Nabila Mounib: "Le séisme politique est un maquillage" (1/2)

Le Hirak du Rif, le séisme politique, Adl Wal Ihsane... Autant de sujets sur lesquels nous avons interpellé la secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) qui prépare son congrès. Interview.

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Nabila Mounib Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

TelQuel Arabi: Comment voyez-vous la scène politique après le départ de Benkirane et Chabat et le séisme politique?

Nabila Mounib: l’échiquier politique marocain n’a pas évolué depuis des décennies. Ce qui a changé, ce sont les noms des partis. Les élites sont restées les mêmes que celles que connaissent les Marocains depuis longtemps.

Par exemple, l’éviction de Benkirane fait partie du jeu politique de l’État profond. Celui qui accepterait ce jeu subirait le même sort de Benkirane qui avait accepté de diriger le gouvernement avec des objectifs précis, mais qui avait complètement laissé de côté son programme quand il a pris la tête du gouvernement et non du pouvoir.

Vous suggérez que le PJD serait en train de subir le même sort que l’USFP?

Dans tous nos communiqués au PSU, nous avions mis en garde le PJD contre ce scénario. Quand vous participez à un gouvernement sans demander des garanties et une réelle séparation des pouvoirs, c’est sûr que vous allez subir le même sort.

Benkirane a accepté les mêmes règles du jeu pour participer au gouvernement, mais il a fini par s’apercevoir que toutes les portes allaient être fermées, à moins d’accepter les orientations et les directives auxquelles il avait fini par se soumettre.

Le même scénario se joue actuellement avec une autre personnalité. Benkirane avalait des couleuvres, mais envoyait des messages codés de temps à autre. Quant à El Othmani, son gouvernement a été formé en une semaine et il a accepté tout le jeu. C’est dire combien la politique est devenue misérable au Maroc.

La misère de la politique… est-ce la faute de la faiblesse des partis?

Nos élites politiques sont faibles et ne voient pas plus loin que leur nez. Ce que j’appelle les « élites de la honte ». Elles monopolisent la scène politique actuellement, et courent derrière les rentes.

Pour moi, il n’y a pas de main étrangère, mais il y a l’avidité et la course aux postes. Même des partis qui étaient considérés comme démocratiques ont intégré le jeu pour que les proches et les parents puissent être placés à des postes de responsabilité pour profiter d’une bonne retraite et des rentes qui vont avec.

À qui faites-vous allusion à qui exactement ?

Comment pourrait-on, par exemple, imaginer qu’un parti qui était porteur du Plan national d’intégration de la femme accepte de baisser l’âge de l’embauche des petites bonnes à 16 ans? Et accepter un Code pénal qui légitime les crimes d’honneur comme si la femme ne valait pas grand-chose? Nous sommes aujourd’hui en présence d’élites manipulées par l’État, et l’intérêt général passe à la trappe.

D’après vous, l’État serait-il en train d’appuyer un parti politique pour contrer le PJD?

Évidemment que oui! Le Makhzen avait et a toujours pour habitude de renouveler les moyens d’exercer son despotisme. Il avait mis le paquet, auparavant, sur le PAM qui avait échoué à remporter les élections, mais qui a réussi à faire un raz-de-marée dans le milieu rural qui croule sous la misère.

Dernièrement, le Makhzen nous a surpris en organisant un congrès du RNI dans des délais record pour qu’il joue un certain rôle dans les jours à venir. Au lieu des acteurs politiques affaiblis, on met au-devant les technocrates qui reviennent en force aux dépens d’élites politiques en froid avec le peuple.

Quelle lecture faites-vous des derniers séismes politiques ?

Dans les usages internationaux, on ne retrouve pas de notions de séisme ou de tsunami politiques. Tout ce qu’il y a, c’est la responsabilité et la reddition des comptes. Les limogeages ont l’apparence d’opérations d’esthétique alors que le véritable séisme politique devrait être le passage à une monarchie parlementaire et un changement sociétal qui devra passer par l’école et l’université, l’humain étant au centre de tout.

Voulez-vous dire que le PPS est visé ?

Je ne pense pas. Le PPS participe au gouvernement depuis l’Alternance et nous ne nous immisçons pas dans ses choix. Sa direction a fait un choix qu’elle doit assumer. Cependant, je pense qu’il a subi plus d’injustices que les autres partis. Si les limogeages avaient été consécutifs aux cafouillages des projets de « Al Hoceima, Manarat Al Moutawwasit », je dirais alors qu’il y a eu dépassement, parce que les vrais responsables n’ont pas été sanctionnés.

