Joan Clos: "Dans la réalité africaine, l'urbanisation au Maroc est un exemple"

Lors du 2e Forum ministériel arabe pour le logement et le développement urbain à Rabat, Joan Clos, directeur exécutif d'ONU- Habitat, discutera avec des délégations ministérielles ainsi que plus de 300 participants sur les moyens de mettre en oeuvre le nouvel agenda urbain dans la région arabe.

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Joan Clos, directeur exécutif d'ONU Habitat à Rabat. Crédit: AFP

Plus de 300 participants, dont des délégations ministérielles de 20 pays arabes, seront réunis autour de Joan Clos, directeur exécutif d’ONU-Habitat à Rabat du 21 au 22 décembre, lors du deuxième Forum ministériel arabe pour le logement et le développement urbain.

Le but: discuter de la mise en oeuvre, dans la région arabe, du nouvel agenda urbain d’ONU-Habitat fixé lors de la conférence de Quito en 2016. L’objectif de développement durable est de « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables« .

Joan Clos, ancien maire de Barcelone qui a notamment travaillé à un programme de récupération de la médina de Tétouan, va profiter de ce nouveau voyage pour discuter avec les responsables politiques de la région.

Telquel.ma: Vous êtes ici pour le deuxième Forum ministériel arabe pour le logement et le développement urbain à Rabat. Quels sont les enjeux spécifiques à la région du Moyen-Orient ?

Joan Clos: Nous devons améliorer de façon urgente et effective l’urbanisation. La région arabe est très diverse, avec des pays plus ou moins riches, plus ou moins urbanisés. Les problématiques sont souvent similaires: régler le problème des bidonvilles, réfléchir au manque d’eau et à la sécheresse, ainsi qu’à tous les problèmes de changement climatique, et se pencher sur le taux de chômage des jeunes. Une bonne urbanisation pourrait être un instrument pour générer des politiques d’emploi.

Enfin, il faut faire face au problème d’accès au logement pour toutes les familles. C’est une région qui s’urbanise très rapidement, dont la population est jeune. La grande demande de croissance de l’urbanisation vient du nombre croissant de familles qui migrent en ville pour chercher à améliorer leurs conditions de vie.

Par rapport aux pays de la région, comment considérez-vous l’urbanisation au Maroc ?

Le Maroc a adopté une politique très courageuse et créative sur le thème du logement public et abordable, qui lui a permis de faire un saut très important les 5 à 10 dernières années. Les logements bien construits ont augmenté, avec de bons standards de qualité et disponibles à un prix raisonnable.

Le Maroc pourrait-il alors être un modèle pour ses voisins arabes ou africains ?

En urbanisme, le modèle n’est pas vraiment transposable. Il est le fruit d’une législation, qui est politique, et elle naît d’une négociation entre les groupes politiques du pays. Cependant, il est intéressant d’étudier comment certains pays ont géré leurs problèmes. Par exemple, le Maroc a mis un impôt sur le ciment qui permet la construction de logements abordables. Une association public-privé a aussi été constituée pour que participe le secteur privé. Tout cela est le fruit d’une politique locale et d’un travail au niveau national. À ONU-Habitat, nous suivons depuis longtemps l’exemple marocain qui, dans la réalité africaine, est souvent présenté comme un exemple.

La politique de « Ville sans bidonvilles » est critiquée, alors que les habitants relogés se retrouvent dans des quartiers excentrés. Comment répondre à cette problématique?

Aux Nations unies, nous proposons que les constructions se fassent le plus proche du lieu de travail, quand c’est possible. Le but est de réussir à avoir un centre-ville avec un mélange d’activités, de classes économiques et de groupes sociaux. Mais parfois, le prix du foncier rend cela difficile. Cela demande une politique nationale ferme pour que la ville ne se divise pas et qu’elle soit un instrument d’intégration sociale.

Beaucoup de constructions sur la route entre Kénitra et El Jadida ne sont pas habitées. Comment gérer ces bâtiments vides ?

Pour éviter cela, il faut développer des projets d’élargissement urbain, juste à côté des villes qui existent déjà. Les quartiers mixtes doivent se mélanger avec des activités économiques pour que le lieu de travail soit le plus proche possible au lieu d’habitation.

Dans les logements abordables, nous recommandons que 20 à 30% du foncier soit réservé à des activités économiques, comme des hôtels, des boutiques ou des ateliers. Construire des logements sans activité économique, ce n’est pas construire une ville.

Il y a une concentration des activités entre Casablanca et Rabat. Comment faire pour que l’urbanisation s’étende aux autres villes?

Nous recommandons l’élaboration d’une politique nationale urbaine à long terme, dont les investisseurs doivent être au courant afin de développer un équilibre au niveau du pays et que tout ne se concentre pas dans une ou deux villes.

C’est une conjugaison de politique de structures et de services urbains, comme l’eau et l’énergie. L’une des premières recommandations du nouvel agenda urbain de l’ONU est la structuration d’une politique urbaine nationale, qui soit connue et débattue par les secteurs public et privé pour qu’ils adaptent leurs investissements aux options du futur.

Quel est le rôle du secteur privé ?

Il a ses propres objectifs évidemment, mais il faut profiter de ses capacités et de son efficacité pour développer une politique rapide et généralisée et attirer des financements. Une bonne urbanisation se répercute sur le bien de tout le monde. Au contraire, une urbanisation mal faite peut donner des bénéfices à une minorité, mais pas à la grande majorité. Il faut avoir une vision de l’urbanisation à long terme. Ce sont des politiques difficiles à appliquer. Les acteurs du marché ne le comprennent pas, car ils veulent faire des bénéfices rapides.

Comment expliquez-vous la corrélation entre l’urbanisation et le développement durable ?

L’urbanisation crée de la valeur économique. D’abord grâce à une valorisation du foncier, mais aussi grâce à des économies de productivité grâce à la proximité des facteurs de production. Il est ensuite important que la valeur soit redistribuée et réinvestie dans la ville et sa maintenance. Une ville mal entretenue génère moins de valeur qu’une qui a la lumière et des services urbains. Pour le faire, il faut redistribuer la valeur, avoir un système d’impôt et de fiscalité qui fonctionne, il faut taxer la valeur générée.

Pourquoi l’urbanisation est-elle devenue un instrument clé de la prospérité économique selon l’ONU ?

L’urbanisation dans le monde est en train de grandir de façon rapide, en même temps que des problèmes graves d’inégalités, de quartiers mal structurés, de bidonvilles… Dans beaucoup d’endroits, quand se concentrent pauvreté, misère et inégalités, des problèmes d’éducation, de salubrité, de mal-être, de risque politique se développent. Le prix à payer pour une mauvaise urbanisation est très élevé. L’ONU et son nouvel agenda urbain interpellent les pays sur la bonne qualité de l’urbanisation, car une urbanisation spontanée sans aucune organisation peut devenir un risque sérieux.

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