C’est acté. Après plusieurs années de revendications en Algérie, « Abdelaziz Bouteflika a annoncé sa décision de consacrer Yennayer journée chômée et payée dès le 12 janvier prochain, le gouvernement étant chargé de prendre les dispositions appropriées à cet effet ». C’est ce qu’on peut lire dans le communiqué de la présidence algérienne, publié mercredi 27 décembre, à l’occasion de la traditionnelle transmission des vœux à la veille de 2018, décrétée par ailleurs, « année de la célébration du patrimoine culturel amazigh ». Une grande première dans les pays d’Afrique du nord célébrant chaque 12 janvier cet événement.
Toutefois, Cette décision n’a pas été accueillie à bras-le-corps par la mouvance amazighe du voisin de l’Est. « En décrétant, Yennayer journée fériée, Alger ne cherche qu’à noyer le poisson et à faire oublier la féroce répression qu’il vient d’exercer contre les marches de la Kabylie en décembre » déclarait Zidane Lafdal, dirigeant du Mouvement pour l’autonomie kabyle (MAK) dans un communiqué en réponse à cette décision.
« Il faut rappeler que c’est une initiative de l’Etat algérien pour se racheter après la décision du législateur de voter contre l’enseignement généralisé de la langue Tamazight» estime Ahmed Assid, écrivain et chercheur à Institut royal de la culture amazighe (IRCAM).
En effet, des marches de contestations ont eu lieu, notamment en Kabylie et dans les Aurès en réaction au vote de la loi de Finances 2018. Suite au rejet d’un amendement pour renforcer l’enseignement du tamazight, le texte a été jugé « anticonstitutionnel » par les manifestants. Pour Ahmed Assid, il s’agit d’« un pas franchi mais dont l’objectif était de dissimuler ce qui s’est passé dans l’hémicycle algérien ».
Yennayer, vu du Maroc
Au Maroc, la promotion de Yennayer comme fête nationale est également revendiquée depuis de nombreuses années par la société civile. Côté formations politiques, plusieurs partis se sont dits favorables à son inscription dans la liste des jours non ouvrés. C’est le cas du MP, de l’USFP, du PPS, du PAM ou encore de l’Istiqlal qui avait annoncé en 2016 que le 12 janvier sera dorénavant un jour férié dans toutes les sections et inspections du parti.
Néanmoins, tout laisse à penser que 2018 ne sera pas l’année de concrétisation de cette demande. Interpellé par le député Abdallah Ghazi (UC) dans le parlement le 21 décembre, le ministre chargé de la réforme de l’Administration et de la Fonction publique Mohamed Ben Abdelkader a écarté cette possibilité.
Le responsable gouvernemental est bel et bien issu de l’USFP, dont le groupe parlementaire avait adressé une question orale au chef de l’Exécutif sur ce même sujet le 11 décembre. Mais Mohamed Ben Abdelkader s’est inscrit en faux, avançant qu’ « au lieu de parler d’année amazighe, il convient de parler d’almanach adopté par les Marocains, en particulier dans les zones rurales, pour célébrer la fin des récoltes et préparer la nouvelle campagne agricole ».
Le ministre délégué a ajouté au cours de son intervention que cette fête « correspond à un calibrage qui n’a aucune relation avec des calendriers comme le grégorien ou celui de l’hégire », avant d’évoquer le Conseil national des langues et de la culture marocaines ainsi que la Loi organique sur le caractère officiel de l’Amazigh – en attente de promulgation depuis 2011 – en mesure, selon lui, « de traiter éventuellement cette question ».
Selon le chercheur et membre de l’Ircam Ahmed Assid, le ministre « n’a fourni aucun effort pour réunir les éléments scientifiques et académiques appuyant son propos, ni pour connaître les raisons de ces festivités ». Sans rappeler l’ancrage historique de cette date, l’intellectuel engagé souligne que « le 12 janvier est célébré autant dans les foyers que dans des sièges de communes d’un ensemble de villes au Maroc comme à l’étranger, sans bénéficier d’une reconnaissance officielle ».
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Fête en suspens
Le tissu associatif marocain ne cache pas son scepticisme quant à l’inscription de Yennayer comme fête nationale, à l’instar de l’Algérie. « Ce qui est déplorable c’est que le Maroc a toujours été avant-gardiste par rapport à la diversité culturelle. Les algériens nous ont devancé cette fois-ci parce que notre gouvernement a perdu le sens politique » signifie Ahmed Assid.
Pour reprendre du poil de la bête, plusieurs militants ont répondu à l’appel du Rassemblement mondial amazigh, l’ONG regroupant des associations socioculturelles d’Afrique du Nord et de la diaspora, pour l’envoi de lettres à la Primature. Contenu des manuscrits : la demande de reconnaissance de Yennayer comme jour chômé et payé au Maroc. « La campagne est en cours dans l’ensemble des régions du pays. Sur les réseaux sociaux, des centaines de citoyens postent leur photos devant des boites à lettre » relève l’activiste amazigh Mounir Kejji.
Notre interlocuteur indique que l’actuel Chef du gouvernement, amazighophone et natif d’Inezgane dans le Souss, ne constitue pas un gage d’acceptation : « Ce n’est pas une question de filiation généalogique. Pour Saâdeddine El Othmani, c’est le volet religieux qui prime sur l’appartenance linguistique » suppose-t-il.
S’il reste persuadé que l’amazighité relève d’un enjeu stratégique entre le Maroc et l’Algérie, Mounir Kejji assure que les acteurs associatifs ne s’attendent pas à ce que l’Exécutif réponde favorablement à cette exigence de longue date. Du moins, pas pour cette année 2968 du calendrier amazigh. « Les festivités auront lieu comme chaque année, avec des galas artistiques et autres manifestations culturelles. La nouveauté cette année consistera à former une agora devant le parlement le samedi 13 janvier » conclue-t-il.
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