L’historien de cinéma Noah Isenberg est l’auteur de We’ll Always Have Casablanca, un livre rétrospectif qui revient sur « la vie, la légende et l’après-vie » d’un film qui a marqué l’histoire du cinéma hollywoodien. Nous avons profité de son passage au Maroc à l’occasion de la projection de Casablanca la semaine dernière au cinéma ABC dans la capitale économique pour discuter de la construction cinématographique du film, mais aussi son influence sur la culture populaire occidentale.
Telquel.ma : Vous avez édité un livre sur le long métrage Casablanca. Pourquoi ce film en particulier?
Noah Isenberg : Casablanca est historiquement un des films hollywoodiens les plus appréciés. Et 75 ans après sa première diffusion, on continue d’en parler et de le citer. C’est ce qui m’a poussé à éditer ce livre pour les millions de fans qui partagent une passion pour ce film.
À votre avis, comment ce film a-t-il réussi à acquérir une telle popularité aux États-Unis et en Occident?
Il y a d’innombrables raisons à ce succès : d’abord l’intemporalité du film, puis le très bon duo d’acteurs Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. Le succès immédiat du film auprès de la presse populaire a eu de l’effet aussi. Sa diffusion massive a aussi joué un rôle important. Il a été diffusé au cinéma puis à la télévision et les chaines spécialisées en cinéma.
Pensez-vous que le côté moralisateur du film ait contribué à son succès auprès d’un public plutôt conservateur?
Si vous suivez la typologie du personnage de Rick Blaine (Humphrey Bogart), il évolue d’un état d’isolation à un engagement influencé par la guerre. C’est ce qui le pousse à aider le couple de réfugiés bulgares. Le personnage a subordonné son intérêt personnel pour le bien de l’humanité. À la fin du film d’ailleurs, Laszlo (Paul Hendreid) lui dit « soit le bienvenu au combat. Cette fois-ci, je sais que notre camp va gagner« . C’est le message que le studio Warner Bros voulait faire passer. Casablanca devait convaincre le public de la moralité de combattre contre le fascisme.
Où réside la puissance de ce film d’après vous?
Il y a d’abord l’écriture (chaque ligne du dialogue peut être sujette à citations). Les auteurs, Julius et Philip Epstein et Howard Koch, ont d’ailleurs reçu l’Oscar de la meilleure adaptation. La réalisation par Michael Curtiz, un vétéran de la Warner Bros, est aussi est un point fort du film selon moi. Il a aussi le casting extraordinaire avec notamment des émigrés européens, dont plusieurs ayant fui les nazis.
Dans un essai consacré au film, le sémiologue Umberto Eco explique que Casablanca n’est pas une œuvre d’art comme le seraient les films du réalisateur russe Sergei Eisenstein ou l’italien Michelangelo Antonioni. Qu’en pensez-vous?
Je pense que c’est juste, mais il faudrait préciser que Casablanca n’est pas un film d’art européen. Ce film symbolise l’apogée du Hollywood classique. Comme a dit un jour le scénariste Julius Epstein : « Nous n’avons pas fait de l’art, mais quelque chose de vivant ». Umberto Eco lui-même a dit dans cet essai que « Casablanca ce n’est pas un film, mais plusieurs films en un seul« .
Il a aussi décrit le film comme un ramassis de « clichés et stéréotypes du cinéma ». Que pensez-vous de cette observation ?
Il y a beaucoup d’archétypes et clichés dans le film, mais là aussi Eco salue l’utilisation efficace de ces clichés. Allant jusqu’à dire à l’époque que le film confère une impression de déjà-vu.
Dans votre livre vous décrivez la performance de Bogart et Bergman comme « inoubliable ». Pourquoi donc ?
La romance aigre-douce des deux stars de cinéma dans Casablanca est peut-être considérée par les critiques et les cinéphiles comme l’une des plus grandes romances jamais vues à l’écran. Une fois que vous les voyez incarner Rick et Ilsa, vous ne risquez pas d’oublier leur histoire.
Selon vous quelle est la scène la plus mémorable du film?
Oh, c’est dur. Pour beaucoup, c’est le chant de La Marseillaise. Pour d’autres, c’est le dernier décor de l’aéroport de Casablanca ou encore le flashback à Paris avant l’arrivée des nazis.
Dans son autobiographie, Ingrid Bergman décrit les conditions désastreuses de tournage. Parfois, le chaos peut générer des surprises, non?
Oui absolument. Quand elle a demandé au réalisateur, quel personnage (Rick ou Laszlo) elle devrait aimer le plus, il lui a répondu: « ne vous inquiétez pas, jouez-la entre les deux« . Ce sentiment d’ambiguïté se reflète d’une belle manière dans le film.
Le film a donné à Casablanca une image fantasmée totalement différente de la réalité de la ville. Est-ce par paresse intellectuelle, ignorance ou à cause de considérations financières que le film a été tourné à Hollywood?
Les conditions de production à Hollywood pendant la guerre voulaient que les films soient tournés en studio. Il n’y avait pas de possibilité de tourner au Maroc, mais en même temps, il y avait urgence de dépeindre la guerre et la lutte contre le fascisme bien que cela crée un monde artificiel, une sorte de réplique de l’Afrique du Nord.
Bien que Casablanca n’ait pas été tourné à Casablanca, un bar chic a surfé sur le succès du film en reproduisant le cabaret de Rick. Avez-vous profité de votre passage dans la ville pour y faire un tour?
Oui, j’étais là le samedi soir, après la projection du film au cinéma ABC, pour la célébration de l’anniversaire du film. Grâce à la propriétaire Kathy Kriger, le lieu a réussi à transmettre la même atmosphère et le même dynamisme qui a été créé en studio. C’était un vrai plaisir de vivre cette expérience, et de voir comment un fantasme hollywoodien est devenu une charmante réalité.
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