Abdellatif Zaghnoun veut tourner les sombres pages de l’histoire de la CDG. Pour de bon. De son bureau, avec une vue imprenable sur Rabat, le DG de la « vieille dame » expose sa vision pour l’avenir. Elle est déclinée dans la stratégie 2022 du groupe, conçue avec l’aide du cabinet de conseil Roland Berger.
La Caisse veut se recentrer sur ce qu’elle sait faire de mieux, se délester de sa mission d’opérateur-consommateur de fonds propres, et assurer des missions d’expert, de cofinanceur et d’investisseur.
Le défi de cette mutation s’accompagne d’un autre défi, tout aussi important : réduire le nombre de filiales du groupe (146) à une taille plus acceptable. Laquelle? « Si nous atteignons une réduction de 30 à 35% à terme, ce sera une très bonne chose. C’est un processus déjà engagé« , nous révèle Abdellatif Zaghnoun.
Les anciens hôtels du CIH, que la CDG a récupérés dans le cadre de la restructuration de la banque, seront par exemple cédés. Zaghnoun n’espère pas seulement dégraisser le mammouth, il assure que la voilure d’investissement du groupe sera maintenue. Son dada ? L’agro-industrie, dans laquelle il veut engager la CDG.
Telquel: Très peu d’informations filtrent sur la situation de la CDG aujourd’hui. Est-ce une discrétion voulue ou imposée?
Abdellatif Zaghnoun: Il y a un temps pour la réflexion et l’action et un temps pour la communication. Je préfère communiquer sur du concret, c’est ma façon de faire. Depuis que j’ai été nommé à la tête de cette institution, un important travail de diagnostic a été mené. Un travail profond, objectif et collaboratif pour caractériser la situation et bien connaître nos points forts, qu’il faut consolider, et ceux à améliorer. Ce travail a duré plus de six mois pour aboutir à une stratégie à l’horizon 2022.
Qu’avez-vous retenu comme urgence après ce diagnostic ?
Pour répondre à cette question, il faut rappeler les missions originelles de la CDG à sa création en 1959 et qui consistaient en la mobilisation et la sécurisation de l’épargne nationale réglementée. Au fil des années, ses missions se sont élargies vers l’investissement de long terme au service du développement économique du royaume.
Aujourd’hui, cette mission duale de sécurisation de fonds à caractère privé et d’investissements stratégiques constitue l’élément fondamental de l’identité de la CDG. L’exercice permanent de l’équilibre entre ces deux aspects de notre action nous permet d’assurer la pérennité de notre modèle économique.
C’est ce que nous avons fait durant la phase de diagnostic: questionner le modèle pour le pérenniser. Ce travail a montré qu’il faut agir à plusieurs niveaux. D’abord par rapport à l’existant, en opérant un recentrage au niveau d’un certain nombre d’activités, tout en adaptant nos orientations et choix stratégiques aux enjeux économiques du royaume.
Quels sont ces enjeux selon vous ?
Le premier concerne le modèle économique du Maroc. Notre modèle actuel est consommateur d’investissements et peu créateur d’emplois. C’est le cas quand on investit dans les infrastructures. Ce sont des projets qui consomment énormément de ressources mais créent peu d’emplois durables au regard des investissements consentis. Aujourd’hui, il faut rentabiliser ces projets pour aller vers d’autres qui créent plus de valeur et d’emplois.
Quels projets faudrait-il privilégier pour créer plus d’emplois?
Il faut aller vers des métiers qui créent de la valeur, notamment l’industrie. Le taux de transformation des produits agricoles au Maroc par exemple n’est pas très élevé par rapport à d’autres pays.
Or, nous exportons d’importantes quantités de produits bruts vers l’Europe. Pourquoi ne pas transformer une partie de ces produits localement ? C’est ce qui va créer de la valeur ajoutée. Nous comptons donc investir dans l’agro-industrie, domaine dans lequel nous sommes peu présents aujourd’hui.
Il y a aussi le secteur des énergies renouvelables. Le pays s’est fixé des objectifs ambitieux à ce niveau, il y a toute une industrie à créer et nous, nous pouvons être un acteur structurant sur le plan financier. Les NTIC nous intéressent aussi. Ils contribuent à la création d’emplois de qualité.
Vous estimez que la régionalisation avancée présente d’importants enjeux économiques. Comment la CDG peut-elle accompagner ce chantier?
