Rares sont les sorties médiatique de cet intellectuel, ex chargé de mission au Cabinet royal. Du haut de ses 91 ans, Mohamed Chafik a livré au mensuel Zamane une entrevue en forme d’analyse d’un Maroc qu’il ne connait que trop bien.
Sur ses études
Le natif de Bir Tamtam, à une vingtaine de kilomètres de Fès évoquait d’emblée son enfance dans ce village, fief des Aït Sadden, « la seule tribu amazighophone de l’Atlas sur la rive droite du Sebou » précise-t-il.
Revenant sur son passage au collège d’Azrou, il déclare : « Ma mère et ma grand-mère étaient persuadées que l’enseignement ferait de mois un « nesrani » (chrétien) ». L’expérience ne sera que de courte durée puisque Chafik a pu bénéficier d’un transfert au très huppé lycée Moulay Youssef de Rabat. « J’ai dû forcer la main à l’administration. Il a fallu l’autorisation du chef de la région » se remémore-t-il.
Sur Lyautey et le « Dahir berbère »
Mohamed Chafik est, entre autres spécialités, licencié d’Histoire de l’Institut des Hautes études marocaines de Rabat. C’était une évidence qu’au cours de cet entretien au mensuel axé sur le domaine, les références historiques aient pris une part essentielle dans la discussion. Comme lorsqu’il rappelle qu’à l’époque du maréchal Lyautey (premier Résident général au Maroc de 1912 à 1925), « le nationalisme n’existait pas parce que le maréchal avait privilégié la classe sociale de ceux qui deviendront plus tard des nationalistes ».
Sur le nationalisme marocain justement, dont l’élément déclencheur fut la promulgation du Dahir du 30 mai 1930, appelé « Dahir berbère », l’ex secrétaire d’État auprès de la Primature durant les années 1970 affirme, non sans un brin d’ironie : « Tout ça n’est que du cinéma, un mythe nationaliste crée de toutes pièces. Ce sont ces mêmes personnes qui ont récité « ya latif » dans les mosquées pour la guérison de Lyautey ».
Sur l’enseignement au Maroc
L’ex sous-secrétaire d’État à l’enseignement secondaire, technique et supérieur porte un regard critique sur la sinistralité du secteur où il a exercé durant de nombreuses années. « C’est incontestablement à cause de l’Istiqlal et de l’USFP qui sont à l’origine le même mouvement politique (…) Persuadés d’être les seuls à avoir libéré le Maroc, ils se sont livrés à une politique aveugle et égoïste sur le plan idéologique » assène-t-il.
Mohamed Chafik parle d’« acharnement » pour décrire l’arabisation de l’enseignement. « Tant que cette politique est maintenue, nous allons droit dans le mur » présume celui qui est persuadé que l’arabe est « une langue morte ».
Sur Cheikh Yassine
Ce que l’on sait moins sur Mohamed Chafik, c’est qu’il a été proche d’Abdeslam Yassine, le fondateur du mouvement Al Adl Wal Ihsane, décédé en 2012. « Nous avons eu la même formation en 1955 puisque nous avons décroché ensemble le certificat d’aptitude à l’inspection pédagogique » éclaire-t-il.
Du chef religieux, Chafik le laïc dit n’avoir partagé aucune de ses positions. « Il avait essayé de m’entrainer dans sa mouvance islamique, mais je refusais toutes ses avances » rapporte-t-il. Ceci étant, l’interviewé ne cache pas la relation humaine le liant à Yassine. « C’est d’ailleurs moi qui lui ait présenté celle qui deviendra son épouse » témoigne-t-il.
Sur l’Histoire du Maroc
Nommé en 1980 par Hassan II comme membre de l’Académie du royaume, la pensée de Mohamed Chafik, dans ses écrits comme dans ses prises de positions, n’a eu de cesse de dénoncer certaines « dérives » de l’Histoire officielle du pays. « J’ai pris le risque d’affronter une opinion publique rompue à l’usage de la langue de bois, en narrant des faits historiques de détails dûment établis, mais systématiquement escamotés » explique l’érudit à Zamane.
L’engagé sur la question de l’amazighité du Maroc justifie l’approche qui est la sienne par sa « profonde conviction qu’il y a désormais espoir de voir l’investigation historique chausser des lunettes autres que celles de l’adulation des puissants du jour et de la célébration de leurs ancêtres».
Sur la situation politique au Maroc
Durant son parcours Mohamed Chafik n’a adhéré à aucune formation politique. Une donne qui lui permet de porter un regard distant sur la situation actuelle, marquée par le discrédit qui touche les responsables de la chose publique. « Si la classe politique trouve trop sévère les sanctions infligées à quelques ministres ou ex ministres pour indiscipline ou manquement grave au devoir, c’est qu’elle ne sait pas que la « punition exemplaire » est l’un des procédés pédagogiques les plus efficaces » a-t-il notamment déclaré.
Pour autant, l’homme de 91 ans n’exclut pas dans son diagnostic de la situation politique actuelle un ensemble de réflexes qui, à ses yeux, sont « hérités d’un long passé makhzénien ». Il en veut pour preuve que beaucoup d’agents de l’Etat, toutes hiérarchies confondues, « agissent encore dans l’orbite du pouvoir central comme des forces gravitationnelles antagonistes les unes des autres, cherchant chacune à servir coûte que coûte leur propres intérêts ». Paroles d’un connaisseur des rouages du pouvoir au Maroc.
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