Vous êtes devant un “concept car”, une voiture ultra puissante, parée des plus beaux atours et options, peinture métallisée mais de marque inconnue. Le commercial vous explique que sa confection a nécessité de longs efforts. “On y travaille depuis 1956”, précise-t-il, pas peu fier. Mais quand vous lui demandez d’ouvrir le capot, de vous expliquer la technologie, il devient évasif. Franchement, vous l’achetez, cette caisse? Ce détour par la métaphore mécanique est un peu fastidieux, mais pas autant que la manière dont nous est habituellement présentée la régionalisation avancée. En théorie, c’est pourtant la plus grande dévolution de pouvoirs de l’histoire institutionnelle du Maroc, une révolution qui est censée mettre fin à l’héritage centralisateur du Maroc moderne. En pratique, c’est Lahbib Choubani et Ilyas El Omari à la tête des régions Draa-Tafilalet et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma.
Le pouvoir au local
Pour certains, c’est un retour à la normale, après la parenthèse étatiste ouverte par le protectorat français. Pour d’autres, c’est la solution miracle aux ratés de la “gouvernance”. Une majorité d’acteurs politiques y voient l’opportunité de grapiller des prérogatives, du pouvoir, au Makhzen central et à ses représentants, les walis, gouverneurs, pachas, caïds. C’est aussi au niveau territorial, censé être le plus pertinent pour écouter les attentes des citoyens et leur répondre, que s’élabore une nouvelle manière de faire de la politique, autour d’alliances qui peuvent dérouter par leur caractère plus opportuniste qu’idéologique.
Encore que les prérogatives de chacun méritent plus d’éclaircissements. Au sommet du nouveau dispositif institutionnel proposé, il y a le président de région, renforcé par une légitimité électorale, puisque les électeurs sont désormais appelés à voter à la fois pour des élus communaux et des élus régionaux, comme cela a été le cas en septembre 2015 lors d’un double scrutin. Forts de la légitimité du vote, les 12 présidents s’appuient désormais sur un conseil qui se voit déléguer le développement économique et social de la région, en lien avec le pouvoir central.
Dans l’architecture institutionnelle marocaine, le wali (et son alias le gouverneur) est le représentant au niveau local du roi et du gouvernement. Il supervise pachas, caïds et autres agents d’autorité.
Une citation reprise dans l’ouvrage de TAFRA permet de mesurer le chemin parcouru. S’adressant à une promotion de caïds à l’Ecole de perfectionnement des cadres du ministère de l’Intérieur en 1967, le roi Hassan II résumait leurs attributions: “Votre qualité de chef vous impose de jouer un rôle d’avant-garde, de guider vos administrés, d’être les premiers sur tous les fronts : édification, restauration, planification, agriculture, industrie, reboisement, commerce.” Aujourd’hui, la tendance est à l’élargissement des prérogatives d’un pouvoir local élu, et tout se joue dans l’articulation, la coopération ou la rivalité, entre élus et représentants du pouvoir central.
Une longue histoire
L’évolution de la régionalisation au Maroc a connu une accélération ces dernières années. En 2010, la commission consultative sur la régionalisation a rendu son rapport. Présidée par Omar Azziman, un ancien ministre de la Justice aujourd’hui conseiller du roi, elle préconisait la mise en place de douze régions, dotées d’exécutifs locaux, d’agences d’exécutions, de ressources importantes. Puis, en 2011, la régionalisation a été placée au coeur d’une réforme constitutionnelles provoquée par un large mouvement de contestation politique et socials – mouvement du 20 février – inspiré par les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte.
Lors de son discours du 9 mars 2011, qualifié d' »historique, le roi Mohammed VI avait d’ailleurs consacré une première partie de son allocution à la régionalisation. Enfin, en 2015, les élections communales et régionales ont permis de concrétiser tant le changement institutionnel, avec l’élection des nouveaux présidents de régions – réduites à douze – et une alternance politique majeure avec l’arrivée massive de nouveaux élus à la tête des exécutifs locaux, notamment avec la victoire des candidats du parti de la justice et du développement (PJD) au niveau des communales dans les grandes villes.