En tant que partenaire et accompagnateur des régions dans la mise en œuvre de leur plan de développement stratégique. Nous pouvons leur apporter l’expérience et l’expertise nécessaires, dont certaines ne disposent pas forcément.
Nous avons une expérience cumulée de près de 60 ans dans l’aménagement des zones industrielles, des agropôles, des zones d’activité, des zones franches. Nous pouvons accompagner les régions en assurant la maîtrise d’ouvrage déléguée. C’est ce que nous faisons dans la région de Kénitra : l’Etat, à travers le ministère de l’Industrie, nous a demandé d’intervenir pour la réalisation de la zone industrielle destinée à PSA.
C’est une reconnaissance de l’Etat de l’expertise de MedZ. Un autre exemple plus récent est celui de la signature d’un partenariat d’accompagnement avec la région de Marrakech–Safi.
En simplifiant, la nouvelle vie de la CDG est-elle une vie de société d’investissement ?
Nous revoyons notre positionnement par rapport à nos modes d’intervention. Initialement, nous étions un opérateur, c’est-à-dire présents à tous les stades opératoires des projets. En allant de l’acquisition de foncier, de son apurement jusqu’à la conception, développement, commercialisation et même gestion.
Ce mode d’intervention est consommateur de fonds propres. Comme pour le projet de la ville nouvelle de Zenata. Tout le foncier est porté par le Groupe CDG. C’est un projet sur au moins 30 ans, donc avec une rentabilité différée. Si nous continuons à porter des projets de cette manière, nous augmentons notre exposition et limitons notre capacité d’intervention.
Nous voulons réduire notre caractère d’opérateur au profit d’un mode d’expert pour le compte de l’Etat et des collectivités territoriales, et d’un mode de cofinanceur des collectivités territoriales et des PME, et enfin d’un mode d’investisseur stratégique dans des secteursclés de l’économie.
Quelle est la situation financière de la CDG à ce jour ?
La CDG a investi dans des actifs diversifiés, ce qui lui permet d’avoir une résilience même quand certains secteurs sont en difficulté, comme l’immobilier ou le tourisme. Il ne faut pas oublier que la CDG est un investisseur long-terme, engagé sur des projets à rentabilité différée, et qui oblige à faire une lecture spécifique de nos indicateurs financiers.
Ceci dit, les dépôts au 30 juin sont de l’ordre de 109 milliards de dirhams, une augmentation de 39 milliards par rapport à 2012. Les dépôts se font donc de manière continue. La moyenne des cinq dernières années du résultat net est de 417 millions de dirhams au niveau social, et 810 millions au niveau consolidé.
Les fonds propres s’élèvent à plus de 20 milliards de dirhams, en augmentation de 5,5 milliards par rapport à 2012. Ceci montre que les résultats sont satisfaisants et nous aspirons d’ailleurs à les améliorer, grâce justement à nos nouveaux modes d’intervention.
Tout un travail d’audit a été fait, c’est bien qu’il y avait un problème quelque part, notamment financier. Estimez-vous aujourd’hui que la situation soit bonne?
Oui, la situation financière de la CDG est bonne, sachant que, comme je l’ai dit, nous sommes aussi sur des projets dont la rentabilité est différée. Nous assumons une mission d’intérêt général. Nous sommes parfois engagés sur des projets dans des régions qui ne sont pas attractives pour les investisseurs. C’est le cas dans le nord. Nous sommes présents à Al Hoceïma, Nador, Berkane, Saïdia… Nous devons investir pour créer un cadre attractif pour d’autres investisseurs et ouvrir la voie au privé. Nous ne pouvons pas faire une lecture purement financière de notre activité.
La CDG compte 146 filiales, dont quelques-unes sont en difficulté. Envisagez-vous de délester l’institution de certaines d’entre elles ?
Il n’est pas question de réduire la voilure de nos investissements et de nos activités. Au contraire, nous allons continuer à investir mais autrement. Le groupe consolide 146 entités dans ses comptes, mais il n’y a qu’une centaine d’entités qui sont consolidées globalement, c’est-à-dire qu’elles sont contrôlées par la CDG.
Le reste constitue des participations minoritaires du Groupe CDG, où notre position capitalistique nous permet d’avoir une influence sans toutefois avoir de contrôle sur la gestion de ces entités. Sur ces 100 filiales, seules une cinquantaine disposent d’un personnel.
