Une étude sur l’impact de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO a été remise aux chefs d’État de l’organisation lors du 52e sommet de l’organisation qui s’est tenu à Abuja les 16 et 17 décembre. Telquel.ma a pu consulter ce rapport de 66 pages qui passe au peigne fin plusieurs aspects allant du juridique au sectoriel en passant par les questions macroéconomiques ou politiques. Nous vous livrons les principales conclusions du document.
Pas d’obstacle juridique
Sur le plan juridique, rien ne s’opposer à la demande d’adhésion marocaine à la CEDEAO, même si le Royaume n’a pas signé le Traité révisé de l’organisation sous-régionale, qui fait office de loi suprême pour l’organisation. Selon les experts de la communauté ouest-africaine, l’adhésion du royaume ne nécessiterait que l’adoption d’actes additionnels ayant pour objectif de compléter le traité qui doit toutefois être signé par les chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO par consensus.
L’adhésion du Maroc est également facilitée par le fait qu’il réponde à un certain nombre des critères politiques et économiques figurant dans le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance établi en 2001 par la CEDEAO.
Les experts de la Communauté notent toutefois qu’en cas d’adhésion du Royaume, « les questions relatives à la libre circulation des personnes et des biens, le droit de résidence et d’établissement, la monnaie unique, le TEC-CEDEAO ainsi que les aspects techniques de tout genre dans les futures relations entre la CEDEAO et le Maroc exigent un délai de transition« , sans préciser les motifs de ce délai.
Expérience dans le domaine de la médiation et du maintien de la paix
Dans son rapport, la Commission de la CEDEAO liste les « implications potentielles positives au plan politique et en matière de paix et de sécurité » d’une adhésion du Maroc à l’organisation ouest-africaine.
Pour les experts, « l’implication du Maroc dans les questions de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest peut en effet constituer un levier à considérer lors de l’examen de la demande d’adhésion du pays à la CEDEAO « .
La commission mentionne ainsi la participation du Royaume à des opérations humanitaires et de maintien de la paix comme l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire de 2004 à 2007, ou encore l’opération Serval menée par la France au Mali en 2013.
Le rapport rappelle également que le Maroc a contribué à la résolution de la crise politique en Guinée après la tentative d’assassinat contre Dadis Camara, et révèle que le Royaume « a participé aux négociations ayant abouti au départ du pouvoir de l’ancien président gambien, monsieur Jammeh« .
La Commission estime, au vu de ces réalisations, qu’en cas d’adhésion marocaine, la richesse et les capacités et du Royaume « représenteraient indéniablement un plus pour les efforts de paix, de sécurité et de stabilité de la région CEDEAO, en particulier dans le domaine des opérations de maintien de la paix, de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, de la sécurité maritime, de la médiation des conflits« .
Pour l’organisation ouest-africaine, une adhésion du Maroc permettrait également aux pays membres de renforcer la promotion de « cet Islam modéré que le Maroc expérimente avec succès dans la lutte contre les sermons de jihadistes et d’extrémistes islamistes« .
Le rapport rappelle notamment que le Maroc « a une profondeur stratégique en Afrique de l’Ouest, fondée sur des relations historiques, culturelles et religieuses« , et forme « un certain nombre d’étudiants religieux originaires de l’Afrique de l’Ouest« .
Obstacles politiques
La CEDEAO relève néanmoins des implications politiques négatives quant à l’adhésion du Maroc. Ainsi selon la Commission de l’organisation ouest-africaine, le conflit régional du Sahara pourrait « créer de profondes divisions » et il incombe donc à la CEDEAO d’ « anticiper sur la manière de régler la question du Sahara occidental« , estiment les experts, sans donner plus de détails.
Dans son rapport, l’organisation ouest-africaine sous-entend également que l’adhésion du Maroc pourrait accroitre le risque terroriste en raison de la politique de libre circulation des personnes adoptée par la CEDEAO alors que la région fait déjà face à « la menace terroriste au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Nigeria ».
La CEDEAO met également en doute la capacité du Maroc à se conformer à certains points du Protocole relatifs à la démocratie et la bonne gouvernance qui obligent notamment les états membres à adopter une politique de « laïcité » et de « neutralité » sur les questions relatives à la religion.