Comme l’explique Younes Benmoumen, qui a dirigé la publication du présent ouvrage, deux risques peuvent déjà être identifiés à ce stade (précoce) de la mise en oeuvre de la régionalisation avancée. Or, on prend vite de mauvaise habitudes, donc prudence. D’abord, “beaucoup de collectivités territoriales ne communiquent pas sur leurs programmes, leurs ressources et leurs décisions et tout particulièrement les régions”, ce qui est une violation de la loi. Ensuite, le nouveau ordonnancement des pouvoirs renforce le sentiment de “brouillard institutionnel” qui, “couplé au manque d’information, les possibles conflits de compétences entre institutions élues et superposées sur un même territoire risquent de noyer la responsabilité des élus, et avec elle, la possibilité d’une reddition des comptes.”
Le diable est dans les détails
Le travail réalisé par TAFRA s’attache à décrire de manière minutieuse le cadre réglementaire dans lequel s’inscrivent les nouvelles collectivités élues, d’un côté, et les représentants de l’Etat, de l’autre. Au niveau des communes, des provinces et préfectures et des régions, des conseils émergent qui attendent encore le cadre de leurs relations harmonieuses. Le livre détaille donc les différents échelons de la représentation de la commune à la chambre des représentants, des organisations professionnelles au conseil de région.
En mettant en regard, par des portraits croisés, les présidents de région et les walis de région, le chapitre 4 offre un trombinoscope des nouveaux maîtres du jeu politique au niveau local. Au delà de ces biographies, le livre propose une véritable analyse des enjeux d’alliances au niveau local, qui expliquent par exemple, dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, comment la compétition PAM-PJD structure les alliances au niveau des conseils provinciaux et préfectoraux, alliances qui préfigurent le niveau régional.
On rappellera à cet égard, que le nouvel exécutif régional de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma bénéficia dès son intronisation de la faveur de la présentation d’un plan de développement baptisé “Manarat Al Moutawassit” sous la présidence effective du roi, en octobre 2015. Présentation de programme à laquelle furent invités des ministres qui signèrent des conventions dont ils ignoraient le contenu, selon le rapport de la cour des comptes remis en octobre dernier.
Enfin, le chapitre 5 présente de manière synthétique et graphique, les principaux enseignements des dernières élections, sur la base du travail documentaire réalisé par Tafra. S’appuyant sur l’intégralité des résultats des élections législatives de 2011 et 2016 et sur ceux des élections communales et régionales de 2015, il propose une radioscopie du rapport de forces entre partis politiques avec une double tendance: Premièrement, la bipolarisation entre le PJD (seul parti, hormis la FGD, dont le nombre de total de voix ne baisse pas entre 2015 et 2016) et le parti authenticité et modernité (PAM), dont on peut lire la progression sur fond d’érosion des clientèles des partis dits “de l’administration”. Ensuite, la tendance à la “spécialisation” des partis par mode de résidence. Parti historique de la gauche, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) apparaît ainsi de plus en plus comme un parti rural, désormais dépassés dans les zones urbaines par la fédération de la gauche démocratique (FGD). Les tableaux pp. 64-65 fourmillent d’informations. Bonne lecture!
Youssef Aït Akdim
A propos du livret et de TAFRA disponible en kiosques dès vendredi jusqu’à samedi, à Casablanca et Rabat
Il s’agit de la troisième collaboration éditoriale entre TAFRA et TelQuel, après le livret Le Maroc vote (septembre 2016) dédié à l’histoire des élections au Maroc et le recueil L’idée constitutionnelle au Maroc (en arabe, juillet 2017). TAFRA est un think tank politique, porté par une association indépendante. Créé à Rabat il y a deux ans, son président Younes Benmoumen, qui a dirigé la présente publication. Ont contribué au présent ouvrage, Romain Ferrali, David Goeury et Leila Slassi, assistés par Othmane Bentaouzer. La mise en page et la maquette ont été réalisées par Wassim Wahid, directeur artistique de TelQuel.
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