Aujourd’hui, nous souhaitons agir sur cette centaine-là en procédant à des fusions ou regroupements de filiales là où c’est nécessaire. Dans ce sens, nous venons de créer deux branches. C’est une modification apportée à notre organisation. Il y a une branche développement territorial et une branche développement touristique. Ces deux branches vont donc être rationalisées pour atteindre au final une taille optimisée.
Qu’est-ce qui a changé depuis le scandale de la CGI ? Comment cela a-t-il impacté le groupe et son personnel ?
L’affaire de la CGI est en cours de jugement, je ne peux donc pas la commenter. Elle a peut-être impacté notre activité ainsi que les collaborateurs. C’est humain. Mais je vous rassure, tout ça est derrière nous. Nous avons d’ailleurs entamé, au niveau de la CGI, la mise en place d’un plan de restructuration opérationnel et financier, dont nous devrions voir les premiers résultats dès 2018. Dans une vie d’entreprise, il y a des hauts et des bas, et nous essayons de tourner cette page.
La Cour des comptes pointe le problème du conseil de surveillance, qui n’a qu’un rôle consultatif et pas de droit de regard, ce qui pose des problèmes de gouvernance. Comment comptez-vous améliorer la gouvernance d’un mastodonte comme la CDG ?
Il est vrai que les textes de la CDG n’ont pas bougé depuis sa création. Nous voulons ouvrir ce chantier pour adapter les textes à l’évolution de notre activité, qui passe d’une mission de gestion et de mobilisation de fonds à une mission d’investissement. Et puis, nous devons mener une réflexion sur nos organes de gouvernance, qui nécessitent une adaptation aux standards internationaux. Nous ferons des propositions, mais ce sera au législateur de trancher.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que la CDG est la caisse dans laquelle puise l’Etat en lui demandant d’investir dans des projets sans logique et sans contrôle?
Ça reste une perception. Notre mission de par les textes nous impose une gestion rigoureuse des fonds qui sont mis à notre disposition. C’est ce qui a toujours été fait. Chaque année, nous rémunérons les fonds qui ont été déposés en réalisant les meilleures performances de la place. Ensuite, nous sommes soumis à la loi bancaire depuis 2006, avec tout ce que cela entraîne en termes de respect de ratios prudentiels. De plus, nous avons instauré des règles très strictes pour nos investissements : à partir d’un seuil défini, tous les projets concernés sont examinés en comité stratégie du groupe. Nous avons par ailleurs fixé un autre seuil plus élevé, à partir duquel les projets d’investissement sont soumis à la commission de surveillance.
Certains projets, comme Saïdia, ont été lourds à porter pour le Groupe CDG…
On ne peut pas nous comparer à des établissements privés. D’ailleurs, même pour les ratios prudentiels, nous sommes en train de travailler avec la banque centrale pour mettre un cadre adapté. Quand on intervient dans des régions reculées avec des problèmes d’attractivité, ça relève de nos missions d’intérêt général. Si nous ne le faisons pas, qui va le faire ? Le Maroc doit évoluer. Les deux stations qui marchent bien dans le Plan Azur sont celles qui sont prises en charge par la CDG.
Vous estimez que Saïdia marche bien ?
Je parle en termes de développement. Ce que nous avons fait depuis que nous avons repris le projet, c’est essentiellement du développement de capacité, avec toutes les infrastructures d’animation nécessaires.
La station de Saïdia dispose aujourd’hui d’une capacité litière de 5000 lits. En plus de deux entités hôtelières déjà opérationnelles, nous venons d’en livrer deux nouvelles et nous en livrerons une autre l’été prochain.
Nous estimons que notre mission est terminée en termes d’émergence de la station. Mais ce genre de projet nécessite un accompagnement de l’Etat et de tous les acteurs concernés. Il faut améliorer la connectivité aérienne, assurer la promotion de la station, désenclaver, ouvrir la station sur l’arrière-pays…
Quand il y a restructuration, souvent un plan social l’accompagne. Est-ce prévu ?
Non, pas de plan social. Nous prévoyons plutôt d’opérer des optimisations localisées. Nous allons nous positionner sur de nouveaux métiers. Les besoins pour accompagner les projets des douze régions par exemple sont énormes. Si je prends l’exemple de MedZ, il lui sera impossible de faire face à une telle demande avec ses ressources actuelles!
Nous nous orientons donc au contraire vers de la création d’activité. D’ailleurs, au vu de la taille de notre groupe et moyennant évidemment des sessions de formation et de perfectionnement adaptées, il est certain que toutes nos ressources seront mises à contribution.
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