Le Maroc prêt à adhérer à la monnaie unique
Sans surprise, le volet économique occupe la partie la plus volumineuse du rapport. Ses auteurs rappellent que « la convergence macroéconomique est un aspect fondamental du programme de coopération monétaire de la CEDEAO« .
Le projet de monnaie unique si cher aux 15 pays de la région repose grandement sur cette convergence. C’est la raison pour laquelle « certains indicateurs ont été adoptés, qui exigent des États membres le respect des critères retenus afin de résorber leurs déséquilibres budgétaires, monétaires et de change et de créer un environnement idéal pour une intégration monétaire réussie« , lit-on.
Le rapport analyse le Maroc à travers ces indicateurs et estime que si le Royaume « était actuellement membre de la Communauté », il respecterait « la plupart des critères de convergence » qui concernent principalement l’équilibre budgétaire, la stabilité des prix, le financement monétaire, la soutenabilité de la dette publique et la stabilité du taux de change.
Dans le détail, deux critères sur les six ne sont pas respectés par le Maroc. Il s’agit du ratio de l’encours de la dette rapporté au PIB nominal et du déficit budgétaire. Cela dit, « les performances du Maroc en termes de respect des critères de convergence sont similaires à la moyenne des performances actuelles des États de la CEDEAO ».
Le rapport s’interroge également sur l’impact de l’arrivée du Maroc sur les disparités économiques au sein de la région et qui causent un important blocage pour le déploiement de la monnaie unique.
À lui seul, le Nigéria représentait en 2015 près de 78% du PIB de la CEDEAO. La Côte d’Ivoire arrivait en deuxième position avec 5,35%. « Cette disparité se réduirait avec la CEDEAO élargie si l’on observe les écarts entre le Nigéria (67%) et le Maroc (15%) », concluent les experts.
Des accords commerciaux problématiques
Si sur le plan macroéconomique il ne semble pas y avoir d’obstacles à l’adhésion marocaine, c’est une tout autre affaire sur le plan commercial. Les multiples accords commerciaux conclus ou en cours de négociation par le Maroc posent problème à son adhésion. Cet aspect a été pointé par des représentants du secteur privé africain.
En outre, les structures tarifaires sont fondamentalement différentes. Le Royaume dispose de 17.785 lignes tarifaires. Une structure qui « est bien plus détaillée que celle de la CEDEAO » qui ne dispose que de 5.899 lignes tarifaires.
Cela « va nécessiter d’importants efforts de préparations« , estime la commission, qui ajoutent que « les multiples accords d’association et l’accord de partenariat économique sont des accords différents dans leur nature, qui de ce fait nécessiteront éventuellement de longues négociations et d’importants efforts de rapprochement« .
À titre d’exemple, le Maroc est un membre actif de la Ligue arabe, qui envisagerait d’établir une union douanière. La poursuite de l’intégration du Maroc à ce regroupement régional pourrait entraîner une incompatibilité avec le Tarif économique commun (TEC) de la CEDEAO.
Aussi, les experts de la Commission estiment qu’une « cartographie rapide de l’accord commercial préférentiel marocain révèle d’importantes répercussions potentielles liées à l’adhésion du pays à la CEDEAO. En effet, le Maroc a déjà conclu et continue de conclure un assez grand nombre d’accords commerciaux avec ses principaux partenaires commerciaux, y compris l’Union européenne« . Mais en définitive, « la CEDEAO est en moyenne significativement plus protectionniste à l’égard du Maroc que le Maroc ne l’est à son égard« , relève le rapport.
Un important volet du texte est consacré au secteur agricole secteur que le CEDEAO veut ériger en priorité pour une transformation du continent par l’agriculture et l’industrie. L’expertise marocaine, notamment celle de son champion national OCP ne laisse pas indifférent.
Sur le volet industriel, les experts restent méfiants et estiment qu’il « est nécessaire de mettre en place des mesures de mise à niveau pour les industries nationales dans les États membres en raison de la différence de niveau de développement industriel entre eux et le Maroc« .
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