n’imagine pas cette situation durer jusqu’à la mi-mai, sinon on se retrouverait face à une grande problématique pour notre pays.
Lors de la session extraordinaire du Comité central de votre parti, vous aviez annoncé avoir reçu un contact en haut lieu vous demandant de maintenir le PPS au gouvernement avec les mêmes portefeuilles.
Nous nous sommes acquittés de notre devoir, nous avons réagi de manière positive et évité toute réaction subjective. Le PPS, malgré les critiques dont il a fait l’objet, reste le parti de la responsabilité et de l’équilibre qui privilégie d’abord l’intérêt du pays. Depuis le gouvernement Youssoufi, nous avons toujours fourni des compétences: Ismaïl Alaoui, Omar El Fassi, Said Essaâdi, Khalid Naciri, Nouzha Skalli, Abdelouahed Souhail, Abdeslam Seddiki, Lhoussaine Louardi, Charafat Afailal et Amine Sbihi.
Je le répète pour la énième fois: tous ces noms sont des compétences. Et nous en avons par dizaines au parti. Nous avons assumé nos responsabilités et attendons de pouvoir continuer sur la même voie et renforcer l’expérience démocratique du Maroc sur la base de la Constitution de 2011. C’est un choix irréversible. En résumé, nous avons fourni des efforts et attendons l’occasion de dépasser cette phase le plus tôt possible.
Pensez-vous que votre parti paie le prix de son alliance avec le PJD et surtout de votre relation avec Abdelilah Benkirane?
C’est évident. Ce que nous avons vécu ces dernières années montre que nous avons payé le prix de nos positions. Nous avons assumé et assumerons la responsabilité de nos approches, de nos alliances et de nos positions. Dans l’histoire du parti, nous avons vécu plusieurs phases où nous avions payé le prix de notre attachement à nos orientations et à nos positions en toute indépendance. Nous allons continuer sur la même voie, avec le respect nécessaire dû aux institutions du pays et la nécessité de les préserver par la démocratie et les réformes.
Actuellement, où en êtes-vous dans les tractations avec Saâd Eddine El Othmani?
Il y a eu un contact, en fin de semaine dernière (entretien réalisé le 9 janvier, ndlr), avec le Chef de gouvernement et le contact est maintenu entre nous. Mais, jusqu’à maintenant, il n’y a pas de nouveau et nous n’avons été informés de rien.
Vous avez déclaré que le rapport de Driss Jettou sur les projets d’Al Hoceima n’était pas sacré. Avez-vous préparé une réponse aux remarques relevées dans ce rapport quant aux ministères dirigés par votre parti?
Nous avons déclaré dans un communiqué officiel du Bureau politique, et dans le cadre du respect dû aux décisions émanant du roi, que les ministres du PPS s’étaient acquittés de leur devoir. Nous avons été au rendez-vous à chaque fois qu’il était question des grandes orientations qui guidaient notre action que ce soit pour la santé, l’habitat et l’équipement, la culture ou encore les secteurs de l’emploi et de l’eau.
Ce que nous avons accompli lors des précédents gouvernements témoigne des performances des ministres du PPS, des cadres honnêtes et compétents dont j’ai cité quelques noms avant.
Lors d’une dernière réunion officielle, une présentation a été faite du bilan de tous les ministères impliqués dans les projets d’ « Al Hoceima Manarat Al Moutawassit ». Pour le secteur de la Santé, le taux de réalisation a atteint 100% avant fin 2017, soit deux ans avant le délai fixé à 2019.
C’est une autre preuve que nous nous sommes acquittés de notre devoir et dans les délais impartis. A l’époque, nous ne voulions pas polémiquer avec Driss Jettou, mais nous avions dit que son rapport n’était pas sacré. L’expérience démocratique marocaine doit permettre à toutes les parties de donner leurs versions, défendre leur dignité, leur action et leur bilan.
La conscience des ministres du PPS est tranquille. Le reste est lié aux considérations de certains observateurs qui savent que le parti a assumé sa responsabilité et payé le prix de ses positions. Pas plus.
Quel était votre sentiment au moment où vous aviez pris connaissances des décisions prises après la présentation du rapport de Driss Jettou?
Jusqu’à aujourd’hui, le parti n’arrive pas à comprendre, ni à digérer la chose. C’est pour cela que nous avons eu un débat intense au sujet de la participation au gouvernement. Après une période difficile , et guidés par le sens des responsabilités, nous avons décidé de rester au sein du gouvernement jusqu’à nouvel ordre.
(Traduction: Mohammed Boudarham)
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