Si l’Afrique dispose d’énormes ressources provenant de ses sous-sols qui regorgent d’énergies fossiles, et d’un excellent potentiel dans le domaine des énergies solaires et hydrauliques, le continent reste pourtant profondément empêtré dans son déficit énergétique, avec 600 millions de personnes qui n’ont toujours pas d’accès à l’électricité.
Plus que jamais donc, l’approvisionnement en énergie devient un chantier prioritaire pour l’Afrique, à l’heure où la demande pour le continent progresse de 9% tous les ans. En marge des Atlantic Dialogues organisés par l’OCP Policy Center à Marrakech du 13 au 15 décembre,Telquel.ma a rencontré Francis Perrin, spécialiste des problématiques énergétiques à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), et chercheur-associé à l’OCP Policy Center. Pour lui, si la diversité des situations énergétiques en Afrique n’est pas forcément un obstacle, la coopération énergétique entre pays africains a encore des progrès à faire.
Telquel.ma : Comment la diversité des situations énergétiques des pays impacte-t-elle les relations entre les pays et les régions d’Afrique?
Francis Perrin : Le continent africain compte 54 pays et ceux-ci sont évidemment très différents à de multiples égards, y compris du point de vue énergétique. Ces différences portent sur leurs dotations en ressources, leur mix énergétique, leur caractère d’exportateur ou d’importateur, l’importance de leur consommation, la croissance de la demande, le développement des infrastructures énergétiques, leurs relations avec les compagnies étrangères, leur classement respectif en matière de risques économiques et politiques, etc.
Cette diversité n’est pas en soi un obstacle à une coopération énergétique renforcée entre pays africains, car elle apporte de la complémentarité. Mais la coopération suppose la confiance. Le secteur énergétique étant hautement stratégique, les États ne seront pas disposés à dépendre d’autres États avec lesquels ils entretiennent des relations difficiles. Cela explique en grande partie l’insuffisance de la coopération énergétique en Afrique, même dans des régions pourtant relativement homogènes comme l’Afrique du Nord par exemple.
Certes, il y a le gazoduc Transmed, qui relie l’Algérie à l’Italie via la Tunisie, et le gazoduc Maghreb-Europe, qui relie l’Algérie à l’Espagne en transitant par le Maroc, mais le potentiel de coopération énergétique dans cette région est très largement sous-exploité pour des raisons essentiellement politiques.
Dans le domaine énergétique, comme dans beaucoup d’autres, la coopération Sud-Sud n’est pas le réflexe le plus naturel. Les pays exportateurs d’hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) sont tournés d’abord vers le marché mondial en vue de valoriser leur production, en particulier l’Asie et l’Europe, plutôt que vers les marchés à l’intérieur du continent.
Si l’essor du continent africain dépend en grande partie de sa problématique énergétique, comment l’Afrique peut-elle relever ce défi?
Le défi du changement climatique est essentiel, mais il y a également d’autres défis environnementaux très liés aux questions énergétiques en Afrique. On peut citer par exemple la désertification du fait de l’utilisation du bois de feu et l’impact négatif sur la santé des populations de la consommation de certaines formes de biomasse traditionnelle.
Les défis de l’insuffisance de l’offre sont majeurs. Selon la BP Statistical Review of World Energy, la consommation d’énergie primaire du continent était de 440 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2016 sur un total mondial de plus de 13 milliards de tep, soit à peine plus de 3%. Le développement du continent impliquera une très forte augmentation de sa consommation énergétique en valeur absolue et par habitant.
Autre point crucial, plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Les défis énergétiques du continent incluent également la transition énergétique et le financement des projets et des infrastructures.
Répondre à des défis d’une telle ampleur implique une très forte volonté politique, des stratégies énergétiques nationales bien conçues, mises en œuvre avec constance sur le long terme, une coopération internationale et régionale beaucoup plus significative qu’aujourd’hui, la constitution des capacités stratégiques, institutionnelles et de gestion appropriées, la formation d’hommes et de femmes dans le secteur énergétique, et la capacité des pays à attirer les investissements requis.
Le Maroc met en oeuvre une stratégie énergétique ambitieuse de 52% d’énergie renouvelable à horizon 2030, dont la réalisation avance bien. Malgré cela, le taux de dépendance énergétique stagne autour de 95%. Comment expliquer ce taux si élevé? Le poids et l’influence du Maroc en Afrique dépendent-ils de son indépendance énergétique?
Le Maroc a effectivement une stratégie très ambitieuse en matière d’énergies renouvelables – en particulier le solaire et l’éolien -, et d’efficacité énergétique. Ces programmes donnent de fort bons résultats. Cela dit, avec ces énergies renouvelables, on produit surtout de l’électricité. Le marché des transports reste dominé de façon écrasante par les carburants pétroliers et ce sera encore le cas pendant longtemps.
Sur les neuf premiers mois de 2017, la facture des importations énergétiques du Maroc était de 50,5 milliards de dirhams, selon les statistiques de la Bank al-Maghrib, contre 39,3 milliards pour 2016.
Cette hausse de plus de 28% en un an est surtout la conséquence de la forte augmentation des prix du pétrole. Rappelons que le déficit commercial du Maroc était de 140 milliards de dirhams entre janvier et septembre 2017. Cette situation ne peut pas changer rapidement.
En termes de sécurité, d’équité et de durabilité énergétiques, l’Afrique est à la traîne. Le Maroc par exemple est classé 80e sur 125 pays selon l’indice World Energy Trilemma 2016. Pourquoi est-il nécessaire de prendre en compte ces indicateurs dans la transition énergétique africaine?
Le World Energy Trilemma a été mis au point par le Conseil mondial de l’énergie (CME), qui est basé à Londres et qui regroupe des représentations professionnelles dans plus de 90 pays. Reconnu par les Nations unies, le CME a créé cet indice qui permet de tenir compte de trois dimensions clés liées au secteur énergétique: la sécurité, l’équité et la durabilité (soutenabilité environnementale).
La première renvoie à la capacité des fournisseurs d’énergie à satisfaire la demande existante et future, la seconde à l’accessibilité à l’énergie (accessibilité physique et financière) et la troisième au développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables et non carbonées.
Pour 2017, parmi les dix pays les mieux classés figurent neuf pays européens et la Nouvelle-Zélande. Sur 125 pays, 15 sur les 20 derniers sont en Afrique subsaharienne. Le CME souligne que la question clé pour cette région est l’accès à l’énergie puisqu’en 2014 près de 65% de la population de l’Afrique subsaharienne n’avaient pas accès à l’électricité.
Du fait de l’absence de réseau électrique national desservant la quasi-totalité de la population, comme c’est le cas dans les pays développés, le CME met l’accent à juste titre sur l’indispensable développement des solutions hors réseau et la place que les énergies renouvelables peuvent occuper dans cette évolution.
Tout indice, et tout classement sont évidemment discutables et critiquables, car il est redoutablement difficile de tenter de synthétiser et de quantifier des réalités aussi complexes. Mais l’intérêt de cet indice est de souligner que les pays doivent s’efforcer de trouver un équilibre entre ces trois dimensions capitales. L’Afrique, notamment la partie subsaharienne, en est encore très loin.
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