Il faut sanctionner ceux qui ont des licences de pêche en haute mer et ceux qui pêchent lors des périodes du repos biologique. Faute d’un État de droit, nous punissons quelques petits responsables et fermons les yeux sur ceux qui devraient l’être.

Qu’entendez-vous par là?

Le Hirak du Rif a dévoilé une mafia d’élus et de responsables. Tout le gouvernement est responsable de la mort tragique du martyr Mouchine Fikri et nous sommes en droit de poser la question sur ceux qui dirigent les grands chantiers dans ce pays.

La revendication d’une monarchie parlementaire est-elle possible dans la situation actuelle? Les partis sont-ils capables d’assumer leurs responsabilités?

Le Maroc ne manque pas d’élites, mais une bonne partie est dans une sorte de salle d’attente. Après les années de plomb, la culture de la peur a pris le dessus. Les compétences marocaines sont au service des grands laboratoires internationaux et dans tous les domaines. Elles n’ont pas de place au Maroc.

Si le Mouvement du 20 février avait réussi à arracher des acquis, des élites au Maroc comme à l’étranger auraient rallié un vaste mouvement de reconstruction. Malheureusement, les valeurs du savoir ont cédé la place à celles de l’allégeance et de la soumission. Dans ce contexte, notre mission est de continuer à saper le mur de la peur qui a été ébranlé par le Mouvement du 20 février.

Que pensez-vous du gouvernement El Othmani?

Ce gouvernement ne peut se targuer d’aucune réalisation. Il reproduit les mêmes choix que le gouvernement Benkirane: remettre en cause les libertés publiques, le pouvoir d’achat face à une Caisse de compensation qui stagne et une société qui vit toujours dans une grande misère.

Et le parlement?

Dans notre conception de la monarchie parlementaire, nous considérons que le parlement joue un rôle très important. L’exercice du pouvoir est cette capacité d’édicter des lois qui vont dans le sens des réformes, comme cela doit être le cas pour la réforme des impôts. Mais le parlement reste une institution bancale avec des élus analphabètes qui l’ont intégrée avec des moyens peu orthodoxes.

Et même quand le parlement adopte des lois au profit du peuple, le secrétariat général du gouvernement est là pour les enfermer et les oublier dans des tiroirs. Nous n’avons pas encore un parlement qui représente le peuple vu que la majorité des citoyens ne vote pas et que même ceux des partis qui engrangent le maximum de sièges ne peuvent avoir la majorité absolue. C’est l’une des armes du despotisme au Maroc.

Quelle valeur ajoutée apportent selon vous les députés de la FGD, Balafrej et Chennaoui?

Ils jouent un grand rôle en faisant entendre la voix du peuple via les questions orales et écrites malgré les contraintes du temps qui leur est imparti. Ils ont eu le mérite d’interpeller le gouvernement sur le Hirak du Rif et le drame d’Essaouira.

Des députés d’autres partis ont essayé de les copier sur le dossier de l’Éducation nationale par exemple, mais ils sont pieds et mains liés par la rente des postes, de la retraite des iPhone et iPad.

Les parlementaires de la Fédération sont plus proches des citoyens. Omar Balafrej fait des podcasts hebdomadaires pour expliquer au peuple ce qui se fait au parlement. Des élus d’autres partis lui disent qu’ils sont d’accord avec ce qu’il dit, mais… (sourire).

Dans le Rif, comme à Zagora, les mouvements de protestation demandent aux partis de rester à l’écart. Qu’en pensez-vous?

Avant, on parlait du peuple de gauche, mais cette notion a été dépassée. Dans tous les pays du monde, y compris au sein des démocraties, des courants appellent à une rupture avec les partis traditionnels.

Et au Maroc ?

Le Maroc ne fait pas exception. La corruption des élus a donné plus d’ampleur au Hirak du Rif et surtout que l’Etat est venu à bout des institutions d’intermédiation, dont les partis politiques. Il était donc normal que les partis soient qualifiés d’officines politiques où règnent des relations de gourous et d’adeptes.

À la Fédération, nous ne sommes pas concernés. J’ai été la première des secrétaires généraux de partis à visiter Nador, puis Al Hoceima. Nos communiqués de solidarité parlent pour nous. Nos jeunes reçoivent les familles des détenus et nos avocats se sont portés volontaires pour les défendre.

Nous n’avons pas fait tout cela pour glaner des voix, mais par respect pour cette éducation de gauche qui nous anime. Nous avons respecté l’indépendance du Mouvement du 20 février et nous agissons de la même manière avec le Hirak du Rif. La justice sociale ne peut être concrétisée sans démocratie. C’est pour cela que les revendications du Rif nécessitent des réponses politiques.

(Nour-Eddine Igajan, Editing: Mohammed Boudarham)

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